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La violence dans Crime et châtiment de Dostoïevski

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la violence dans crime et châtiment de dostoïevski

Notre rubrique avoir du biscuit en dissert’ fait son grand retour ! Après quatre numéros consacrés au thème « Le monde » et une pause estivale bien méritée, nous nous intéresserons désormais au nouveau thème de culture générale, « la violence ». Le présent article commence fort. Il sera question de l’un des chefs-d’œuvre de l’écrivain russe Dostoïevski. Un roman profond, poignant et psychologique : Crime et châtiment. Cet œuvre plonge au plus profond de l’âme humaine. Elle dépeint avec une justesse déroutante ses recoins les plus sombres, ses tendances les plus macabres, mais aussi son désir éperdu de rédemption.

La violence y est partout, omniprésente. Elle guette le lecteur au tournant de chaque page, se manifestant sous des formes variées et subtiles. On comprend l’enjeu de l’étude de cette œuvre littéraire capitale pour le thème de cette année. Cet article comprend deux parties. La première résume très succinctement le roman dans ses grandes lignes, afin de vous en donner une vue d’ensemble. La seconde, quant à elle, dégage explicitement les enseignements de Dostoïevski sur la violence. Sans plus attendre, entamons notre lente descente vers les tréfonds de la psyché humaine.

 

Violence du crime et souffrance du châtiment : résumé du roman

Crime et châtiment est l’histoire d’un jeune étudiant, pauvre mais généreux, altier et intelligent : Rodion Romanovitch Raskolnikov. Persuadé d’être un « grand homme » promis à un destin extraordinaire mais entravé dans sa quête par la pauvreté exubérante dont il souffre, celui-ci se résout à commettre un crime. Il assassine une vielle et riche usurière dans le but de dérober son argent et de s’arracher à sa condition. La vielle, personnage cruelle et détestable, profitait de la misère des pauvres gens pour s’enrichir. Dans le feu de l’action, Raskolnikov se voit également contraint de tuer la sœur de l’usurière, femme innocente et fragile, celle-ci l’ayant surpris lors de son premier meurtre.

Seulement, au moment de son crime Raskolnikov perd complètement contenance. Transi par l’effroi de l’acte qu’il vient de commettre, il s’enfuit (de justesse) avec une somme ridicule qu’il finira par jeter, de peur qu’on remonte jusqu’à lui. Les jours qui suivent marquent le début de sa descente aux enfers. Raskolnikov est harcelé, violenté en permanence par sa conscience morale. Une paranoïa omniprésente s’empare de tout son être. Il pense qu’on l’épie, qu’on s’apprête à l’arrêter…  Plus il avance dans le temps et plus il a le sentiment que sa raison l’abandonne, le laissant en proie à une folie irrépressible. Raskolnikov alterne entre des moments où il souhaite se rendre lui-même à la police pour que son supplice finisse enfin et d’autres où il cherche désespérément à y échapper.

Un inspecteur de police, Porphyr Petrovitch, finira par voir clair dans son jeu. Bien que n’ayant pas de preuves matérielles, il se persuade de la culpabilité du jeune Rodion. Accablé par sa conscience, en proie à un tourment moral insupportable Raskolnikov finit par avouer. Il sera condamné à la déportation, huit années durant, dans un bagne de Sibérie.

 

Les deux violences de Crime et Châtiment

Comme nous allons le voir dans la présente partie, on distingue, dans le roman de Dostoïevski, deux formes de violence très différentes. Ces deux formes de violence sont cristallisées dans le personnage de Raskolnikov. La première, physique en son essence, est celle de l’acte même du crime. C’est la violence de la hache qui pénètre et rompt les chairs, qui tue. La seconde est morale et auto-infligée. C’est la violence de la conscience s’acharnant contre elle-même, et qui cherche, désespérément, une voie vers le pardon.

 

La violence comme moyen en vue d’une fin, privilège des hommes supérieurs

Pourquoi Raskolnikov franchit-il le pas ? Qu’est-ce qui le pousse véritablement à tuer la vielle usurière ? En d’autres termes, quelle est la cause de la violence à laquelle il a recourt ? Le résumé de la première partie donne une réponse… lacunaire à dessein. On pourrait penser que son crime n’est motivé que par la volonté de s’affranchir de la pauvreté, qui plus est en éliminant une personne absolument infâme. Dans une certaine mesure, cela est vrai, mais le pouvoir explicatif de ce fait est faible. Pour comprendre, il faut préciser un détail important du roman.

Quelques mois avant son crime, Raskolnikov écrit un article qui finit par être publié dans un journal, sans que celui-ci ne le sache. (C’est d’ailleurs cet article qui instillera le doute chez Porphyr Petrovitch quant à l’innocence du jeune homme). Dans cet article, Raskolnikov soutient une thèse assez peu originale en soi et déjà exposée maintes fois par une foule d’auteurs. Ses conclusions, en revanche, sont plutôt originales et même troublantes. Il y explique que la société se divise en deux castes d’individus. D’un côté il y a la plèbe. La masse informe et grouillante des hommes ordinaires, aseptisés et normaux, qui sont légion. De l’autre, il y a les exceptions, les « hommes supérieurs », investis d’une force innée qui les pousse vers un destin grandiose. Napoléon, explique-t-il, en est l’exemple par excellence.

Or, selon Raskolnikov, il se trouve que les exceptions sont « au-dessus » des lois. Non seulement les lois juridiques et institutionnelles, celles qui régissent la société. (Et dont les exceptions sont-elles mêmes les auteurs). Mais aussi et surtout les lois morale. Dans le sens où, un « homme supérieur » commettant un crime, et même plusieurs crimes, un millions de crimes, n’en ressentira pas la moindre culpabilité. Il reprend l’exemple de Napoléon qui a envoyé périr dans le brasier de la guerre des centaines de milliers de vies humaines, et qui a été applaudi pour cela. Selon son analyse, la violence est donc le privilège de la caste des exceptions. Celles-ci, investies de destinées hors-du-commun, doivent y avoir recours pour mener leurs projets à bien. La violence est donc une arme dont l’utilisation n’est justifiée que pour une certaine classe d’individus.

 

La violence comme chemin de croix nécessaire vers la rédemption

Il est évident que Raskolnikov pensait être lui-même une exception. Or, immédiatement après l’acte fatidique qui fera de lui un assassin, la réalité le frappe en pleine face. Il s’avère qu’il n’est pas du tout capable de supporter le poids de son crime. Sa raison tremble, vacille, menace carrément de l’abandonner. Cette faiblesse, cette incapacité à ne pas éprouver de regrets, prouve, selon sa propre théorie, qu’il n’appartient pas à la caste d’individus dont il se réclamait. Pour Raskolnikov la peine est donc double. Non seulement il a commis un crime atroce, dont il n’a nullement pu tirer parti, mais en plus de cela, son cuisant échec a révélé au grand jour l’insupportable banalité de son être. Raskolnikov est un individu ordinaire qui s’est pris pour un élu. Une fourmi qui s’est prise pour un tigre.

Commence alors un douloureux chemin de croix vers la rédemption. Pendant tout le reste du roman, et ce jusqu’à la « catastrophe finale », Raskolnikov endurera les pires tourments psychologiques. Une violence morale absolument insupportable et auto-administrée en permanence ne le quittera plus. Cette forme de violence à laquelle il est confronté est tout à fait remarquable. En effet, celle-ci n’émane que de lui, et n’a pour cible que sa propre personne. C’est la violence comme prix à payer pour répondre de ses actes. Car, évidemment, Raskolnikov ne souffre pas dans le vide. Les affres qu’il affrontera jusqu’à la fin du livre ont une visée claire : racheter l’horreur de son crime.

Par-là, Dostoïevski nous met en garde. Un double enseignement se dégage de son roman. Premièrement, on comprend que la capacité d’un homme à faire subir la violence à autrui excède de très loin sa capacité à la supporter lui-même. Deuxièmement, il existe en chacun de nous un juge et un bourreau silencieux. Ce juge épie chacun de nos actes et nous punit au moindre faux pas. La violence dont il use sert à nous racheter. Car ici-bas, et c’est là l’enseignement capital de Crime et châtiment, il ne peut y avoir de rédemption sans souffrance, et donc sans violence.

Lire plus : une première approche du thème “la violence”

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Victor Passe
Après 3 ans en classes préparatoires ECE je serai étudiant à Skema BS à la rentrée 2022. Comme je sais qu'en prépa un peu d'aide n'est jamais de refus, c'est avec plaisir que je vous propose la mienne ;)