Appliqué aux ressources naturelles, le principe de raréfaction permet d’expliquer comment, en période de pénurie, les détenteurs de ressources voient leur pouvoir économique s’accroître, tandis que le reste de l’économie en subit les conséquences sous forme d’inflation.
Cela mène à une question cruciale : un modèle économique fondé sur l’exploitation intensive des ressources est-il soutenable ? Thomas Piketty, dans son ouvrage Le Capital au XXIe siècle (2013), cherche à comprendre ce phénomène par lequel le rendement du capital croît plus rapidement que les revenus issus du travail et de la production.
La lecture de Piketty : le capital croît plus vite que la production
Piketty soutient que si le capital croît plus rapidement que l’économie productive, la richesse devient de plus en plus concentrée entre les mains des propriétaires de capital. Mettons en corrélations cette idée avec les ressources naturelles. De toute évidence, dans le monde d’aujourd’hui, l’extraction de matières premières donne des rendements de plus en plus faibles alors que le sol s’épuise et s’épuise ; par conséquent, les propriétaires de terres agricoles ou les titulaires d’accès se voient accorder des rendements plus élevés. Cela conduit à une hausse des prix pour la société en général, évidemment, car aucune des matières premières ne produisait des « biens de biens ». Par exemple, si l’on parle de pétrole ou de lithium, ils ne sont pas moins chers à extraire dans les mines ou les champs.
Dans ses travaux, Piketty écrit : « Lorsque le rendement du capital dépasse durablement le taux de croissance de la production et des revenus, le capitalisme génère mécaniquement des inégalités insoutenables » (Le Capital au XXIe siècle, 2013, p. 571). Si on se fie à cette citation, lorsque les ressources naturelles se raréfient, elles deviennent un actif dont le rendement dépasse celui de la production. L’inflation liée aux matières premières devient donc une force de fragmentation économique et sociale ancré dans un mécanisme dans lequel plus les ressources s’amenuisent, plus leur exploitation coûte cher, amplifiant les inégalités entre ceux qui possèdent ces ressources et ceux qui en dépendent.
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Mettons un peu de maths…
Pour illustrer cet effet, posons quelques relations simples basées sur l’idée de Piketty. Soit K le capital (ici représenté par les ressources naturelles) et g le taux de croissance économique réel. Selon Piketty, le rendement r du capital tend à croître plus vite que g. Cela se traduit par :
r > g
Ainsi, quand r (le rendement des matières premières) dépasse g (la croissance économique), les prix des matières premières augmentent plus vite que la production ne peut compenser, ce qui conduit à une inflation.
Prenons P, le prix des matières premières, et D, la demande pour ces ressources. On peut exprimer la dynamique inflationniste par :
P = r ⋅ DS
où S représente le stock des ressources disponibles. Lorsque S diminue (en raison de la raréfaction des ressources), P augmente, accentuant ainsi la pression inflationniste. Cette dynamique de croissance inégale alimente un cycle inflationniste qui devient difficile à endiguer sans intervention structurelle.
La crise énergétique actuelle et la hausse des prix des matières premières
Il peut être pertinent d’utiliser dans vos copies la crise énergétique de 2022-2023, où le prix du gaz naturel a augmenté de plus de 100 % en Europe, et celui du pétrole a parfois atteint les 120 dollars. La demande pour ces ressources reste élevée, mais le stock d’énergie fossile est de plus en plus coûteux à exploiter. En parallèle, les entreprises de l’énergie, comme ExxonMobil, ont enregistré des profits records, avec une hausse de plus de 50 % de leurs bénéfices en 2022.
Cette crise est un exemple de la « rente » générée par la rareté des ressources. Les détenteurs de capitaux dans le secteur énergétique ont pu tirer profit de la situation, tandis que le consommateur moyen a subi une inflation dramatique. Cet écart montre précisément comment la dynamique décrite par Piketty amplifie l’inflation et les inégalités, et qu’il est impertinent de continuer de s’ancrer sur un système voué à la crise.
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