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Réforme judiciaire polémique au Méxique

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La réforme judiciaire actuellement en discussion au Mexique est sans conteste l’une des plus profondes des trente dernières années. Elle est à l’origine de nombreux débats passionnés et de manifestations massives, notamment le 10 septembre dernier, où plusieurs centaines de manifestants ont envahi le siège du Sénat à Mexico. Cette réforme, appuyée par le président sortant Andrés Manuel López Obrador (AMLO), introduit des changements radicaux dans le fonctionnement de la justice mexicaine, notamment l’élection par vote populaire de près de deux mille magistrats et juges du système fédéral, y compris ceux de la Cour suprême. 

Pour AMLO et son parti, ce bouleversement représente un effort pour démocratiser la justice dans un pays où l’élite politique et économique semble avoir une mainmise sur le système judiciaire. Toutefois, les détracteurs de cette réforme y voient une tentative de politisation du système judiciaire, qui devrait en principe rester impartial. Cet article se propose d’expliquer les modifications apportées par cette réforme et d’analyser les raisons de la vive controverse qu’elle suscite. 

 

Les détails de la réforme 

 Il est important de préciser que cette réforme judiciaire concerne exclusivement le système judiciaire fédéral, qui englobe environ 20 % des affaires judiciaires du pays, le reste étant géré par les juridictions locales. Le changement majeur introduit par cette réforme est le passage d’une désignation des juges par le pouvoir exécutif et législatif à une élection par le vote populaire. Actuellement, pour la Cour suprême par exemple, le président du Mexique nomme les ministres , et ces nominations sont ensuite soumises à l’approbation du Congrès. Une fois en place, les ministres de la Cour élisent eux-mêmes les juges de la cour suprême. 

Avec la réforme, ce système va changer radicalement. Désormais, le pouvoir judiciaire, le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif proposeront chacun des candidats, et ce sera aux citoyens mexicains de choisir leurs juges par le biais d’un vote. Cette mesure est présentée comme un pas vers la transparence et l’inclusion des citoyens dans le processus de décision judiciaire. 

En outre, les conditions pour devenir juge ou magistrat seront modifiées. Traditionnellement, les candidats devaient passer plusieurs étapes rigoureuses : un examen d’entrée, une formation spécialisée et enfin une évaluation finale. Sous la nouvelle réforme, ces étapes seront supprimées. Désormais, les candidats devront simplement être titulaires d’un diplôme en droit et justifier d’une expérience significative dans le domaine juridique. Leur candidature sera ensuite soumise au jugement populaire lors des élections. 

Un autre changement notoire concerne les privilèges des juges de la Cour suprême. Actuellement, ces juges bénéficient d’une pension à vie après leur service. La réforme propose de supprimer cette pension et introduit également une disposition stipulant qu’aucun fonctionnaire ne pourra recevoir un salaire supérieur à celui du président du Mexique. 

Bien que la réforme ne soit pas encore approuvée, son adoption semble très probable. En effet, le parti politique Morena, auquel appartient Claudia Sheinbaum, la future présidente, détient la majorité au Congrès et au Sénat. Cette configuration politique rend son passage presque certain, malgré les protestations croissantes. 

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Une réforme source de controverse 

Cette réforme, bien qu’elle soit présentée comme une avancée démocratique, a suscité une vive opposition de la part de nombreux secteurs de la société mexicaine. En effet, si elle est adoptée, le Mexique deviendra le premier pays au monde où les juges, y compris ceux de la Cour suprême, seront élus par le vote populaire. 

Les détracteurs de cette réforme craignent que l’élection des juges par le peuple ne conduise à une polarisation politique encore plus marquée. Selon eux, un tel système risque de compromettre l’indépendance du pouvoir judiciaire, qui doit être à l’abri des influences politiques pour garantir son impartialité. En outre, certains estiment que les juges élus pourraient être tentés de rendre des décisions en faveur des électeurs qui les ont soutenus afin de garantir leur réélection. Un tel biais pourrait conduire à une justice populiste, où les juges favoriseraient la majorité au détriment des minorités et des causes moins populaires. 

D’autres critiques soulignent que la réforme a été approuvée de manière précipitée, sans véritable débat public ni concertation, en raison de la majorité écrasante du parti au pouvoir. Ce manque de dialogue démocratique est perçu comme un signe d’autoritarisme par certains opposants. 

Sur la scène internationale, cette réforme a également suscité des inquiétudes. L’ambassade des États-Unis au Mexique, par l’intermédiaire de l’ambassadeur Ken Salazar, a exprimé des réserves, qualifiant la réforme de menace pour la démocratie mexicaine. Selon lui, la mise en place de cette réforme pourrait avoir des conséquences néfastes sur les relations commerciales entre les deux pays voisins. 

Les organisations non gouvernementales (ONG) se sont également jointes à la critique. Human Rights Watch, notamment, a tiré la sonnette d’alarme quant aux risques que cette réforme fait peser sur l’indépendance du système judiciaire mexicain. Selon l’organisation, un système judiciaire sous influence populaire pourrait affaiblir la protection des droits humains et compromettre l’accès à une justice impartiale. 

 

L’héritage politique d’AMLO 

Pour le président sortant, Andrés Manuel López Obrador, cette réforme s’inscrit dans son projet politique ambitieux, connu sous le nom de “Quatrième Transformation” (4T). Cette initiative vise à transformer profondément le Mexique, à l’instar des grands bouleversements historiques tels que l’indépendance du Mexique en 1810, les Lois de Réforme en 1860 et la Révolution mexicaine de 1910. 

La relation entre AMLO et la Cour suprême a souvent été conflictuelle. Au cours de son mandat, la Cour a bloqué plusieurs de ses projets de lois, ce qui a exacerbé les tensions entre le président et l’institution judiciaire. AMLO n’a pas hésité à qualifier la Cour Suprême de “bastion de l’opposition” et l’a accusée de défendre les intérêts des élites économiques et politiques du pays. 

Le président, qui cèdera le pouvoir à Claudia Sheinbaum le 1er octobre prochain, voit dans cette réforme une manière de réduire la corruption et de rendre la justice accessible à tous, et non plus seulement aux plus puissants. Il justifie ces changements en soulignant que plus de 90 % des crimes restent impunis au Mexique, une statistique alarmante qui reflète l’inefficacité du système judiciaire actuel. 

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Piotr Sienicki