Voici un article sur les biens communs qui tente, lui aussi, de questionner l’avenir vers lequel se dirige notre monde. Il tente de déterminer comment les individus peuvent (et doivent) reconsidérer leurs comportements, afin de préserver notre environnement et nos ressources naturelles (limitées !).
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Les biens communs : définition et contexte
Prendre conscience que « notre maison brûle et [que] nous regardons ailleurs » (J. Chirac lors du IVe sommet de la Terre en 2002) est nécessaire pour enfin passer à l’action : regarder en face et éteindre le feu ! Mais comment faire cela ? Il faudrait d’abord identifier les problèmes que nous causons et trouver les solutions adéquates afin de ne plus les reproduire (à défaut de pouvoir les réparer).
Identifier les problèmes : voilà la tâche à laquelle s’est attelé le biologiste Garrett James Hardin en 1968 en développant le concept de « tragédie des biens communs ». Ce dernier, il le définit et l’illustre avec l’exemple d’un pâturage : il décrit la situation où des bergers partagent des terres communales pour faire paître leurs vaches. On observe qu’une nouvelle vache apporterait beaucoup à son berger sans que celle-ci ne lui coûte cher en nourriture étant donné que le coût est partagé par tous les bergers présents sur cette terre. Ainsi, chaque berger aura intérêt à maximiser son nombre de vaches. Toutefois, ce comportement conduira inévitablement à l’épuisement des ressources présentes sur le territoire.
Même si l’on entrevoit le problème, définissions « bien commun » afin de comprendre réellement les enjeux. Un bien commun est un bien non-exclusif, c’est-à-dire que c’est un bien que tout le monde peut consommer car il n’appartient à personne et dont on ne peut interdire l’accès pour des raisons économiques ou techniques. Et c’est un bien rival car sa quantité est limitée et sa consommation par un agent réduit celle des autres.
Hardin qualifie alors cette situation de tragédie à cause du caractère limité des biens couplé à l’esprit rationnel des agents, le tout conduisant inévitablement à une surexploitation et donc à une pénurie. Pour autant, pouvons-nous réellement voir ici se dessiner un destin (de surexploitation, pénurie…) tragique, inéluctable, à l’instar des tragédies grecques ?
Les biens communs : une idée qui semble en effet tragique
La gestion des biens communs révèle une dimension tragique lorsque l’on considère la limitation des ressources naturelles et les répercussions de la surexploitation humaine. À travers l’exemple de Garrett Hardin, nous voyons comment l’augmentation des besoins et les comportements motivés par l’intérêt personnel conduisent à une dégradation rapide des ressources. Explorons ces dynamiques pour mieux comprendre l’urgence de la situation.
La quantité limitée de ressources
Dans l’exemple développé par Hardin, la surexploitation de l’herbe pour nourrir les vaches qui se multiplient sur le territoire, fait en sorte qu’il n’y a à terme même plus assez d’herbe pour une vache. Il en est de même pour toutes les ressources naturelles dont nous bénéficions. Pour preuve, regardons la différence entre « le jour du dépassement » (jour à partir duquel nous avons consommé toutes les ressources que la terre peut renouveler en un an) : ce jour était le 29 décembre en 1970, le 28 juillet en 2022 et le 1e août en 2024 (selon Jour du dépassement de la Terre – Global Footprint Network). Nous voyons donc que plus le temps avance, plus le jour du dépassement est atteint de plus en plus tôt dans l’année. Cela confirmerait-il l’idée d’une tragédie ?
Les lourdes actions des Hommes
Nous observons tout d’abord que les hommes sont de plus en plus nombreux sur terre : le nombre d’habitants se situait autour de trois milliards en 1960, aujourd’hui ce nombre a plus que doublé et avoisinerait les dix milliards à l’horizon 2050. Cet accroissement de la population va logiquement de pair avec un accroissement des besoins en nourriture. Cette situation nous rappelle les écrits de Malthus qui a développé la loi de population en 1798. En effet, la population augmentant plus vite (croissance géométrique) que la quantité de ressources disponibles (croissance arithmétique), inévitable est la tragédie des « trois parques » correspondant à la famine, la maladie et la guerre. De plus, avec la diminution des terres cultivables disponibles, nous débouchons une nouvelle fois sur une crise, une tragédie. En effet, nous retrouvons ici le cheminement décrit par Ricardo dans sa loi des rendements décroissants.
L’esprit rationnel agents
De plus, ces actions sont souvent motivées par l’esprit rationnel des individus qui cherchent à minimiser leurs coûts et maximiser leurs profits. C’est tout d’abord ce que nous voyons dans l’exemple développé par Hardin où chaque vache supplémentaire rapporte d’autant plus au berger et lui coûte d’autant moins. De ce fait, chacun aura tout intérêt à agir en tant que passager clandestin (Mancur Olson). Néanmoins, le problème ne tarde pas à voir le jour : le nombre de vaches augmente, les besoins à satisfaire également, donc la quantité et la qualité du pâturage diminuent drastiquement. Cela se généralise dans le contexte de mondialisation et capitalisme actuel où se déroule une véritable course à celui qui produit le plus à moindre coûts et qui agit, le plus possible, en tant que passager clandestin.
Pour autant, cette tragédie peut être évitée
Malgré la sombre perspective de la tragédie des biens communs, des solutions existent pour éviter ce scénario. Divers mécanismes, allant de l’intervention étatique aux initiatives communautaires, peuvent être mis en place pour gérer durablement les ressources partagées. Explorons comment l’action gouvernementale et les principes de gouvernance collective proposés par Elinor Ostrom peuvent contribuer à préserver nos biens communs pour les générations futures.
Par l’intervention de l’État
Le marché ne semble pas pouvoir résorber lui-même les externalités négatives. Pour ce faire, il faudrait en effet plutôt une intervention des structures publiques, comme le préconise Pierre-Noël Giraud dans Principes d’économie (2016).
Elles se font à travers la mise en place de mesures qui limitent voire interdisent l’accès à certaines ressources, par exemple ce peut-être un quota précis de poisson à pêcher sur une période.
En plus de la mise en place de règles, l’État peut accorder des droits à polluer pour les entreprises qui se les échangent en fonction de l’offre et la demande sur le marché. De ce fait, on ne dépasse pas une certaine quantité maximale de rejet de CO2 et à terme, cette limite est abaissée afin de réduire la pollution.
Enfin, par la fiscalité et les taxes pigouviennes de pollueur-payeur, l’État intervient directement dans le calcul coûts/bénéfices des agents. De plus, les ressources recolletées par ces taxes pourraient servir à subventionner et favoriser les activités à externalités positives. Enfin, certains vont jusqu’à même proposer des solutions malthusiennes (de contrôle de naissances), afin de limiter la progression de la population. D’autres voient dans la nationalisation des “communs” un moyen d’éviter cette tragédie.
Les préconisations d’Elinor Ostrom
Elinor Ostrom est une politologue et économiste américaine reconnue pour ses travaux sur la gouvernance des biens communs, ce qui a fait d’elle la première femme Prix Nobel d’économie en 2009.
Elinor Ostrom définit le commun comme « une gestion commune de ressources partagée pour une communauté d’utilisateurs ». Pour elle, il est question ici d’une gestion des ressources durable et efficace dans un système d’auto-gouvernance organisé (c’est-à-dire que les usagers gèrent eux-mêmes les ressources). Ostrom insiste sur l’importance du rôle que peuvent jouer les institutions (normes, règles, culture, régime politique, etc.) dans cette gouvernance. En outre, la décentralisation est selon elle nécessaire, car seuls les usagers connaissent leurs terrains et peuvent agir sur eux. Sa thèse semble être une troisième voie entre le public et le privé.
Nous pouvons ainsi voir que les biens communs se trouvent dans une situation très délicate… mais non tragique ! Nous pouvons encore changer nos comportements et protéger les ressources naturelles, grâce à des mesures et à l’action collective. Il s’agit bel et bien de les protéger, de les considérer sous le prisme de la durabilité forte et prendre conscience que nous ne pouvons pas nous en passer.
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