A la fin du mois d’avril 2023, l’Inde est devenu le pays le plus peuplé du monde, dépassant la Chine, pour atteindre plus de 1,425 milliard d’habitants. Malgré la forte croissance économique de ces dernières années, le miracle économique indien ne semble pas à portée de main car l’économie peine à fournir des emplois aux millions de jeunes qui arrivent chaque année sur le marché du travail.
La démographie indienne est-elle un atout ou un fardeau pour son économie ?
Maintenant que la population indienne a dépassé celle de la Chine, le pays doit relever le défi de créer des millions d’emplois pour capitaliser sur ce réservoir de main-d’œuvre. Cependant, le gouvernement de Narendra Modi éprouve des difficultés à relever ce défi. En effet, malgré une croissance économique robuste d’environ 7 % par an, l’Inde continue de faire face à un taux de chômage élevé. En avril 2023, le taux de chômage a atteint 8,1 %, le niveau le plus élevé en quatre mois.
Ainsi, toute la question est de savoir si l’Inde va traîner sa gigantesque population comme un boulet, ou si cette croissance va se transformer en « dividende démographique » : des gains économiques résultant d’une fenêtre temporelle où les actifs sont très nombreux et font moins d’enfants, tandis que le nombre de personnes âgées reste limité.
Cependant, la certitude face à cette situation, c’est que pour espérer bénéficier de ce dividende démographique, l’économie indienne aura besoin de fournir du travail à sa population.
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La difficulté de l’Inde : passer d’une économie agricole à une économie tertiaire
L’une des raisons derrière le chômage endémique malgré une forte croissance est le saut du pays d’une économie agricole à une économie de services. Aucun autre pays de la taille de l’Inde n’a vu sa croissance tirée principalement par les services plutôt que par la manufacture. Sans la création massive d’emplois dans l’industrie, qui permet d’absorber un large nombre de travailleurs peu qualifiés, la croissance profite principalement à des profils très qualifiés dans le secteur des services comme la technologie ou la finance.
La création d’opportunités professionnelles pour les jeunes en particulier, dont le taux de chômage s’établit autour de 23 %, est l’un des principaux challenges des politiques indiens, dans un pays qui devrait représenter 20 % de l’augmentation mondiale des jeunes en âge de travailler d’ici 2040. Même le diplôme n’assure pas de trouver du travail. Seul un diplômé sur quatre trouve du travail à la sortie de l’université. Cela révèle d’une part l’inadéquation entre les formations dispensées et les emplois disponibles, mais également l’incapacité de l’économie indienne à créer des emplois qualifiés pour sa jeunesse.
Le secteur de l’agriculture reste le premier employeur du pays, devant les services et l’industrie, représentant 40,2 % de la population active. Il s’agit bien souvent de survie. Dans le sous-continent, 800 millions de personnes continuent de dépendre de l’aide alimentaire distribuée gratuitement par le gouvernement.
On observe cependant une hausse continue du nombre d’emplois créés dans le secteur tertiaire malgré les vagues de licenciement et gels des embauches récents dans les entreprises de la tech, des entreprises (Facebook, Google, SalesForce, HP, Microsoft) qui tirent les créations d’emplois depuis des années dans les grandes villes indiennes (notamment Bangalore, connue comme la Silicon Valley de l’Inde).
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La faiblesse de l’industrie manufacturière semble empêcher le miracle économique
Finalement, l’Inde, qui rêve de prendre le relais de la Chine et de devenir la nouvelle grande puissance industrielle mondiale, souffre toujours de la faiblesse de son industrie manufacturière. Celle-ci a longtemps été freinée par des infrastructures de mauvaise qualité et par une bureaucratie cauchemardesque. Le gouvernement de Narendra Modi a fait des efforts en la matière, notamment avec son programme « Make in India », destiné à inciter les industriels à fabriquer sur le sol indien au moyen de généreuses subventions. Quelques réussites sont à souligner, notamment l’augmentation de la production d’iPhone sur le territoire.
Malgré les bonnes volontés du gouvernement, l’industrie manufacturière emploie uniquement 11,7 % de la population et n’assure que 15 % du PIB. Au Bangladesh, elle représente plus de 20 % du PIB. Le pays voisin, connu pour ses problèmes de pauvreté, présente d’ailleurs un PIB par habitant supérieur à celui de l’Inde.
Il est crucial pour l’Inde de développer son secteur manufacturier afin d’offrir des emplois stables et rémunérateurs à une main-d’œuvre peu qualifiée et non diplômée. Cela permettrait également au pays de devenir une puissance industrielle mondiale et de réduire sa dépendance à l’égard de la Chine.
Selon Clément Perruche, correspondant de l’édito Les Echos à New Delphi, « l’Inde a tout intérêt à adopter cette stratégie car il y a là un « momentum » à saisir, étant donné que les multinationales sont pressées de réduire leur dépendance vis-à-vis de la Chine dans un contexte de tensions croissantes entre Washington et Pékin autour de Taïwan.
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Pour conclure, l’économie indienne se doit de créer plus d’emplois pour complétement profiter de sa croissance démographique. La raison de cette inadéquation est le passage de l’économie agricole à l’économie tertiaire, sans s’appuyer sur l’industrie manufacturière, pourtant très pourvoyeurs d’emplois. Pour l’instant, la croissance indienne ne semble profiter qu’aux grands conglomérats favorisés par le gouvernement, opérant dans l’industrie lourde ou les matières premières, sans que cela ne se traduise en une augmentation du nombre d’emplois.