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L’Inde ou le choix du multi alignement

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Inde ou la stratégie du multi alignement

Le 14 juillet 2023, le premier ministre indien Narendra Modi était l’invité d’honneur du défilé de la fête nationale à Paris, comme un symbole du rapprochement qui semble s’opérer entre l’Inde et l’Occident sur une scène internationale plus bipolarisée que jamais par la guerre en Ukraine. Pourtant, sa présence divise l’opinion publique française : certaines pratiques et relations de l’Inde vont à l’encontre des valeurs et intérêts occidentaux. Cette situation est révélatrice de la stratégie diplomatique multi vectorielle mise en place par la première puissance démographique mondiale pour réaliser ses rêves de grandeur.

 

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L’Inde : le choix des États-Unis ?

Le rapprochement de l’Occident commence par une relation nouvelle avec les États-Unis au tournant du siècle, incarnée par la visite du président Clinton en Inde en 2000. Ce rapprochement est favorisé par des positionnements communs dans la région : hostilité au Pakistan, volonté de contenir l’expansion chinoise. Dès lors, cette relation prend diverses formes. Elle se matérialise d’abord par une coopération sur le plan militaire : ainsi, en 2008, Bush et le premier ministre Manmohan Singh travaillent à la levée des sanctions liées à l’acquisition illégale d’armes nucléaires par l’Inde. La coopération stratégique devient alors de plus en plus étroite : en 2015, Modi et Obama signent la déclaration « Vision stratégique conjointe pour l’Asie Pacifique et la région de l’océan Indien » : une coopération bilatérale pour la paix et la sécurité en Asie. Ce rapprochement est plus généralement illustré par la déclaration à la portée symbolique de Modi devant le Congrès américain lors de l’été 2016 : « Notre relation a aujourd’hui surmonté les hésitations de l’histoire. »

 

Le tournant occidental semble alors s’opérer

Dans la continuité de cette tendance s’opère un rapprochement avec l’Occident de façon plus générale, qui semble logique pour un Etat se présentant comme « la première démocratie du monde ». Il s’effectue d’abord avec des alliés des États-Unis proches géographiquement : sur le plan sécuritaire, l’Inde est membre du dialogue quadrilatéral de sécurité (QUAD), une alliance informelle avec les États-Unis, l’Australie et le Japon qui cherche à contenir la Chine. L’Inde noue de même des liens diplomatiques et économiques particulièrement étroits avec des Etats de la région : elle est le premier récipiendaire de l’aide au développement japonaise. Le pays se rapproche également des Etats européens sur le plan stratégique et sécuritaire : en 2020, un dialogue sur la sécurité maritime est ouvert entre l’Inde et l’Union Européenne (UE). C’est plus particulièrement le cas de la France : en 2019, le ministre indien des affaires étrangères Subrahmanyam Jaishankar la qualifiait même de « partenaire stratégique critique ».

 

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Le tournant de l’Inde est pourtant ambigu

L’Inde joue en effet un « double jeu » selon la formule de Thomas Gomart (Les ambitions inavouées, 2023). Le premier ministre Modi, nationaliste hindou, mène une politique intérieure peu en accord avec les valeurs de démocratie et de respect des droits de l’Homme de l’Occident. On peut notamment mentionner la mise en application de l’idéologie de l’hindouïté, qui considère les hindous comme seuls citoyens indiens légitimes et mène de fait à des persécutions des minorités religieuses présentes dans le pays, à l’image de la minorité musulmane. Ce positionnement est alors contraire aux valeurs qui fondent la conception occidentale du multilatéralisme. Le double jeu indien se manifeste également par le rapprochement avec des États ouvertement anti-occidentaux. C’est d’abord le cas de la Chine : malgré l’hostilité claire entre les deux Etats, la Chine reste toutefois le second partenaire commercial de l’Inde, représentant 10% de ses échanges. C’est également le cas avec la Russie de Vladimir Poutine, en conflit ouvert avec l’Occident. Les liens sont forts sur le plan militaire et technologique : la Russie est le premier fournisseur d’armes de l’Inde (70% des importations), et a aidé le pays à concevoir des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins. Enfin, le rapprochement avec ces deux états s’effectue dans les institutions internationales : l’Inde est membre des BRICS et de l’OCS (Organisation de coopération de Shanghai).

 

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La stratégie diplomatique de l’Inde au service d’ambitions de puissance grandissantes

Cette diplomatie apparaît alors pour l’Inde comme le moyen de concrétiser ses rêves d’émergence. Les relations multiples permettent à l’Inde d’acquérir, en plus des facteurs de puissance dont elle dispose déjà, un prestige diplomatique inédit. Elle occupe une place de première importance sur la scène diplomatique mondiale, à l’image de la présidence du G20 qu’elle assure actuellement ; et obtient dès lors une véritable indépendance, à l’image du choix de l’abstention et de la neutralité sur la question de la guerre en Ukraine. Plus encore, elle tend à s’affirmer comme leader du Sud global, un rôle qu’elle a déjà occupé historiquement en étant à l’initiative du G77 en 1964, et qu’elle endosse pleinement aujourd’hui, en ayant par exemple débloqué des fonds pour les pays du Sud lors de la Cop-21 en 2015. Cette diplomatie pourrait alors finalement être ce qui fera du XXIe siècle le « siècle de l’Inde » (Modi), en permettant au pays de tirer parti de la nouvelle logique des blocs qui semble se mettre en place.

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Raphaël Holz