Comme tu le sais déjà, le thème de Culture Générale des concours 2024 en filière économique et commerciale est la violence. Je te propose aujourd’hui de nous intéresser à une forme particulière que peut prendre la violence : la tyrannie. Et ce, au travers du célèbre Discours de la servitude volontaire d’Etienne de la Boétie. Ce pamphlet (aussi dénommé Le Contr’un) dénonce une attitude non-violente de la population, qui préfère obéir à son chef plutôt qu’à se faire violence en se révoltant. Nous éluciderons l’éminent paradoxe qu’est la servitude volontaire, en précisant les raisons qui, selon La Boétie, poussent une population à s’infliger l’auto-violence qu’est la tyrannie.
La tyrannie chez La Boétie : une violence pernicieuse
La tyrannie est bien une forme de violence car elle est un abus de la force qui peut être brutal. Elle fait endurer à la population toutes sortes de violences non désirées. La Boétie les détaille au début de son ouvrage : “Souffrir les pilleries, les paillardises, les cruautés, non pas d’une armée, non pas d’un camp barbare contre lequel il faudrait défendre son sang et sa vie devant, mais d’un seul.”.
Cette violence est d’autant plus pernicieuse qu’elle s’immisce dans la vie du plus grand nombre de façon tout à fait transparente. En effet, les citoyens deviennent serviles sans s’en rendre compte. Leurs actions sont guidées par celui qui est leur dirigeant politique et non plus par eux-mêmes. Or la violence entraîne la violence. La tyrannie s’exacerbe de façon endogène car elle vise toujours plus haut, et frappe toujours plus fort si elle n’est pas endiguée par des dissidents. Ou a minima par une population qui décide de ne plus servir le maître.
La servitude volontaire, une auto-violence ?
“(…) la puissance d’un seul, dès lors qu’il prend ce titre de maître, est dure et déraisonnable.” écrit-il. La tyrannie contredit la nature même de l’homme qui est d’être libre. L’état de servitude, lui, va même jusqu’à corrompre l’appétance naturelle des hommes pour la liberté.
C’est l’accoutumance selon La Boétie qui est la principale explication du paradoxe qu’est la servitude volontaire. Les citoyens, plongés dans une habitude à obéir sont retenus dans un confort puisque dénué de tout effort où la rébellion apparaît comme une auto-violence. L’obéissance, ce comportement non-violent des hommes vis-à-vis d’une autorité tutélaire, donne toute son ampleur à la tyrannie. Une société non-violente n’est donc pas souhaitable car elle efface l’individualité, et devient alors invivable pour l’homme.
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Se faire violence, c’est refuser la violence inhérente à la soumission
“Voir un nombre infini de personnes non pas obéir, mais servir ; non pas être gouvernés, mais tyrannisés.”. Tel est le constat empirique qui révolte le grand ami de Montaigne. Mais comment quitter cet état ? Avant tout, il s’agit de prendre conscience de sa disposition à obéir servilement. Or peu s’en rendent compte, et encore moins réforment leur conduite pour s’en émanciper, ce qu’il déplore.
“Soyez résolus de ne servir plus, et vous voilà libres.” : cette célèbre citation sonne comme un conseil. Se faire violence, c’est rompre avec le confort de l’accoutumance qu’il y a à obéir à un maître. C’est tout simplement refuser d’obtempérer et retrouver le goût de la liberté.
Parallèle avec Alain : la métaphore animale pour expliquer la servitude volontaire
On peut faire un lien avec un philosophe plus contemporain, Alain (de son vrai nom Emile Chartier), qui dans ses Propos sur les pouvoirs, a tenté d’expliquer la servitude volontaire sous l’angle de l’animalité. Il choisit d’associer ceux sur lesquels s’exerce le pouvoir à des moutons et le maître au berger. Il y a dans les troupeaux comme un culte du berger, qui est leur guide.
“Le mouton est mal placé pour juger ; aussi voit-on que le berger de moutons marche devant, et que les moutons se pressent derrière lui ; et l’on voit bien qu’ils croiraient tout perdu s’ils n’entendaient plus le berger, qui est comme leur dieu.” comme il l’écrit.
Cependant, il distingue deux catégories de moutons : les moutons blancs et les moutons noirs. Les uns se complaisent dans le confort de la servitude ; les autres cherchent coûte que coûte à s’extraire de cet état, qui leur est pesant. Ces derniers tentent même de convaincre leurs compères de quitter le troupeau. Mais les moutons blancs sont élevés pour obéir au berger, et pour ne pas se laisser influencer par les moutons noirs, dont la valeur cardinale est la liberté. Il apparaît alors que le troupeau ne peut pas si facilement se déformer car des membres coopérants contredisent la volonté des dissidents. Autrement dit, la non-violence parvient à annihiler la violence, à l’étouffer, à la rendre inexistante.
“Les mères brebis expliquent cela aux agneaux, enseignant la discipline moutonnière, et les effrayant du loup. Et encore plus les effrayant du mouton noir, s’il s’en trouve, qui voudrait expliquer que le plus grand ennemi du mouton, c’est justement le berger.” poursuit-il.