Cette année, nous avons assisté à une élection inédite dans un contexte inédit. En raison de l’épidémie du coronavirus, le vote par correspondance a été largement utilisé par les américains. Mais ce système a été critiqué de façon virulente par Donald Trump, qu’il accuse de favoriser la fraude massive. Les résultats par États sont donc tombés au compte-goutte, alimentant le suspense et la frustration de Trump. Finalement, après plusieurs jours d’incertitude ayant tenu le monde entier en haleine, le candidat démocrate Joe Biden s’est imposé face à son adversaire, l’actuel président Donald Trump. La présidence de ce personnage hors du commun a eu des répercussions non seulement sur la première puissance mondiale, mais aussi sur le monde entier. Dès lors, quelles conséquences l’élection de Joe Biden vont-elles avoir pour les États-Unis et pour le monde ?
Le programme de Biden résumé en quelques points
Joe Biden a fait de certains points les axes majeurs de sa campagne présidentielle. Rappelons-les :
Santé :
- Épidémie du coronavirus : accélérer les tests en vue de trouver un vaccin, généraliser le port du masque (la priorité est donnée à la situation sanitaire)
- Simplification et amélioration du système de santé actuel : élargissement de l’accès aux soins, avec le projet d’une assurance publique à laquelle pourraient souscrire tous les américains, indépendamment de leurs revenus (aller plus loin que le Medicare et le Medicaid du Obamacare)
- Stimuler la concurrence dans l’industrie pharmaceutique pour tirer les prix vers le bas
- Relocaliser l’industrie de la santé (un plan « Made in America» : faire en sorte que plus de la moitié des matériaux utilisés dans la fabrication d’un produit soient américains)
Économie :
- Fiscalité: hausse des impôts, en particulier sur les hauts revenus (promesse que ceux qui gagnent moins de 400 000 dollars par an ne paieront pas plus) et sur les entreprises (impôt sur les sociétés qui passerait de 21% à 28%). Incitation à produire sur le sol américain via des crédits d’impôts, et en pénalisant les entreprises qui délocalisent une partie de leur production.
- Infrastructures publiques : plan d’urgence de 50 milliards d’euros pour remettre en état les routes, autoroutes et ponts dégradés. Développement du réseau ferroviaire (notamment pour mieux connecter certains territoires désenclavés). Budget : 1300 milliards de dollars.
- Travail/emploi : défense des syndicats ; uniformisation du salaire minimum à 15$ de l’heure dans tous les États (7,25$ aujourd’hui au niveau fédéral) ; régularisation des « petits boulots » (gig economy) en redéfinissant le statut de travailleur indépendant ; favoriser la mobilité des travailleurs entre États.
Politique :
- Immigration: contrôle efficace des frontières mais respect des droits des réfugiés ; mettre fin à l’interdiction d’entrée du territoire de musulmans en provenance de certains pays et à la séparation des familles aux frontières ; accélerer le passage à la citoyenneté américaine pour 11 millions d’immigrés illégaux (les « Dreamers » notamment, arrivés sur le territoire quand ils étaient enfants)
- Étranger: promotion du multilatéralisme et rétablissement des bonnes relations extérieures (altérées par la présidence de Trump), avec notamment la mise en place d’un « sommet pour la démocratie » ; retrait des troupes américaines d’Afghanistan
Société :
- En faveur de l’avortement et du mariage homosexuel
- Contrôle plus efficace des armes à feu, et interdiction de la commercialisation des fusils d’assaut et des chargeurs à grande capacité et la vente en ligne des armes et munitions
- Discriminations raciales : aide au financement des projets d’entrepreneurs « bruns et noirs » (prêts à faible taux d’intérêt, création de PME facilitée…) avec une hausse du budget de la Small Business Administration
- Éducation : rendre gratuites les deux premières années d’études supérieures pour les étudiants issus de familles gagnant moins de 125.000 dollars par an ; effacement de la dette étudiante après 20 ans de remboursements ; revalorisation des salaires des enseignants de quartiers populaires ; accroître le personnel spécialisé dans la santé mentale des élèves ; augmenter la diversité raciale chez les enseignants
- Abolition de la peine de mort au niveau fédéral
- Décriminalisation de la consommation de cannabis (États libres de choisir de la légaliser ou non)
Environnement :
- Construire une économie fondée sur des énergies renouvelables, objectif d’une neutralité carbone d’ici 2050, et de zéro carburant fossile d’ici 2025: investissement de 1700 milliards de dollars sur 10 ans.
- Favoriser la recherche et l’innovation en matière d’environnement
- Retour des USA dans l’Accord de Paris (sortie officielle du pays au 4 novembre)
- Développer les transports en commun (chemins de fer surtout)
- Interdiction des nouveaux permis d’exploitation de gaz et de pétrole sur les terres et eaux publiques (sans interdire les anciens)
En conclusion, quelles sont les répercussions de cette élection ?
- Après une présidence républicaine, c’est désormais un démocrate qui est au pouvoir. S’il a de nouvelles priorités en matière de questions sociales, sanitaires et environnementales, on ne peut non plus envisager une rupture totale avec la politique de Trump, notamment en matière de politique extérieure. Des incertitudes subsistent quant au futur positionnement des USA face à la Chine, à Jérusalem et à l’Iran. Idem pour l’Europe : certes, les relations seront certainement meilleures que sous l’ère Trump, mais pour reprendre les mots de Bruno le Maire « Les réalités géopolitiques ne changeront pas » ; les deux puissances resteront rivales, notamment d’un point de vue commercial, puisqu’il y a toujours des sujets de tension, autour de la taxation des GAFA ou encore dans le duel Airbus/Boeing. Même si les relations entre pays seront sûrement moins tendues et le multilatéralisme a nouveau privilégié, les États-Unis ne sont pas prêts à renoncer à leur traditionnelle dominance et entendent bien réaffirmer leur place de leader mondial.
- Le défi de la relance post-covid : avec un ambitieux plan de 700 milliards de dollars, susceptible de créer 5 millions d’emplois grâce à l’industrie et l’innovation (notamment à travers le développement des technologies du futur : intelligence artificielle, 5G…), Biden vise à relancer la croissance durablement aux USA. Au-delà de l’aspect purement économique, cette relance tiendrait également compte des défis environnementaux.
- Les conséquences sur les fluctuations des marchés : moins imprévisible que Trump et ses tweets, l’incertitude devrait être réduite, et on devrait moins voir apparaître des fluctuations erratiques en « dents de scie ». Cependant, l’incertitude est loin d’avoir disparue (contestations du scrutin par Trump, crise du coronavirus…)
- La division des instances de décision risque d’empêcher des avancées majeures : si la chambre des représentants reste à majorité démocrate, le Sénat pourrait être majoritairement républicain (puisqu’il reste encore 4 sièges à attribuer pour départager les deux partis). Dans ce cas, les décisions des démocrates pourraient se retrouver régulièrement bloquées, et donc l’avènement de nouvelles réformes pourrait être compromis et le plan de relance de Biden moins ambitieux que prévu.
- Joe Biden n’est pas seulement devenu le 46e président des États-Unis, mais il est aussi devenu le plus vieux président jamais élu : à 78 ans, certains s’inquiètent de sa capacité à présider le pays pendant les quatre prochaines années, et à se faire apprécier de la jeunesse américaine.
- Pour la première fois dans l’histoire des États-Unis, une femme est devenue vice-présidente. Mais pas seulement : première afro-américaine, première Américaine d’origine indienne, Kamala Harris est porteuse d’espoir pour les minorités du territoire américain. Son discours adressé aux américains le 7 novembre 2020 est empreint de détermination, d’ambition et d’espoir pour le futur des États-Unis.