Depuis une dizaine d’années, l’Amérique latine connaît une crise migratoire sans précédent, conséquence de dizaines d’années d’instabilités mais aussi d’une histoire coloniale et migratoire difficile.
Une population entre amérindiens et colons
Pour comprendre la situation migratoire actuelle sur le continent, il est important d’avoir connaissance de l’histoire de l’immigration en Amérique latine. Elle commence à la fin du XVe siècle, après la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb en 1492. Les premiers flux de migration sont surtout des flux ayant un objectif commercial et hégémonique pour les européens avec l’arrivée de colons espagnols et portugais sur le continent.
S’en suit près de trois siècles de migrations des populations de toute l’Europe vers l’Amérique du sud, avec pour conséquence un effondrement démographique important de la population amérindienne presque réduite à néant, dû notamment aux nombreux chocs microbiens.
Le développement du continent sous contingence espagnole entraîne une augmentation de l’immigration
Entre 1821 et 1932 le continent connaît une importante émigration, près de 56 millions de personnes quittent le continent pour aller vers les Etats-Unis (60% d’entre eux) ou encore d’autres pays d’Amérique latine comme l’Argentine (22% d’entre eux).
Les plus importants mouvements d’immigration se déroulent entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle avec l’arrivée massive d’européens à la recherche d’une vie nouvelle, qui s’atténua avec la crise économique de 1930. Par exemple, entre 1880 et 1914 près de 4 200 000 européens débarquent en Argentine dont 2 000 000 d’italiens et près de 1 700 000 espagnols (selon l’observatoire politique de l’Amérique latine et des caraïbes).
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La crise migratoire actuelle est expliquée par une instabilité politique
Depuis une dizaine d’années, l’Amérique latine est confrontée à une véritable crise migratoire. Le continent peine à faire venir des étrangers en son sein. Plusieurs causes peuvent expliquer cette méfiance vis à vis du territoire latino-américain. Tout d’abord une forte instabilité politique sévit depuis de nombreuses années. La gestion difficile et la corruption ont raison de la stabilité des pays de la région. Si les coups d’État militaires ont diminué depuis les années 80 et la fin des dictatures de Videla en Argentine et Pinochet au Chili, la continuité n’est pas de mise dans les pays d’Amérique latine.
En témoigne l’accession au pouvoir en Argentine du libertarien d’extrême droite Javier Milei, la crise sociale chilienne de 2018 où l’assassinat d’un candidat dans la présidentielle équatorienne. Les seules démocraties stables du continent comme l’Uruguay ou le Costa Rica semblent être une éclaircie au milieu de la vallée.
Et une instabilité économique importante
Cette instabilité politique s’appuie sur une instabilité économique ancrée dans le continent depuis une trentaine d’années. Fer de lance de cet échec économique, l’Argentine qui depuis les années 90 enchaîne les crises cycliques, plongeant le pays dans une inflation incontrôlée (211% en 2023 selon le FMI) et un appauvrissement à long terme. Le pays est actuellement le plus endetté au monde devant le FMI (fond monétaire international), avec une dette estimée à 32 milliards de dollars, conséquence lointaine de l’attaque de fonds vautours qui ont endettés le pays alors qu’il était déjà dans une situation financière très difficile dans les années 90. La situation du Venezuela a aussi démontré la situation instable du continent. Grand pays aux ressources naturelles abondantes et au potentiel de développement important, le Venezuela connaît depuis des années une inflation incontrôlée (686% selon le FMI en 2021) ayant entraînée une augmentation considérable du taux de criminalité dans le pays.
Les instabilités économiques et politiques dans les pays d’Amérique latine ont naturellement entraîné une augmentation de la violence et de l’insécurité sur le continent. Les Etats ont parfois si peu de pouvoir qu’ils se doivent de laisser le contrôle aux narco trafiquants devenus plus puissants que l’armée dans certains pays. L’Equateur connaît une augmentation exponentielle de la criminalité depuis quelques années. Alors que le taux de criminalité pour 100 000 habitants était de 5,8 homicides en 2017, en 2023 il atteint 46,5 selon le gouvernement équatorien.
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Une crise migratoire interne
La crise migratoire en Amérique latine est avant tout une crise interne. En effet selon les nations unies, 43 millions de latino-américains vivaient en dehors de leur pays d’origine en 2020. Plus marquant encore, entre 2000 et 2020, les migrants intra-régionaux (c’est-à-dire au sein des pays latino-américains) sont passés de 6,5 millions à 15 millions. L’immigration au sein du continent est donc majoritairement intra-régionale car près de 80% des migrants vivent dans un autre pays d’Amérique du sud. Cette crise d’immigration extérieure au continent traduit une difficulté à attirer les investissements et les travailleurs non sud-américains.
Mais elle s’explique surtout par la volonté de fuir des pays dont l’instabilité et l’insécurité rendent le quotidien difficile. De nombreux habitants du Vénézuela, du Honduras ou de l’Equateur quittent leur pays en quête d’une vie meilleure. Ils espèrent trouver dans des pays voisins des opportunités pour démarrer une vie stable. Selon l’ONU, sur les 10 dernières années près de 7,7 millions de vénézuéliens ont quitté le pays à la recherche d’une nouvelle chance. Pour la grande majorité, à savoir 6,6 millions, ils sont allés vers d’autres pays du continent à commencer par la Colombie (plus de 1,1 millions de personnes accueillies entre 2016 et 2021). Pour les économistes, ces déplacements de populations peuvent constituer un véritable levier de croissance économique pour les pays de la région.
Mais ces déplacements de population entraînent surtout une catastrophe humanitaire sans précédent sur le continent. Selon Médecins du monde, plus de 400 000 personnes migrent chaque année entre l’Amérique centrale et le Mexique. Cet exil oblige des centaines de milliers de personnes à se loger dans des camps provisoires, se nourrir et se soigner grâce aux aides humanitaires. Certains tentent de rejoindre les Etats-Unis au péril de leur vie, chose quasi impossible depuis la sécurisation avec un mur de la frontière par le gouvernement de Donald Trump.
Une nécessité pour le développement économique
La gestion de cette crise migratoire sur le continent est une nécessité pour le futur du continent. Elle doit passer par une aide, avec pour objectif de sécuriser ces mouvements de population pour éviter une catastrophe humanitaire à grande échelle.
Mais surtout l’objectif est d’assurer le développement de l’Amérique latine. D’abord en tentant d’assurer de nouveau une stabilité politique, économique pour réduire les mouvements de populations forcés. Mais ce qui pourrait réellement enclencher une dynamique de développement positive sur le continent, c’est le retour d’une immigration hors Amérique latine, et donc des investissements étrangers. C’est l’objectif de la politique mise en place par le président libertarien Javier Milei depuis son élection en Argentine en Décembre 2023, qui pour le moment n’a réussi qu’à plonger le pays dans une grave crise économique.