Le livre Notre première mondialisation de Suzanne Berger publié en 2003 propose une analyse approfondie de la mondialisation. Elle se concentre sur l’expérience française dans les 40 années précédant la Première Guerre mondiale. Cette période est caractérisée par une forte intégration économique internationale, souvent qualifiée de “première mondialisation”. La France, après la Grande-Bretagne, était alors l’une des nations les plus impliquées dans l’économie mondiale.
Ce livre s’interroge sur les leçons que nous pouvons tirer de cette première mondialisation pour mieux comprendre les défis contemporains.
La Première Mondialisation et ses Caractéristiques
Entre 1870 et 1914, le monde a connu une série de transformations économiques qui ont donné lieu à une première phase de mondialisation. Suzanne Berger montre que cette période a vu une intensification des échanges commerciaux et des flux de capitaux à un niveau sans précédent, comparable à celui observé à partir des années 1980. Les avancées technologiques, notamment la réduction des coûts de transport, ont permis une mobilité accrue des populations. Et ceux notamment depuis des économies à bas salaires. L’Irlande par exemple a vu jusqu’à 10 % de sa population émigrer par décennie.
Cependant, cette mondialisation avait des caractéristiques distinctes par rapport à celle d’aujourd’hui. Par exemple, la France, contrairement à la Grande-Bretagne, investissait relativement peu dans ses colonies. Elle préférait diriger ses capitaux vers des pays indépendants comme la Russie, la Turquie, ou encore l’Argentine. De plus, les flux migratoires n’ont pas joué un rôle aussi déterminant dans l’intégration internationale.
Les Leçons de la Première Mondialisation
L’un des principaux arguments de Berger est que la mondialisation ne progresse pas de manière linéaire et irréversible. Contrairement à certaines idées reçues, elle montre que l’État, même face à une économie mondialisée, conserve une capacité significative à réguler le marché. Kenichi Ohmae, dans The Borderless World, affirme que la mondialisation rend les États impuissants à contrôler leur économie nationale. Berger nuance cette vision. Elle rappelle que des outils comme la nationalisation, le contrôle des capitaux, ou la législation sur le travail ont permis aux États de protéger leurs citoyens des effets négatifs du marché mondial.
Berger met également en lumière la coexistence stable entre capitalisme et démocratie depuis 200 ans. Cependant, elle avertit que la mondialisation actuelle menace ce compromis, en réduisant la capacité de l’État à redistribuer les ressources. Cette tension entre capitalisme, démocratie et mondialisation est particulièrement bien illustrée par le triangle d’incompatibilité de Rodrik. Il stipule que l’on ne peut simultanément avoir la démocratie, des États-nations forts et une intégration économique mondiale.
La Fragilité et la Réversibilité de la Mondialisation
L’un des thèmes centraux du livre est la fragilité de la mondialisation. Berger rappelle que la première mondialisation a été brutalement interrompue par la Première Guerre mondiale, avec des conséquences durables sur l’économie mondiale. Cet épisode montre que la mondialisation n’est pas une tendance inéluctable. Elle peut être remise en question par des événements géopolitiques majeurs.
Par exemple, après le 11 septembre 2001, des mesures de sécurité renforcées aux frontières américaines ont perturbé le commerce mondial, illustrant une fois de plus la vulnérabilité des flux mondiaux face à des crises. De même, les barrières commerciales érigées lors du déclenchement de la Première Guerre mondiale ont mis fin à une ère de libre-échange qui semblait jusqu’alors indéfinie.
Les Forces à l’Œuvre dans la Mondialisation
La mondialisation de la fin du XIXe siècle a été soutenue par des innovations technologiques et institutionnelles. La mise en place de l’étalon-or, par exemple, a stabilisé les transactions internationales en réduisant les risques de dévaluation et d’inflation. De plus, la création de sociétés et de banques par actions à responsabilité limitée a permis de canaliser l’épargne vers des investissements étrangers.
Cependant, Berger met en garde contre une vision simpliste de la mondialisation comme un processus uniquement bénéfique. Elle souligne que les investissements à l’étranger étaient parfois motivés par des effets de mode ou par des intérêts politiques, plutôt que par des raisons purement économiques. Par exemple, les investissements français en Argentine ou en Russie, malgré l’instabilité politique de ces pays, sont un exemple de décisions financières irrationnelles qui ont souvent conduit à des pertes importantes pour les épargnants français.
Mondialisation, Guerre et Paix
Berger conclut en s’interrogeant sur les relations entre mondialisation, guerre et paix. Elle cite Jean Jaurès, qui, en juillet 1914, affirmait que le capitalisme, en tant que système universel, avait intérêt à prévenir les conflits. Pourtant, la Première Guerre mondiale a démontré que les liens économiques internationaux ne suffisent pas à garantir la paix. En effet, la guerre a non seulement détruit les investissements français à l’étranger, mais elle a également nivelé les fortunes en détruisant des propriétés et des richesses à une échelle sans précédent.
L’auteur rappelle aussi que la mondialisation bénéficie largement à la société. Mais ses coûts sont souvent concentrés sur des groupes spécifiques. Cela peut entraîner des tensions sociales et politiques.
Conclusion
Suzanne Berger, à travers son analyse de la première mondialisation, nous offre des leçons précieuses pour comprendre les défis économiques actuels lié aux échanges internationaux. Elle nous rappelle que la mondialisation n’est ni inéluctable ni irréversible. Les États, malgré l’intégration économique mondiale, conservent un rôle clé dans la régulation du marché. La fragilité de la mondialisation et les tensions entre capitalisme, démocratie et mondialisation sont des aspects essentiels à considérer dans le débat actuel sur l’avenir de l’économie mondiale.
En Bref – Points à Retenir
- Caractéristiques de la première mondialisation : Forte intégration économique avant la Première Guerre mondiale,
- Rôle de l’État : L’État conserve une capacité à réguler le marché même en période de mondialisation.
- Fragilité de la mondialisation : La mondialisation peut être interrompue par des événements géopolitiques majeurs.
- Trilemme de Rodrik : On ne peut simultanément avoir la démocratie, des États-nations forts et une intégration économique mondiale.
- Impact des crises : Les crises peuvent remettre en question la stabilité de la mondialisation.
- Investissements irrationnels : Les investissements à l’étranger ne sont pas toujours motivés par des raisons économiques rationnelles.
- Mondialisation et paix : Les liens économiques internationaux ne suffisent pas à garantir la paix.