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Mais qu’est-il arrivé à l’industrie allemande ?

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La nouvelle a résonné comme une onde de choc dans le milieu de l’industrie européenne : fin octobre 2024, le constructeur automobile Volkswagen a annoncé la fermeture de trois de ses usines en Allemagne, une première historique pour le géant de l’automobile. De son côté, Audi a annoncé la fermeture de son site de Bruxelles début 2025.

Le constat : après une contraction de 0.3% de son PIB l’an dernier, l’économie allemande s’attend à une nouvelle récession en 2024 qui serait de l’ordre de 0.2% du PIB. En plus de voir ses perspectives économiques se dégrader, le pays essuie une crise politique grave, depuis que le chancelier SPD Olaf Scholz a mis fin à la coalition gouvernementale en congédiant son ministre des Finances Christian Lindner (FDP), qui lui permettait d’avoir la majorité au parlement.

On le voit, l’Allemagne peine à retrouver son dynamisme, contrairement aux autres pays de la zone euro, qui atteindront un taux de croissance estimé à 1.1% en 2024. Mais pour pouvoir expliquer les raisons du déclin actuel de l’industrie allemande, pilier de son économie, il faut d’abord remonter à l’origine de son succès.

 

Lire plus : Les divisions de l’Allemagne aux origines de l’ascension d’Hitler

 

Les années 2000 : le premier tournant pour l’industrie allemande

Petit retour en arrière. Pour comprendre la prospérité de l’industrie allemande jusqu’à l’heure actuelle, il faut remonter à mars 2002, date à laquelle une réforme du marché du travail est engagée par le chancelier SPD de l’époque, Gerhard Schröder. Cette réforme vise à flexibiliser le marché du travail et à renforcer la compétitivité-prix des entreprises allemandes pour favoriser les exportations sur un marché de plus en plus internationalisé.

Les lois Hartz prévoient notamment : (1) la création d’agences d’intérim qui offrent des formations aux demandeurs d’emploi ; (2) une facilitation de l’auto-entreprenariat ; (3) un transfert des pouvoir du service de l’emploi aux autorités locales, selon les conditions du marché du travail propres au Land ; (4) l’introduction de nouveaux types de contrat de travail. Outre ces mesures, les lois Hartz durcissent les conditions d’accès à l’allocation chômage et obligent les demandeurs d’emploi à accepter des offres d’emplois même éloignées géographiquement (jusqu’à 180 km du domicile) ou mal rémunérées (comme les fameux « mini-jobs ») sous peine d’une suppression des aides.

La flexibilisation du marché du travail en Allemagne a un effet direct sur le niveau de rémunération des travailleurs : en effet, quand on applique le modèle WS-PS au marché du travail allemand, on s’aperçoit que la baisse du pouvoir de négociation des travailleurs engendre une baisse de leurs salaires horaires (cf. schéma).

Malgré les critiques suscitées, les lois Hartz produisent un effet immédiat sur l’économie allemande : entre 2002 et 2020, le taux de chômage allemand passe de 8.2% à 3.1%, tandis qu’en France, celui-ci stagne entre 8.2% à 7.9%. Ainsi, le pays qui était encore surnommé au début des années 2000 « l’homme malade de l’Europe » à cause de la difficile réunification avec l’Allemagne de l’Est est devenu en l’espace de vingt ans la première puissance économique et industrielle européenne.

Enfin, outre cette hausse de la flexibilité du marché du travail, l’Allemagne bénéficiait jusqu’à présent d’un coût du travail moins élevé que ses concurrents. Jusqu’en 2015, il n’existe pas de salaire minimum interprofessionnel, les minima salariaux étant fixés par secteurs. Après l’introduction du salaire minimum en 2015, celui-ci demeure moins élevé que ses voisins européens, à 8.50€ bruts de l’heure, contre 9.61€ en France et 9.03€ au Royaume-Uni.

 

Les causes du déclin

Depuis la sortie de la crise Covid, l’industrie allemande voit ses coûts de production enfler en raison de deux facteurs principaux : la hausse du coût du travail, d’une part, et, d’autre part, la hausse des prix de l’énergie.

En effet, le salaire minimum allemand a brusquement augmenté pour faire face à l’inflation et est désormais porté à 2054€ bruts mensuels, plus élevé qu’en France (1801.80€ bruts depuis le 1er novembre 2024). Pire encore, l’Allemagne fait actuellement face à un manque de main-d’œuvre qualifiée, notamment à cause du vieillissement démographique.  Ainsi, près de 2 millions de postes sont encore vacants à travers le pays.

 

Pour en savoir plus sur le manque de main-d’œuvre qualifiée en Allemagne : La pénurie de main-d’œuvre qualifiée en Allemagne – Mister Prépa

 

Outre le niveau des salaires, l’énergie pèse pour une part de plus en plus importante dans les coûts de production des industriels. En effet, depuis le début de la guerre en Ukraine, l’embargo sur les importations de gaz russe prive l’industrie allemande d’une énergie peu chère et impose d’importer massivement depuis les États-Unis, pour un coût deux fois plus élevé. Le prix de l’électricité a lui aussi fortement augmenté depuis que le gouvernement fédéral a pris la décision de fermer les trois derniers réacteurs nucléaires du pays en avril 2023 en vue de passer à une énergie plus verte mais plus coûteuse. Au final, le prix moyen de l’électricité pour les entreprises en Allemagne revient à 68€/MWh, soit 30% de plus qu’en France.

Enfin, l’industrie allemande est victime de la montée en puissance des pays émergents qui renforcent la concurrence internationale, et notamment celle de la Chine. En effet, la Chine constitue désormais un concurrent de taille sur le marché de l’automobile et des machines-outils. On le voit, l’industrie automobile allemande peine à tourner la page du moteur thermique tandis que la Chine s’impose désormais le marché mondial de la voiture électrique. Cette perte de compétitivité entraîne des conséquences financières importantes sur les constructeurs automobiles allemands et est l’une des causes des licenciements massifs décidés par Volkswagen cet été.

 

Lire plus : Les relations entre l’Allemagne et la Chine – Mister Prépa

 

Cependant, si l’industrie allemande connaît actuellement un déclin relatif, ce bilan reste malgré tout mitigé. Ainsi, malgré la crise subie de plein fouet par le secteur de l’automobile ou encore le secteur de la sidérurgie, d’autres branches continuent de prospérer. C’est notamment le cas de l’industrie pharmaceutique, qui place le pays en quatrième position dans le classement mondial des producteurs de médicaments.

 

Pour aller plus loin :

  1. LAYARD, S. NICKELL, R. JACKMAN, “Unemployment: Macroeconomic Performance and the Labour Market”, 1991
  2. BOUVARD, L. RAMBERT, L. ROMANELLO, N. STUDER, « Réformes Hartz : quels effets sur le marché du travail allemand ? », 2013
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Jonathan Cador