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Le cycle Kondratiev, intérêts et controverses

Sommaire

Dans cet article, nous allons faire le point sur le cycle Kondratiev. Un rappel intéressant pour revoir des notions classiques d’ESH.  

 

I/ Des cycles longs propres au système économique capitalisme

Lien: Les analyses des cycles longs en ESH 

 

A/ La méthode de révélation des “ vagues longues”

La méthodologie utilisée se fonde sur une relation de long terme prix/production. Les périodes d’accélération de l’inflation sont interprétées comme la conséquence d’une demande soutenue, d’un niveau d’emploi élevé, voire d’une saturation des capacités productives tandis que les phases de ralentissement de l’inflation ou de déflation sont analysées comme la manifestation de la montée du chômage ou d’une tendance à la surproduction.

Parce que les mouvements de prix sont indicateurs de variations de production, il suffit d’analyser des séries statistiques relatives aux prix. Le cycle long est donc fondamentalement un cycle des prix qui, par extension, devient une représentation de la dynamique capitaliste et de ses contradictions profondes. Plus précisément, c’est à 21 séries statistiques que Nicolaï D. Kondratiev va s’intéresser, essentiellement représentatives des mouvements des prix de gros de 1770 à 1920, et ce pour 4 pays capitalistes (France, Grande-Bretagne, Allemagne, USA). Sur cette base, Kondratiev met en évidence 2 cycles et demi : 1790-1848 (retournement en 1814), 1848-1896 (retournement en 1873), 1896-1919 (phase A). La tentation existe de repérer par la suite une phase B (1919-1945) puis un nouveau cycle à compter de 1945. Il s’agit là d’un découpage historique d’une régularité telle, que bien que Kondratiev lui-même s’en défende, le cycle long peut être un instrument pertinent de prévision économique et donc d’anticipation des mouvements de l’activité.

De surcroît, il est possible de tirer de nombreux enseignements théoriques du cycle Kondratiev : est-il surprenant que la célèbre loi des débouchés de J-B Say (1803, Traité d’économie politique) fut conçue en pleine prospérité napoléonienne, que la propagation des idées socialistes se fit dans la phase B du premier Kondratiev, ou encore que le paradigme keynésien émergea en plein marasme économique. Le cycle long peut alors être conçu comme le cadre explicatif de l’évolution de la pensée économique et des espoirs et doutes relatifs à la capacité du capitalisme d’œuvrer à l’harmonie sociale.

 

B/ Le cycle long ou la dynamique du capitalisme

Nicolaï Kondratiev avait pour ambition de montrer que le capitalisme obéissait à une dynamique économique de long terme fondée sur une évolution de l’accumulation du capital et du taux d’intérêt. Dans la phase A, la croissance est tirée par l’investissement mais menacée par la raréfaction de l’épargne et la hausse des taux d’intérêt jusqu’au moment où la crise se produit. Inversement, la phase B voit l’épargne se reconstituer, les taux d’intérêt baissent, favorisant une reprise de l’accumulation du capital: une nouvelle phase A débute alors.

Dans une optique Marxiste plus orthodoxe, l’école du Capitalisme Monopoliste d’Etat analysera, dans les années 1960, les vagues longues du capitalisme à partir de la célèbre loi de la baisse tendancielle du taux de profit. Ainsi, dans la phase A, le taux d’exploitation (pl/v) progresse plus vite que la Composition Organique du Capital (c/v), permettant la hausse du taux de profit. Pourtant, sous l’action d’une C.O.C. qui s’élève historiquement, le taux de profit se retourne, précipitant l’économie capitaliste dans la crise et obligeant à une réorganisation des structures de marchés (la monopolisation et les nationalisations s’imposent comme la condition de la restauration des profits). Ce sont donc bien les contradictions du capitalisme qui seraient révélées au travers du cycle Kondratiev.

Néanmoins, les limites des analyses précédentes (par exemple, comment continuer à affirmer la nécessité pour l’Etat de collectiviser la partie du capital la moins rentable à l’heure des privations massives ?) ainsi que la lisibilité de l’analyse de Schumpeter vont participer à populariser l’analyse considérée comme la plus aboutie du cycle long. Prolongeant ses travaux de 1911 (Théorie de l’évolution économique), J.A. Schumpeter développe dans Business Cycles (1939) une théorie de la dynamique économique capitaliste axée sur l’impact du progrès technique.

Des “grappes” se structurant autour d’une innovation majeure, l’entrepreneur-innovateur devient le poumon du système économique capitaliste en cristallisant dans l’appareil de production, les innovations. Le cycle long constitue donc, pour Schumpeter, la clé explicative d’une évolution du capitalisme qui prend consubstantiellement la forme d’un processus de destruction créatrice. Il ne serait alors ni possible, ni souhaitable de se passer des cycles.

 

 

II/ Quelle est la véritable nature du cycle Kondratiev ?

Lien: Synthèse sur les cycles économiques selon Schumpeter

 

A/ S’agit-il véritablement d’un cycle endogène ?

Un élément troublant concerne l’impact des guerres sur les prix et dès lors, la relation qui peut unir cycle long et guerres : et si le Kondratiev n’était ni plus ni moins qu’un cycle, alors exogène, manifestant la distribution des conflits sur longue période? En effet, il est facile de comprendre que les guerres sont à l’origine d’une accélération de l’inflation (la préparation de la guerre est à l’origine d’un accroissement des dépenses militaires alors que la guerre s’accompagne généralement d’une pénurie des biens de consommation et d’un financement monétaire de l’effort de guerre) généralement suivie d’une période de déflation. Les exemples sont nombreux : guerres napoléoniennes jusqu’en 1815 (et retournement du Kondratiev), guerre de sécession de 1861 à 1865 (et situation inflationniste jusqu’en 1870-73), première guerre mondiale (et situation inflationniste voire hyper inflationniste jusqu’au début des années 1920). Les années post seconde guerre mondiale ne constitueraient pas un contre exemple sachant que l’inflation des 30 glorieuses pourrait s’expliquer par une guerre froide activant la course aux armements entre les deux blocs.

Q. Wright (A study of war, 1942) et J. Akerman (Structures et cycles économiques, 1955) ont même observé une récurrence et une périodicité des grandes guerres, avec des effets inévitables sur l’activité économique. D’après Wright, si les conflits importants reviennent avec une périodicité d’un demi siècle, c’est parce que « l’homme guerrier ne veut pas se battre de nouveau et il conditionne son fils dans la même veine d’opposition aux guerres, mais les petits-fils apprennent à voir la guerre comme romantique ».


Le cycle Kondratiev ne révélerait alors aucune contradiction du capitalisme mais une évolution intergénérationnelle du goût de la guerre.

Cependant, il suffirait de considérer avec Lénine (L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, 1916) que la nécessité de la guerre est en lien avec la baisse tendancielle du taux de profit pour refaire du cycle Kondratiev, un cycle inhérent au mode de production capitaliste. La difficulté à laquelle est confrontée cette analyse vient de ce que des cycles de 50 ans se seraient manifestés avant la genèse du capitalisme. Ainsi, W. Thomson et G. Modelski ont montré, en 1996, que des vagues longues existent depuis le moyen âge (le 10 siècle précisément).

Dès lors, on se doute que la question de la pertinence de la méthodologie de mise en évidence du Kondratiev, est centrale: doit-on penser, avec M. Godet (Nouvelle croissance ou Vieilles Lunes, 2000) que, compte tenu de la méthodologie employée, le cycle long est une tromperie ?

 

B/ L’existence même d’un cycle Kondratiev en question

Force est de constater la forte irrégularité de la périodicité du Kondratiev. Dans une étude de 1979, le néo Schumpétérien Mensch croit repérer une phase B sur la période 1814-1827 puis une autre de 1870 à 1895. L’amplitude peut alors être de 13 ou de 25 ans soit une variation de près de 100% !!! Comment alors estimer qu’il s’agisse d’un cycle ong. Au mieux s’agira t-il alors de vagues longues ? Par ailleurs, une étude menée par J. P. Goldstein en 1999 arriva à la conclusion que les vagues longues existaient bel et bien mais qu’elles étaient limitées à certains pays (Canada, USA, Grande-Bretagne…) alors qu’elles épargnaient totalement d’autres économies telles l’Allemagne ou encore les pays Nordiques.

Dès lors, les mouvements longs ne seraient pas révélateurs des limites du fonctionnement du capitalisme en général mais au mieux d’un certain type de capitalisme (il serait simple de penser qu’ il s’ agit du capitalisme anglo-saxon si la France et la Belgique n’ étaient pas également concernées…). On peut même aller plus loin en notant, comme le fait E. Bosserelle, que « la présence de fluctuations longues a été signalée dans l’ex-économie soviétique ».

C’est alors bien évidemment la nature même du Kondratiev qui s’en trouve contestée.

Une critique plus radicale encore fut formulée en 1927 par Slutsky qui prouva qu’à partir de séries statistiques totalement aléatoires, il était possible de mettre en évidence des fluctuations. Enfin, quelle crédibilité accordée à un cycle qui parle de croissance longue pour la période 1896-1919 alors que la France connut un Taux de Croissance Annuel Moyen (TCAM) de 1,8% et de phase B pour la période 1973-1995 avec un TCAM de 2,2% ?

 

Lien: L’économie du partage, une alternative au capitalisme ?

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