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Interview d’Alexandre Duchesne, professeur d’HGG à Mayotte

Sommaire

Découvrez dans cet article de Mister Prépa, l’interview d’Alexandre Duchesne, professeur de Géopolitique à Mayotte.

 

Pouvez-vous vous présenter rapidement ?

Alexandre Duchesne, je suis enseignant d’Histoire Géographie Géopolitique en CPGE au lycée de Sada à Mayotte depuis la rentrée 2021 après avoir été pendant 11 ans professeur et conseiller pédagogique au sein des lycées français à l’étranger (AEFE). Je suis agrégé de géographie et particulièrement intéressé par la géopolitique des outre-mers, c’est une des raisons qui m’a incité à venir à Mayotte. Sada, 2ème ville de l’archipel, est située à 25 km de Mamoudzou sur la côte ouest de l’île.

 

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Cela fait plusieurs années que vous êtes professeur en CPGE à Mayotte, pourquoi ce choix ?

À l’issue de mes missions comme conseiller pédagogique au Moyen-Orient puis en Colombie, s’est posée la question de ma suite de carrière, n’y croyant pas trop, j’ai postulé à deux postes en CPGE dont celui de Mayotte qui correspondait à une ouverture et j’ai eu la chance d’être retenu. L’académie n’est, il est vrai, pas non plus la plus demandée de France.

 

Décrivez-nous un peu la prépa dans laquelle vous enseignez et ses particularités.

L’académie de Mayotte est devenue assez récemment une académie de plein exercice (elle était auparavant un vice-rectorat dépendant de la Réunion), Plusieurs formations post-bac ont été ouvertes sur l’île pour étoffer l’offre de formation, ainsi il existe actuellement trois classes prépas sur l’île dont celle de Sada filière ECG proposant le menu mathématiques appliquées + HGG.

La particularité de la structure est qu’il s’agit d’une prépa de proximité lointaine. Nos étudiants n’ont pas accès aux mêmes ressources (BU et autres) qu’en hexagone et le niveau est particulièrement hétérogène, Mayotte étant une académie qui cumule de nombreuses difficultés. De nombreux élèves n’ont pas suivi l’ensemble de leur scolarité sur l’île et/ou ne sont pas locuteurs natifs en français puisque la langue du quotidien est ici le shimaore.

La CPGE de Sada est à l’image de l’île où près de la moitié de la population est immigrée : mahorais, comoriens, malgaches mais aussi étudiants provenant de l’Afrique des Grands lacs se côtoient en très bonne entente dans la classe. Mais le point extrêmement positif est que “l’effet prépa” fonctionne et qu’en deux ans nos étudiants comblent leurs lacunes et peuvent réussir les concours y compris pour des écoles du top 10, même si notre niveau reste bien sûr modeste, cette CPGE est un tremplin alors que la réussite des élèves issus de l’académie en licence est extrêmement faible. Enfin, dernière particularité et pas la moindre, notre prépa située sur les hauteurs du lycée de Sada, bénéficie d’une vue magnifique sur le lagon mahorais.

 

Quelles sont les difficultés auxquelles vos étudiants sont confrontés et les solutions proposées par la prépa de Sada ?

Les difficultés auxquelles font face les étudiants sont nombreuses, les situations administratives sont parfois complexes, les situations matérielles très souvent compliquées. À l’image de l’île où plus de 75% des habitants vit sous le seuil de pauvreté, nous sommes l’une des CPGE avec le plus fort taux de boursier en France (3 étudiants sur 4 en moyenne). Le lycée et le rectorat nous aident pour résoudre ces questions complexes, certains étudiants profitent d’un internat d’excellence situé à  proximité qui offre des conditions d’études idéales.

 

Vous nous avez mentionné certaines difficultés de vos étudiants, une fois en école de commerce. Pouvez-vous nous expliquer plus en détail ?

Les difficultés concernaient en particulier les activités extrascolaires, associatives. Ces moments de la vie en école reposent sur une sociabilité qui passe entre autres par des soirées qui représentent un budget qu’un étudiant modeste de Mayotte ne peut pas se permettre. Il est à noter que les étudiants mahorais ont un réel soutien du département pour financer leurs écoles, ce qui n’est pas le cas pour les non-nationaux. La question du financement des écoles est donc, pour eux, parfois problématique même si plusieurs écoles affichent une politique volontariste d’accueil des boursiers qui est bien utile.

 

A quoi ressemble votre quotidien en tant que professeur de Géopolitique et référent CPGE ?

Le même j’imagine qu’un enseignant de l’hexagone à quelques nuances près, tout de même ! Le trajet vers le lycée est un peu plus aléatoire, la première chose est donc de réussir à rejoindre l’établissement, ce n’est pas un problème en général. À Mayotte, le contexte des dernières années a été marqué par une violence quotidienne et des problèmes d’approvisionnement en eau. Il peut donc y avoir des barrages ou ce que l’on appelle ici des “caillassages”, c’est-à-dire l’attaque de bus ou de voitures par des jeunes en bande. La première chose est donc de voir si la journée se déroulera normalement, qui est absent, quelle ligne de bus a éventuellement connu un problème. Nous nous appuyons donc beaucoup sur les moyens de l’enseignement à distance, on enregistre parfois le cours pour les absents ou l’on passe en distanciel lorsque l’établissement est amené à fermer ce qui a été le cas cette année à cause des problèmes d’eau.

 

Quelles sont les différences entre une prépa en France et une à Mayotte selon vous ?

Le rythme est sans doute encore plus difficile à tenir pour nos étudiants car il est à noter que les cours débutant à 7h, les étudiants venant du nord de l’île ou de l’agglomération de Mamoudzou, peuvent, en raison des embouteillages, être amenés à se lever à 3h30/4h du matin. Les cours se concentrent le matin et les khôlles l’après-midi même si nous devons arrêter relativement tôt encore une fois à cause de la problématique des transports. J’estime que nos étudiants sont extrêmement méritants. Les aspects matériels enfin, l’accès aux manuels et livres par exemple, complique aussi parfois le travail.

 

Avez-vous des conseils pour des étudiants intéressés par la CPGE EC ?

Je leur dirai de foncer ! Cette formation est particulièrement riche et permet d’aboutir en deux ans à une meilleure compréhension du monde et de ses enjeux et à posséder une solide culture générale. De plus, les équivalences vers le système universitaire laissent en réalité des débouchés très larges. Surtout, enfin, ne pas s’autocensurer : la prépa peut correspondre à des profils plus variés que ce que l’on pense souvent.

 

Le mot de la fin

Le mot de fin, il sera double ! Je souhaiterais en priorité l’adresser aux lycéens de milieux modestes, les CPGE sont une formation riche, complète et passionnante qui, je l’ai constatée à Mayotte, permet à certains étudiants de réellement changer de vie. À l’heure où l’on parle beaucoup d’ascenseur social en panne en France, il faut savoir reconnaître quand celui-ci fonctionne encore bien et pour cela, je suis devenu un défenseur d’un modèle français, celui des prépas, que je connaissais en fait assez peu.

Enfin, s’il est vrai qu’on ne peut nier les difficultés de Mayotte, j’aimerais en dernier mot insister sur la richesse de cette île et de ses habitants. D’une beauté sans pareille, Mayotte est aussi un carrefour culturel au contact du monde swahili, malgache et aujourd’hui français, ce qui participe aussi à la richesse de notre pays.

 

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Maxime Diguet