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Le meilleur des mondes de Huxley : la violence d’une société sans défauts

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La dystopie publiée en 1932 explore une société futuriste où la destinée de l’individu, de sa conception à sa mort, est entièrement contrôlée par le gouvernement. A première vue, la violence semble avoir été complètement abolie d’une telle société, mais elle se révèle en réalité omniprésente.

 

Une société sans défauts où la violence semble avoir disparu

Dans cette société où chaque mentalité est conditionnée à accepter l’ordre social, la violence et la douleur ne semblent plus exister. C’est ce dont se targue Mustapha Menier, l’administrateur mondial qui reçoit John le Sauvage et Bernard Marx à la fin du roman.

« En fin de compte, dit Mustapha Menier, les Administrateurs se rendirent compte de l’inefficacité de la violence. Les méthodes plus lentes, mais infiniment plus sûres, de l’ectogenèse, de conditionnement néo-Pavlovien, et de l’hypnopédie… » Chapitre 3

En effet, pour assurer à chaque citoyen l’existence la plus heureuse possible, l’État se charge de modeler l’ordre social, c’est-à-dire d’attribuer à chaque individu une caste et un rôle dans la société. Mais pour s’assurer de la stabilité de l’ordre social, priorité absolue des gouvernants, le pouvoir maintient les individus dans un état de bonheur artificiel, au moyen d’une drogue consommée quotidiennement par les citoyens : le soma.

C’est cette drogue qui rend la violence inutile et donc absente en surface de cette société. Puisque les citoyens sont satisfaits de leur existence, il n’est nul besoin de se révolter contre l’ordre établi.

Dès lors, la société décrite par Huxley ne montre en apparence aucun signe de violence. C’est le cas lors de l’émeute provoquée par Bernard Marx à l’hôpital. La police se contente de diffuser des messages d’apaisement et des vapeurs de soma pour calmer les Deltas furibonds. De même, la pire des punitions, réservée aux individus déviants, est l’exil sur une île. C’est ce qui est imposé à Bernard Marx et à son camarade d’infortune Helmholtz Watson.

Derrière la vitrine du progrès, la violence du conditionnement

Cependant, au travers des descriptions précises de la machine sociale, Huxley révèle l’intensité de la violence sous-jacente. Aldous Huxley consacre une grande partie du roman aux moyens mis en œuvre par le pouvoir central pour arriver à cet ordre social apaisé et parfaitement heureux, du moins en apparence. Et c’est précisément dans les moyens que se cache une violence extrême.

 

La violence physique du conditionnement

Dès les premières pages, consacrées au « centre d’incubation », émerge la violence du conditionnement des embryons à leur future existence. Le lecteur découvre que les futurs mineurs sont exposés à des chaleurs intenses, et que les Deltas et Epsilons apprennent à associer lecture et douleur. Le directeur vante à ses visiteurs l’efficacité de processus très violents qui créent, chez les embryons de classes inférieures, des traumatismes durables. C’est le cas de la torture infligée aux bébés après leur avoir présenté un livre.

« — Et maintenant, cria le Directeur (car le bruit était assourdissant), maintenant, nous passons à l’opération qui a pour but de faire pénétrer la leçon bien à fond, au moyen d’une légère secousse électrique.

Il agita de nouveau la main, et l’Infirmière-Chef abaissa un second levier. Les cris des enfants changèrent soudain de ton. Il y avait quelque chose de désespéré, de presque dément, dans les hurlements perçants et spasmodiques qu’ils lancèrent alors. » Chapitre 2

 

La violence psychologique et sexuelle imposée aux citoyens

Mais la violence n’est pas seulement physique : elle est aussi psychologique, en particulier dans l’enseignement hypnopédique reçu par chaque enfant. C’est l’un des traumatismes de Linda, mère de John le « Sauvage ». Elle se rappelle les enregistrements diffusés dans son sommeil chaque nuit. Bernard Marx, lui aussi, n’aura cesse de mentionner des « truismes hypnopédiques » entendus dans son sommeil. Il affirme par exemple avoir entendu « la science est tout au monde » « trois fois par semaine, de treize à dix-sept ans ». L’enseignement hypnopédique est donc un véritable viol mental de chaque individu, par lequel lui sont inculquées de force les normes et valeurs de la société.

Plus largement, la violence est aussi présente dans les mœurs sexuelles imposées par le gouvernement. Les jeunes enfants se doivent de pratiquer des jeux érotiques dès leur plus jeune âge. Aucune intimité n’est donc vraiment possible. On peut voir dans la devise « tout le monde appartient à tout le monde » la violence du rejet systématique de toute sphère privée.

Lire aussi : Une première approche du thème « la violence »

 
 

La figure paradoxale du Sauvage, symbole et victime de la violence

Enfin, la figure du Sauvage incarne doublement la violence enracinée dans le modèle social du Meilleur des mondes.

D’une part, John semble être le représentant ou le témoin d’une violence archaïque, celle de l’ancien monde. Dans la propagande officielle, les sociétés anciennes sont des sociétés où règne la violence. C’est ainsi que Bernard Marx et Lenina Crowne, sa compagne, sont témoins d’une scène de culte religieux extrêmement brutale, au cours de laquelle un jeune homme est fouetté. De même, le père de John, Popé, n’hésite pas à violemment battre sa femme Linda, tout comme John battra Lenina alors que celle-ci se déshabille devant lui. Huxley va jusqu’à préciser que ces sociétés archaïques se sont auto-détruites par les armes, lors de la Guerre de Neuf ans.

D’autre part, dans la dernière partie du roman, John se révèle être aussi la victime de la violence intimement liée au modèle social. Indirectement d’abord : son village indien a été plusieurs fois bombardé par la société moderne dans le passé. Puis John lui-même subit la violence d’une société uniformisée.Déjà annoncé par la figure de Marx, homme Alpha décrié car ressemblant à un Beta, le conformisme exacerbé de la société est porteur d’une grande violence. Après s’être exilé hors de Londres, John est rendu fou par les journalistes. Ceux-ci le pourchassent en hélicoptère car la singularité du Sauvage les fascine. John finit par s’en prendre violemment à Lenina venue lui rendre visite, avant de se pendre dans le phare qui lui servait de refuge.

« Attirés par la fascination de l’horreur de la douleur, et intérieurement, poussés par cette habitude de l’action commune, ce désir d’unanimité et de communion, que leur conditionnement avait si indélébilement implantés en eux, ils se mirent à mimer la frénésie de ses gestes, se frappant les uns les autres tandis que le Sauvage frappait sa propre chair rebelle, ou cette incarnation potelée de la turpitude qui se tordait dans la bruyère à ses pieds.

— À mort, à mort, à mort !… continuait à crier le Sauvage. »Chapitre 18

Le dénouement du roman consacre ainsi la figure du Sauvage comme celle d’un personnage dont le rapport à la violence est éminemment paradoxal. Héritier de la violence traditionnelle, mais aussi victime de la violence moderne, John se fait enfin l’acteur de cette dernière, contre Lenina puis contre lui-même.

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Constantin SIMON
Élève à HEC Paris après deux ans à Stanislas (Paris 6), je suis rédacteur pour Mister Prépa et Planète Grandes Écoles. J'écris des articles dans les rubriques Géopolitique, Mathématiques, Python, Langues.