Nombreux sont les tueurs en série devenus de véritables célébrités à la suite de leur accusation. Ed Kemper, accusé du meutre de 10 personnes dont ses grands-parents et sa mère, Ted Bundy, tueur de 36 victimes et célèbre pour son charisme et son attitude lors du procès, ou encore Jeffrey Dahmer, le Cannibale de Milwaukee…. : tous connus pour avoir fasciné le grand public et avoir même fait l’objet de documentaires ou de projets de recherches.
Définition d’un tueur en série et origine de la fascination
On parle de serial killer quand un individu a tué au moins trois personnes dans trois lieux différents et avec une pause entre les meurtres.
Plusieurs hypothèses ont été discutées pour comprendre comment l’on peut devenir serial killer.
Les chercheurs américains Heather Mitchell et Michael G. Aamodt ont étudié l’enfance de 50 serial killers. Ils ont notamment constaté que, parmi eux, 50 % avaient connu des abus psychologiques et 68 % des mauvais traitements. Parmi les serial killers connues, nombre d’entre eux partagent un passé ou une enfance perturbés ou difficiles : Thierry Paulain, le “tueur de vieilles dames” a été abandonné par ses parents, Guy Georges, tueur et violeur de jeunes femmes à Paris, a été exclu par ses grands-parents et sa famille d’accueil, Michel Fourniret, tueur et violeur de jeunes femmes également, a été victime d’inceste…
Cependant, cette conclusion ne fait pas consensus et ne fonctionne pas dans tous les cas. Emily Tibbatts, autrice de plusieurs ouvrages sur les tueurs en série, approuve cette conclusion, mais ajoute que certains ont connu une enfance tout à fait normale. « J’ai fini par comprendre qu’ils tuent aussi parce qu’ils en ont envie. Il y a plein de théories, mais l’idée finale, c’est que ce sont des personnes particulièrement froides, égoïstes et dénuées d’empathie. »
Fascination intemporelle
Les serial killers font l’objet d’une fascination intemporelle. Il y a plus d’un siècle, la presse contenait déjà une rubrique faits divers. Ceux-ci n’étaient pas seulement relatés comme aujourd’hui, mais plutôt décrits en détail, avec parfois de violentes descriptions. Pire encore, on pouvait y retrouver également l’autopsie entière.
Aujourd’hui, les serial killer inspirent des réalisateurs, à l’instar du film américain Watch Extremely Wicked Schockingly Evil and Vile où Zac Efron incarne Ted Bundy, un sérial killer américain.
Cette fascination pour les serial killers a également donné lieu à la création d’un véritable marché d’objets ayant appartenu à des tueurs en série. Le site SuperNaught, par exemple, se revendique comme un site d’objets liés à ces tueurs.
Comment expliquer l’intérêt pour les tueurs en série ?
1/ Réflexe primitif
Force est de constater la fascination croissante pour les émissions, documentaires et films retraçant les crimes des tueurs en série. Cela pose une seule question : pourquoi les tueurs en série suscitent autant d’intérêt ?
Pour certains chercheurs, la réponse est à chercher du côté de notre instinct plus primitif. En effet, certains affirment que se renseigner sur les tueurs en série, en regardant notamment des contenus audiovisuels, relèverait d’un instinct animal consistant à se renseigner sur son prédateur pour être apte à se sauver en cas de danger.
C’est la thèse que soutient Coltan Scrivner, chercheur de l’université d’Aarhus au Danemark, qui croit en la similarité entre le comportement d’un homme envers un tueur en série, et le comportement d’un animal envers un prédateur. Il prend l’exemple des jeunes zèbres qui passent du temps à observer leurs prédateurs lorsque ceux-ci ne représentent pas de menace. Cela leur permet d’analyser leurs comportements afin de savoir ensuite comment réagir s’ils perçoivent un danger. Pour Coltan Scrivner, ce même phénomène apparaît chez les hommes en se manifestant par un fort intérêt pour les émissions et films sur les tueurs en série, qui nous permettent d’observer et d’analyser leurs comportements sans s’exposer à aucun danger.
“L’une des raisons pour lesquelles le genre du true crime est si intéressant pour les gens est qu’il nous aide à identifier ces personnes dangereuses dans la société en nous montrant comment ils vivent leur vie quotidienne, quels sont leurs comportements, etc. Cela nous donne un ensemble d’outils nous permettant de savoir à quoi faire attention.”
2/ Curiosité morbide
Vous vous êtes peut-être déjà demandé pourquoi les enquêtes sur des meurtres commis nous fascinent autant. Une des autres raisons qui peut expliquer cette fascination est que les tueurs en série montrent des valeurs diamétralement opposées aux valeurs communes : cela agit en réalité comme un miroir inversé.
Ils incarnent, selon certains chercheurs, une part latente de l’homme qui existe en lui mais ne peut s’exprimer en société, à savoir le sadisme et la haine de l’autre. Le criminel devient l’incarnation du mal. Selon le psychanalyste Jacques-Alain Miller, son existence nous rappelle qu’un criminel dort en chacun de nous : « L’immoral est une partie de notre être. […] Nous rêvons de transgresser, pour réaliser nos désirs interdits. La fascination pour le grand criminel trouve sa raison d’être en ceci qu’il réalise un fantasme présent en nous. Nous sommes tous des assassins inconscients ».
3/ Hybristophilie
Un phénomène en particulier illustre bien l’existence d’un sadisme sous-jacent qui trouve dans cette fascination pour les tueurs un moyen d’expression. Il s’agit de l’hybristophilie. Ce terme désigne l’attirance que certain(e)s peuvent éprouver à l’égard de criminels, et qui peut se transformer en amour. D’après certaines études, ce phénomène toucherait particulièrement les femmes.
Par exemple, Nordahl Lelandais, condamné à la réclusion criminelle à perpétuité en 2022 pour l’enlèvement, la séquestration et le meurtre de Maylis et pour l’assassinat du militaire Arthur Noyer a, malgré ses crimes, trouvé une femme pour l’aimer alors qu’il était en prison. Il est même devenu père en 2024, tandis qu’il était toujours en prison. Ce phénomène est en réalité assez courant. Un des plus célèbres tueurs en série américian, Ted Bundy, a également rencontré une femme qui a consenti à l’épouser en plein milieu de son procès. Convaincue de son innocence, elle est même devenue la mère de son enfant.
Comment expliquer cette attirance pour les tueurs en série ?
Plusieurs facteurs peuvent être à l’origine de ce phénomène :
- les hybristophiles sont souvent des personnes qui souffrent d’une faible estime d’eux-mêmes. Hélène Romano, docteure en psychopathologie, parle d’une “faille narcissique” qui les conduit à vouer une admiration sans limite à ces criminels.
- certains hybristophiles peuvent aussi être attirés par la perversité. Entretenir une relation avec ce genre d’individus leur permet alors d’expérimenter leurs pulsions morbides par procuration.
- certains hybristophiles sont également convaincus de pouvoir aider, changer le criminel pour le ramener sur le droit chemin, et se lancent dans cette relation par pure mission de rédemption à l’égard du criminel.
Par ailleurs, Hélène Romano souligne que ce phénomène est particulièrement favorisé par la célébrité médiatique des tueurs en série. Elle parle d’un “côté spectaculaire” qui permet aux hybristophiles “d’exister à travers le criminel”.
3/ Normalité, identité commune
Le chercheur David Schmid, auteur de Natural Born Celebrities: Serial Killers in American Culture, démontre que, de nos jours, les tueurs en série deviennent des sortes de monstres contemporains. Ils incarnent un danger pour la communauté, ce qui permet selon lui de renforcer la communauté qui se met à partager une identité commune selon laquelle “nous ne sommes pas comme lui”.
Selon ce chercheur, le tueur en série devient “l’anormal”, ce qui permettrait de nous rassurer sur notre propre “normalité”.
3/Célébrité des tueurs en série
La notion de célébrité a évolué au fil des siècles, pour désigner aujourd’hui, non plus un acte de bravoure, mais seulement le fait d’être visible aux yeux de la société. Être célèbre, c’est donc attirer l’attention.
Les médias participent donc à faire des tueurs en série de véritables célébrités.
Mais la couverture médiatique ne fait pas à elle seule la célébrité. Il faut dire que le profil du tueur en série s’y prête relativement bien :
- tout comme un acteur, ou un chanteur célèbre, ces criminels vivent dans une autre réalité que le reste de la population.
- aussi, on l’a dit, ils inspirent une certaine fascination de part la déviance de leurs comportements et leurs crimes que la société cherche à observer, analyser, et comprendre.
Conclusion
Ainsi, de nombreux facteurs expliquent la fascination que la société entretient envers les tueurs en série. Ils mettent particulièrement en lumière deux aspects de la nature humaine, à savoir l’instinct animal, présent au fond de nous et expliquant nombre de nos comportements, mais également les pulsions morbides que l’homme sait être déviantes, et qu’il nie donc.
Notre fascination pour ces criminels permet alors d’exercer conjointement un instinct animal d’observation de potentiels prédateurs, et d’expérimenter des pulsions morbides par procuration.
Au-delà de ces deux aspects, la couverture médiatique dont font l’objet les tueurs en série aujourd’hui contribue à les hisser au rang de célébrité : la fascination morbide que l’homme a pu éprouver à travers les siècles en s’intéressant au fait divers laisse place à une fascination d’un autre type. De nos jours, on ne parle plus seulement d’intérêt pour les faits divers, mais bel et bien de consommation, à mesure que se multiplient les contenus et les sources d’informations portant sur ce sujet.
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