Depuis la réélection de Trump le 5 novembre, la presse internationale n’en a plus que pour Elon Musk. L’homme le plus riche du monde, visionnaire de Tesla et SpaceX, est désormais plus qu’un entrepreneur. En finançant la campagne présidentielle de Trump, le multimilliardaire est « incontestablement devenu le simple citoyen le plus puissant des États-Unis » écrivait récemment le NY Times – un titre révélateur de sa capacité à peser sur des questions nationales et internationales sans jamais avoir été élu. Sa proximité nouvelle avec Donald Trump, notamment par son soutien financier décisif lors de sa deuxième campagne présidentielle, illustre un phénomène plus large : la montée en puissance d’une élite économique capable de remodeler les structures traditionnelles du pouvoir.
Cette ascension reflète un phénomène plus large : l’émergence des oligarques américains, en particulier les géants de la Silicon Valley, incarnés par les dirigeants des GAFAM (Google, Apple, Facebook, aujourd’hui, Meta, Amazon et Microsoft). Ces figures redéfinissent les rapports entre l’économie et la politique, soulevant des questions cruciales sur l’équilibre des pouvoirs aux États-Unis et au-delà.
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Les GAFAM, des géants toujours au sommet
Les GAFAM ou MAGMA continuent de dominer l’économie mondiale, même après des années de critiques, de procès antitrust et des tentatives de régulation. Leur influence dépasse le cadre économique pour s’étendre à des questions de société, de politique et de diplomatie. Google façonne l’accès à l’information pour des milliards de personnes, tandis qu’Amazon est devenu incontournable dans la logistique mondiale et le commerce en ligne. Meta, anciennement Facebook, a transformé la manière dont les individus communiquent, mais aussi la façon dont les campagnes politiques sont menées, souvent en exploitant des algorithmes qui amplifient la polarisation des opinions. Ces entreprises ne sont pas simplement des géants économiques : elles représentent des infrastructures indispensables de la vie moderne.
Cependant, cette domination n’est pas sans controverse. Les critiques accusent les GAFAM d’abuser de leur position dominante pour écraser la concurrence et manipuler les comportements des consommateurs. Les scandales liés à la gestion des données personnelles, comme ceux révélés par Cambridge Analytica, ont mis en lumière leur capacité à influencer non seulement les marchés, mais aussi les démocraties. La pandémie de Covid-19 a renforcé leur rôle, rendant leurs services indispensables dans un monde confiné. Cette dépendance accrue a toutefois accentué les inquiétudes sur leur pouvoir disproportionné.
En réalité, si la Silicon Valley venait à stopper ses activités demain, le monde entier s’arrêterait littéralement : internet, smartphones, services bancaires, réseaux sociaux, plateformes de livraison… tout cesserait de fonctionner. Les GAFAM sont devenus les piliers de notre société connectée, un « hydre à cinq têtes » qu’il semble aujourd’hui impossible à neutraliser. Leur pouvoir dépasse celui des États, mettant en évidence une réalité troublante : nous vivons dans un monde qui suit aveuglément ces géants, sans véritable alternative pour en freiner l’influence.
La nouvelle ère Trump, une nouvelle proximité entre les affaires et la politique
L’administration Trump a marqué un tournant dans la relation entre les élites économiques et le pouvoir politique. Elon Musk, autrefois critique à l’égard de Trump, a progressivement tissé des liens étroits avec l’ancien président, notamment en finançant sa campagne et en influençant des politiques clés. Le second mandat de Trump annonce le retour des relations transactionnelles. En effet, l’État fédéral américain a plus que besoin des technologies qu’il ne sait pas produire lui-même et de façon durable, comme les fusées par exemple. C’est pourquoi le Pentagone et le service de renseignement américain ont passé entre 2019 et 2022 plus de 53 milliards de dollars de contrats avec des sociétés de la tech.
Cette relation n’est pas exempte de défis. L’administration fédérale américaine est aujourd’hui perçue comme une machine bureaucratique tentaculaire, étouffant l’innovation par une prolifération constante de réglementations. Les agences gouvernementales se multiplient et leurs coûts pèsent lourdement sur les contribuables, alimentant un sentiment d‘inefficacité. Elon Musk dans une déclaration récente, s’est dit prêt à assumer un rôle plus direct dans la gestion de cette bureaucratie, affirmant qu’il avait des solutions pour contenir cette lourdeur institutionnelle. Visionnaire reconnu dans le domaine de l’innovation, E. Musk propose une approche plus agile et entrepreneuriale qui pourrait bouleverser la manière dont fonctionne le gouvernement fédéral.
Cependant, cette proximité entre les grandes fortunes et les décideurs politiques soulève des inquiétudes sur la concentration du pouvoir. Si l’implication de figures comme Musk dans les affaires publiques peut sembler légitime dans une démocratie libérale, elle pose des questions fondamentales sur la transparence et de l’équilibre des pouvoirs. Lorsque des individus non élus exercent une influence déterminante sur les politiques, la frontière entre lobbying et une emprise disproportionnée sur les institutions publiques devient floue. Cette évolution met à l’épreuve les principes démocratiques des États-Unis, transformant un système déjà imparfait en une arène dans laquelle les intérêts privés rivalisent avec l’intérêt général.
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L’Europe face aux géants américains, des régulations suffisantes ?
Face à l’expansion des GAFAM, l’Union Européenne a tenté de se positionner en pionnière dans la régulation de ces entreprises. Les initiatives législatives comme le Digital Services Act (DSA) et le Digital Markets Act (DMA) visent à limiter les abus de pouvoir des géants du numérique, en renforçant la transparence et en encourageant la concurrence. Ces régulations imposent, entre autres, des obligations aux plateformes pour garantir la protection des données personnelles et prévenir la désinformation.
Cependant, l’efficacité de ces mesures est contestée. Bien que des amendes records aient été infligées à des entreprises comme Google – 2,42 milliards de dollars pour avoir favorisé son système de comparaison de prix Google Shopping dans les résultats de son moteur de recherche – ces sanctions financières demeurent dérisoires face aux revenus astronomiques de ces entreprises. À titre d’exemple, Alphabet, la maison mère de Google, a enregistré un chiffre d’affaires de 84,7 milliards de dollars rien qu’au second trimestre 2024. Les GAFAM disposent en effet de ressources considérables pour influencer les décideurs politiques au cœur même des institutions européennes. Les critiques estiment que l’Europe doit aller plus loin, notamment en imposant des taxes sur les profits réalisés en dehors des États-Unis ou en envisageant un démantèlement partiel des monopoles, à l’image de la division de Standard Oil au XXe siècle.
Ainsi, les initiatives européennes se heurtent à une opposition farouche des États-Unis, qui perçoivent ces régulations comme une attaque contre leurs intérêts stratégiques. La tension transatlantique est palpable, avec Washington défendant ses entreprises comme des vecteurs d’influence mondiale. Par ailleurs, au sein même de l’Europe, une fracture subsiste entre les pays. Tandis que certains, comme la France ou l’Allemagne, militent pour une régulation stricte, d’autres, plus dépendants des investissements américains, craignent que des mesures trop rigides freinent l’innovation et entravent leur compétitivité.
Dans un monde dans lequel les plus riches seraient libres d’imposer leur volonté sans entrave, les États-Unis apparaissent comme le terrain idéal pour cette réalité inquiétante. Le pays du rêve américain, autrefois synonyme d’opportunité pour tous, se transforme en un espace où les élites économiques redéfinissent leurs règles à leur avantage. Les GAFAM ou MAGMA sont toujours au sommet malgré les attaques en justice européennes et les crises économiques. Le second mandat de Trump, avec Elon Musk en tant que conseiller, ne fera qu’amplifier leur influence. Avec un de leurs détenteurs désormais au pouvoir, ces géants technologiques voient leurs intérêts protégés comme jamais auparavant.
Le contraste avec l’Europe est frappant. Lorsque Jeff Bezos a tenté de faire démonter un pont historique en Allemagne pour faire passer son yacht, la contestation publique a suffi à l’arrêter. Aux États-Unis, des figures comme lui sont pratiquement intouchables, protégées par un système qui favorise les oligarques modernes au détriment de l’intérêt général. Il est peut-être temps pour les Américains de se demander si leur système reste une véritable démocratie ou s’il glisse vers une ploutocratie ? Cette interrogation dépasse les frontières américaines et concerne l’avenir même des équilibres mondiaux. L’émergence des nouveaux maîtres du jeu nous oblige à reconsidérer les bases du pouvoir dans le XXIe siècle.