Le thème au programme cette année de l’épreuve de culture générale pour les classes préparatoires commerciales est “la violence”. Cette notion est intéressante dans la mesure où elle peut recouvrir des actes, des situations plurielles, et avoir un impact sur l’individu. Un des axes intéressants pour aborder la violence est sa représentation, et notamment la possibilité même de sa représentation. C’est ce que nous allons tenter d’étudier dans une série d’articles consacrés à la représentation de la violence dans les arts et les lettres.
Dans cet article, nous nous intéresserons au documentaire The Act of Killing, dont nous te conseillons de visionner la bande annonce (lien de la bande annonce), et notamment à la manière dont il parvient à parler de la manière la plus frontale de la violence, dans toute son horreur, mais également à en interroger la représentation cinématographique.
Qu’est ce que The Act of Killing ?
The Act of Killing est un documentaire réalisé par Joshua Oppenheimer et Christine Cynn, sorti en salle en 2012. Celui-ci prend pour sujet le mouvement du 30 septembre 1965 en Indonésie où ont débuté des massacres qui ont causé la mort de 500 000 ou un million de personnes selon les estimations. Ces massacres avaient eu lieu suite à l’échec d’un coup d’Etat mené par le Mouvement du 30 septembre, et ont conduit à une purge anticommuniste qui a éliminé le Parti Communiste Indonésien en tant que force politique.
Néanmoins, ce documentaire prend une approche particulière : il donne la parole aux auteurs de ces massacres, des gangsters de l’époque, afin qu’ils décrivent eux-mêmes les atrocités : l’armée avait en effet confié à ces gangsters le rôle d’exécuteurs. Un des gangsters les plus filmés est Anwar Congo qui aurait assassiné environ 1000 personnes, notamment par étranglement. Ce documentaire expérimental est extrêmement dérangeant : s’y mélange les paroles de ces gansters et la reconstitution des meurtres qu’ils décrivent selon des registres filmiques divers : film de western, comédie musicale, film noir…
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Parler objectivement de la violence
Ainsi, ce documentaire peut être très choquant dans la mesure où il aborde de manière directe le meurtre avec des récits très violents et s’étant rééllement déroulés. Chaque histoire est insoutenable et les bourreaux ne semblent que très rarement avoir des remords : on se sent alors comme complice. Ainsi, le réalisateur dira au sujet de ce malaise que l’on peut ressentir :
« Le film demande un effort douloureux à ses spectateurs, qui consiste à apercevoir une petite part de soi-même dans ces hommes. Les gens qui croient à cette idée selon laquelle ils sont bons sont effrayés du fait que nous sommes tous plus proches des criminels que nous aimons le croire. »
A travers ce documentaire, on voit donc la possiblité en chaque Homme de tuer quelqu’un, et donc la violence enfouie en chacun de nous.
De plus, le film s’attarde également sur tous les processus qui ont conduit à cette étatisation de la violence, raison pour laquelle certains associent d’ailleurs ces meurtres à un génocide : on aperçoit ainsi comment la violence peut se faire commune, comme une véritable folie meurtrière qui relie les Hommes entre eux.
On aperçoit également à travers ce documentaire la manière dont le simple récit pourrait suffire à nous faire ressentir la violence, comme les images peuvent parfois être de trop : les simples mots nous touchent, nous conduisent au malaise. Le documentaire touche ainsi aux limites de l’éthique qu’on pourrait atteindre d’une oeuvre d’art en présentant un récit qui n’est pas censé être dit, d’autant plus qu’ici il est réel et non fictif : derrière ces mots des gens sont réellement morts, assassinés. Mais le documentaire joue aussi du médium du documentaire pour interroger cette question de la violence et de sa représentation dans une oeuvre cinématographique.
La représentation de la violence, entre fiction et réalité
En effet, ce documentaire est très intéressant pour la question de la violence dans la mesure où les auteurs des massacres sont ceux qui racontent l’Histoire (quand normalement ce sont les victimes, ou des tiers) et il décide de représenter la violence, en plus du récit, à l’aide d’épisodes fictionnels.
Un lien est tissé entre ces images fictionnelles de la violence, inspiré des films hollywoodiens, et les récits des meurtres : en effet, un des meurtrier dit
“J’ai tué dans la vraie vie. Il n’y a jamais eu de film qui l’ait fait, ce n’était que de la fiction. Aucun film n’était réel. Nous l’avons fait en réalité.”
Il y a une insistance sur la fictivité des représentations, où personne n’est réellement tué, ce qui transparaît aussi directement dans l’image où nous voyons les coulisses, les caméras…mais dans le même temps, le documentaire souligne que les meurtres d’Anwar Congo étaient empruntés aux films hollywoodiens : ainsi, dans le même temps que ces représentations fictionnelles ne voient jamais de réels meurtre en leur sein, ces images cinématographiques conduisent à de réels meurtres, en forgeant l’imagination des gangsters par exemple. Ainsi, les récits et les images fictionnels agissent comme des doubles : à la fois l’origine fictive des meurtres puis leur mise en acte. Ainsi, le réalisateur affirme même :
« L’une des conséquences de l’idée que le traumatisme du génocide dépasse inévitablement l’image cinématographique est de négliger l’implication de cette image dans le génocide lui-même ».
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En conclusion, ce documentaire est très intéressant pour la question de la violence par la manière dont il l’aborde de manière très directe et inédite, par le récit des meurtriers même. Néanmoins, le documentaire interroge également cette violence, en réfléchissant à ses origines, qui remontent notamment aux images cinématographiques, établissant dès lors un parallèle entre fiction et réalité.