Le rôle de l’État est une question structurante du programme de deuxième année en ESH. Pourtant, peu d’élèves sont capables d’argumenter de manière pertinente sur l’idée de planifier l’économie. Il s’agit alors d’élaborer ici quelques réflexions sur la planification et de vous donner les auteurs indispensables si vous souhaitez être capables d’aborder ce sujet, à l’écrit comme à l’oral. Il va sans dire que les éléments que vous retrouverez ici sont réutilisables pour tout sujet qui concerne l’activité étatique.
Avant toute chose, on distinguera la planification impérative, où les agents économiques n’ont pas d’autre choix que de suivre les directives de l’État, de la planification indicative où l’État ne fait que donner des orientations et fixer des objectifs.
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La planification comme moteur de la croissance des 30 Glorieuses ?
L’un des principaux penseurs de la planification indicative est William Beveridge. Dans Du travail pour tous dans une société libre, en 1944, Beveridge montre qu’il revient à l’État d’instaurer une planification quinquennale de la socialisation de l’investissement. Soit, dans une perspective très keynésienne, de planifier la création d’une demande pour atteindre le plein-emploi. Pour ce faire, Keynes nous enseigne que l’État dispose de 3 leviers : la fiscalité, la dépense budgétaire et la politique monétaire. Chacun de ces leviers permettant de déclencher un multiplicateur keynésien.
En France, la première planification indicative quinquennale date de 1946 avec le plan Monnet. Ce plan était dit un « plan de modernisation et d’équipement » et avait pour objectif de créer un climat de confiance après la guerre, en fixant des objectifs généraux. Une des ambitions du Commissariat général au plan était de rendre la France plus compétitive à l’échelle internationale en renforçant, en particulier, la production de l’acier.
Plus tard, c’est Pierre Massé (polytechnicien de formation) qui continuera de théoriser les bienfaits de la planification, avec un titre très évocateur : Le plan ou l’anti-hasard (1965). Sous Charles de Gaulle, Massé, alors haut-fonctionnaire, a travaillé à la mise en place de la planification indicative de 1959 à 1966. Dans son raisonnement, Massé adopte alors des hypothèses keynésiennes et postule un monde incertain. Les agents ne connaissent donc rien de l’évolution de la conjoncture économique, des débouchés ou de l’efficacité du capital. C’est pourquoi le plan s’impose comme une nécessité pour apporter de la certitude aux agents et permettre de réduire le chômage. En planifiant l’évolution de la dépense publique, l’État assure la croissance des débouchés.
Si la perte de liberté que peut engendrer la planification fait l’objet de ses principales critiques, Massé estime que :
« Pour l’homme réduit au minimum vital, ou menacé dans la sécurité de son emploi, la liberté n’est qu’un mot sans contenu. […] À mesure que le niveau de vie s’élève, la liberté acquiert plus de valeur et plus de sens. » (P. Massé, Le plan ou l’anti-hasard, 1965).
Dans les faits, nul besoin de rappeler la croissance exceptionnelle qu’a connue la France durant les 30 Glorieuses, période où elle n’a cessé de planifier son économie de manière indicative. On note en effet un taux de croissance annuel moyen de 5,1%.
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Les limites de la planification économique : entre risques et inefficacité
Si la croissance française des 30 Glorieuses semble être à mettre sur le compte de la planification, la croissance allemande, elle, trouve son origine ailleurs. Alors que l’Allemagne n’a mené aucune planification de son économie, elle a connu un taux de croissance annuel moyen durant les 30 Glorieuses de 6%. Il est alors nécessaire de relativiser la nécessité de la planification sans en sous-estimer les risques.
La principale critique de la planification n’est attribuable à personne d’autre qu’au pilier de l’école autrichienne : Friedrich von Hayek. En 1944, dans La route de la servitude, Hayek s’oppose fermement à Beveridge et à toute forme de planification. En tant que fervent défenseur d’un laisser-faire absolu, Hayek préconise une économie de marché absolument libre. Au-delà d’une allocation optimale des ressources, il faut voir dans la liberté économique une condition sine qua non à la liberté politique. En effet, Hayek remarque que dans chaque totalitarisme, la suppression des libertés fondamentales a commencé par la suppression des libertés économiques. Or, en cela que la planification apparaît comme une restriction des libertés économiques, il est à craindre qu’elle ne débouche sur une restriction des libertés politiques.
Hayek assène également une critique à la planification soviétique en 1946 dans L’utilisation de la connaissance dans la société. La planification de l’économie soviétique était telle que les prix des biens étaient fixés par l’État. Hayek rappelle donc le concept du « signal-prix », l’idée que dans un prix, il y a, entre autres, des informations utiles pour guider le producteur comme le consommateur. Ainsi, laisser à l’État le droit et le devoir de planifier les prix est fondamentalement inefficace car il lui est impossible de recueillir toutes les informations nécessaires à l’élaboration d’un prix juste. Comme le rappelle Ludwig von Mises dans Le Socialisme :
« Les prix ne créent pas des tensions. Ils expriment des rapports de rareté relative. Ils établissent continuellement un lien entre les appréciations subjectives de tous les agents économiques et le marché. Ces prix sont tout à fait différents d’appréciations ou d’estimations administratives. ». (L. von Mises, Le Socialisme, 1938)
Finalement, les conclusions sur la planification sont relativement divergentes en fonction des hypothèses adoptées. Il est donc primordial d’explorer ces différentes hypothèses et de constamment se référer à l’histoire économique dès lors que l’on aborde le sujet de la planification économique.
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