Misterprepa

Les Printemps Arabes : un dénominateur commun, des trajectoires distinctes.

Sommaire
Printemps arabes

« Le peuple veut la chute du régime », « ça suffit », « dégage » s’exclamaient les manifestants de Tunis à Bahreïn en 2010-2011. En effet, plusieurs pays du Maghreb et du Machrek(1) ont connu des insurrections lourdes de conséquences, surnommées plus tard « printemps arabes ». Mais derrière ce terme générique se cachent des destins différents. A Bahreïn, au Yémen et en Syrie où la fracture entre chiite et sunnites domine, les rebellions ne sont pas parvenues à renverser le pouvoir en place. A l’inverse, en Afrique du Nord, les régimes ont rapidement chuté, laissant la porte ouverte à diverses forces antagonistes. Il sera question de ces pays dans cet article, à savoir la Tunisie, l’Egypte et la Libye.

Le déroulement des Printemps arabes et ses causes

Le 17 décembre 2010, l’immolation de Tarik Bouazizi, jeune marchand de la ville de Sidi Bouzid en Tunisie, donne le coup d’envoi des Printemps Arabes. La dynamique du soulèvement est telle que, Ben Ali est forcé de quitter le pouvoir le 14 janvier 2011. Puis, en Egypte, c’est du 25 janvier au 11 février 2011 que des milliers de jeunes Egyptiens descendent dans la rue pour occuper la place Tahrir au Caire. Aux termes de 18 jours d’occupations, Hosni Moubarak est éjecté du pouvoir. Quelques jours plus tard, des émeutes ont lieu à Benghazi en Libye, en raison de l’arrestation d’un militant des droits de l’homme. Finalement, Mouammar Kadhafi meurt lynché tandis qu’il s’enfuyait le 20 octobre 2011 de la ville de Syrte.

Ces trois pays étaient gouvernés par des dictateurs qui avaient monopolisé le pouvoir et qui assuraient sa pérennité par la corruption. L’immolation du vendeur ambulant à Sidi Bouzid et l’arrestation de Fathi Tirbil(2) en Libye cachent donc des facteurs beaucoup plus structurels. Les jeunes s’opposent à ces régimes tyranniques qui verrouillent les libertés individuelles et publiques et à la corruption des dirigeants politiques qui l’emporte sur la compétence et le mérite. La pauvreté et la misère sont aussi de puissants facteurs pour ceux qui réclament « le pain et la dignité »(3). La pression sociale est finalement investie dans plusieurs formes d’oppositions. Ce souffle d’espoir pour la jeunesse arabe est néanmoins vite étouffé par plusieurs forces politiques influentes, parmi lesquelles l’armée et les extrémistes islamistes.

Les Printemps Arabes débouchent-ils vraiment sur un Hiver Islamique ?

La captation islamiste des révoltes se développe…

Dominique Moisi, conseiller spécial en géopolitique, alertait du danger d’un Hiver Islamique venant progressivement se substituer aux révolutions arabes. En effet, dans tous pays concernés, on observe un phénomène commun : la captation islamiste extrémiste des révoltes. En Tunisie, Abou Iyadh Al-Tounsi, commanditaire de l’assassinat du commandant Massoud en Afghanistan, crée l’organisation Ansar Al Charia. Très vite, les salafistes supplantent certains partis de gauche dans les révoltes, et étendent leur influence dans les universités où ils font leur propagande. En Egypte, les discours salafistes se multiplient : ils exigent que l’Egypte devienne un Etat islamique et les chrétiens sont étiquetés comme « infidèles ». La situation est encore plus critique dans le Sinaï, où le groupe jihadiste « Province du Sinaï et de l’Etat islamique » se développe. Enfin en Libye, Abd Al-Hakim Belhaj organise à partir de ses réseaux jihadistes « la Brigade des martyrs ». L’intolérance religieuse ne cesse de croître comme en témoigne l’incendie criminel contre l’église chrétienne copte à Benghazi en 2013, et les attaques contre les sanctuaires soufis (4).

… mais connait une efficacité limitée

Néanmoins, les salafistes devront se satisfaire d’une influence limitée. En Tunisie, les classes moyennes pieuses se tournent davantage vers le parti islamiste conservateur Ennahdha, prêt à coopérer avec les autres partis et représentant un « islamisme plus modéré ». En Libye, la capacité d’action des groupes jihadistes est limitée, du fait des conflits entre tribus, qui prennent le pas sur une potentielle alliance entre groupes islamistes. Les Frères Musulmans signent aussi leur échec en Tunisie et en Egypte. Si Ennahdha en Tunisie était dans les années 1970 dans la mouvance des Frères Musulmans, le leader du parti, Rached Ghannouchi, a pris ses distances. Ennahdha promeut par exemple le « dialogue national », réaffirme en permanence son attachement à la démocratie et revendique une « Tunisie laïque » bien que certaines des déclarations du parti soient en contradictions avec ce principe. En Egypte, le Parti de la liberté et de la justice, issu des frères musulmans, est renversé en avril 2013 par une contre rébellion (mouvement Tamarod) encouragé par l’Etat Major. Finalement, les Frères Musulmans subissent une forte répression comme en témoigne l’emprisonnement de Mohamed Morsi.

Comment comprendre les destins très différents des Printemps Arabes ?

Les trajectoires distinctes des printemps arabes sont liées aux singularités de chacun des pays. En effet, l’Egypte, la Libye et la Tunisie ont chacun une histoire qui leur est propre, des institutions plus ou moins consolidées et une entité politique plus ou moins bien établie. L’Egypte et la Tunisie sont deux Etats assez anciens, formés et façonnés par plusieurs régimes et les révolutions se sont donc bâties sur ces structures anciennes. Par conséquent, les révoltes ont permis le renversement du régime, sans pour autant que l’Etat ne s’écroule comme en Libye. L’universitaire Jordano-américain Safwan Masri estime par exemple que c’est le passé unique de la Tunisie qui explique la mise en œuvre d’un processus vertueux. A l’inverse, la Libye n’a pas pu établir d’institutions et se transformer en « nation », c’est-à-dire une véritable communauté de destin. Par conséquent, les solidarités tribales se sont maintenues même après la révolution. La structure tribale a su réinventer son rôle lorsque le régime de Kadhafi est tombé, y compris dans les domaines de la justice et de la sécurité, dans la gestion et la résolution des conflits.    

Notons aussi le rôle des puissances régionales dans le devenir distinct des révolutions arabes. Si les pétromonarchies voient la Tunisie comme un pays assez éloigné sans une grande importance, l’Egypte est un enjeu crucial donc source de rivalités d’influences. Le Qatar, proche des Frères Musulmans, soutient Mohamed Morsi tandis que l’Arabie Saoudite subventionne à hauteur de 12 milliards de dollars le maréchal Sissi. Ainsi, contrairement à la Tunisie, le soutien considérable de Riyad a permis d’aider les militaires à revenir rapidement au pouvoir.

Lire plus : le référendum constitutionnel en Tunisie sonne-t-il le glas des printemps arabes ? 

Les printemps arabes en Afrique du Nord ont tous connu des bouleversements importants, permettant à diverses forces prédatrices de s’installer. Aucune révolte n’a abouti à une véritable démocratie, y compris en Tunisie, nuançant ainsi cette vision d’un « miracle tunisien ». Aujourd’hui, Kais Saied(5) tend à concentrer la plupart des pouvoirs et dirige le pays d’une main de fer.

(1) partie orientale du monde arabe.

(2) avocat Libyen et défenseur des droits de l’homme.

(3) slogan des manifestants tunisien et égyptien alors que les prix des denrées alimentaires ne cessent de flamber.

(4) le soufisme est un courant de l’islam. Les fidèles privilégient l’expérience personnelle par rapport à la démarche communautaire.

(5) président de la Tunisie depuis le 23 octobre 2019.

 

Newsletter
Image de Jonathan Fellous
Jonathan Fellous