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ORLAN : violenter son corps

Sommaire

Le thème au programme cette année de l’épreuve de culture générale pour les classes préparatoires commerciales est “la violence”. Cette notion est intéressante dans la mesure où elle peut recouvrir des actes, des situations plurielles, et avoir un impact sur l’individu. Un des axes intéressants pour aborder la violence est sa représentation. C’est ce que nous allons tenter d’étudier dans une série d’articles consacrés à la représentation de la violence dans les arts et les lettres. 

Dans cet article, nous nous intéresserons à l’artiste ORLAN, et la manière dont, à travers son corps, elle dénonce les violences faites aux femmes dans la société. 

Qui est Orlan ? 

ORLAN est une artiste française née en 1947. Elle s’est intéressée à divers types de pratiques tels que la peinture, la sculpture, la photographie, mais ici nous nous intéressons surtout à son travail en tant que performeuse, faisant figure parmi les artistes de l’art corporel. 

Artiste totale, ORLAN interroge le statut du corps et les pressions politiques, religieuses, sociales et traditionnelles qui s’y inscrivent. Son travail dénonce la violence faite aux corps et en particulier à ceux des femmes, engageant ainsi son œuvre dans un combat féministe. comme elle le dit elle-même : “Dés le début, mon œuvre a interrogé les pressions sociales, politiques, religieuses qui s’exercent sur les corps. Mes création, toutes politiques et féministes se fondent sur une recherche visuelle des visages d’horreur, de peur et de grandeur.”  C’est son corps même qui devient une oeuvre d’art, remplaçant les pinceaux ou la plume. Cette démarche s’inscrit ainsi dans la mouvance de l’art corporel. 

L’art corporel et la violence

L’art corporel a notamment émergé dans les années 70 et on peut citer comme autre figure importante par exemple Marina Abramovic. Il s’agit d’user de son corps comme le matériau même de l’oeuvre, en passant de sa simple présence, exposition, à sa plus dure manipulation, maltraitance : le corps d’ORLAN se voit alors devenir le symbole même de la violence faite aux femmes dans la société.

On peut citer comme oeuvre très célèbre Le Baiser de l’Art, exposé à la FIAC (manifestation française d’art contemporain) en 1977 où ORLAN, assise derrière une photo de son propre buste nu et à côté de la statue d’une madone, propose de donner un baiser au spectateur pour la somme de 5 francs. Cette oeuvre met ainsi l’un à côté de l’autre les deux stéréotypes qui conditionnent la femme : la Vierge ou la prositituée (La Maman ou la Putain, si on veut reprendre le titre du film de Jean Eustache). Il s’agit ainsi pour elle d’interroger justement la place de la femme qui se voit contrainte entre ces deux positions, violence symbolique faite aux femmes qui ne peuvent que difficilement sortir de ces deux rôles assignés. De plus, ce baiser pour 5 Francs montre également la marchandisation du corps des femmes, la violence qui leur est faite comme objet de l’Homme qui peut s’en servir à sa guise. 

L’oeuvre fera scandale : on ne parlera que d’elle durant la FIAC, entre acclamations et critiques “On écrivait que j’étais une prostituée, que ce que je faisais était absolument « dégueulasse »” raconte ORLAN. Mais cette oeuvre justement reprend le corps même, violenté par la société, pour en dénoncer tout les mécanismes insidieux. 

Le Baiser de l’Artiste

Le corps soumis aux diktats de la société

Maigreur, blancheur, taille fine…le corps des femmes, plus que celui des hommes, doit répondre à une nombre incalculable de normes pour être considéré comme beau. Cette forme de violence à l’encontre des femmes, qui les atteint autant physiquement que psychologiquement, ORLAN l’a prise au pied de la lettre, en suivant une série de chirurgies esthétiques afin de modeler son corps selon différents canons issus des arts, et notamment de la peinture de la Renaissance.

ORLAN en pleine opération devant une reproduction de la Vénus de Botticelli

Par la suite, elle a commencé à modifier ces diktats sur son corps, comme par l’implantation de pommettes sur son front, dans une réappropriation de ces codes. Elle déforme alors son visage dans la volonté de se créer un “nouveau masque”, chamboulant alors les attendus que l’on peut avoir du résultat d’une chirurgie esthétique : elle crée alors de nouveau codes, et ce mouvement à rebours vise alors à dénoncer les violences contre le corps des femmes, en en redevant maîtresse de la forme, car selon elle : “La chirurgie esthétique est l’endroit où le pouvoir de l’homme sur le corps de la femme peut s’inscrire avec le plus de force.”

Ainsi, ORLAN, à travers l’utilisation de son corps comme objet même de son art, vise à dénoncer les violences faites aux corps des femmes en s’en inscrivant à rebours : elle se le réapproprie, le transforme selon ses désirs contre les critères qui la rendraient plus attrayante. Mais elle continue à choquer : ainsi la “violence” consentie qu’elle s’inflige contre son corps selon ses propres codes apparaît plus choquante que la violence psychologique et physique qui accompagne le rapport des femmes à leurs corps au quotidien. 

Lire plus : Refuser de se soumettre à la violence

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Corentin Viault