Le conflit armé qui sévit en Colombie régit la vie publique du pays depuis maintenant plus de 60 ans. Or, ce conflit supposé mettre fin aux inégalités n’a fait en réalité que les accroître. En effet, la Colombie est un des pays les plus inégalitaires au monde (coefficient de gini à 0,56). Comment ce conflit, destiné à n’être qu’une rébellion rapide pour instaurer une égalité entre les populations, est-il devenu aujourd’hui un des conflits armés intra-étatiques les plus meurtriers au monde ?
La zone géographique
Le conflit se situe en Colombie, et plus particulièrement dans la partie amazonienne du pays. Cette dernière représente un bon tiers du territoire et assure donc une bonne base d’opération pour les milices paramilitaires et les mouvements rebelles armés.
Les causes
Les causes du conflit sont en réalité assez simples : ce sont les inégalités au sein du pays. Dans les années 1940 et 1950, les propriétaires terriens colombiens représentaient une minorité de la population, mais possédaient la majorité des terres agricoles et employaient la plupart des paysans. Ces derniers commencèrent à demander de meilleures conditions de travail et le gouvernement au pouvoir, le Front National, leur promis une restitution de leurs terres mais ne tint pas ses engagements. Les paysans se regroupèrent alors pour s’opposer au Front National. Ainsi, dans les années 1960, motivées par la révolution cubaine et les idéologies chinoises, les FARC (Forces Armées Révolutionnaires de Colombie) et l’ELN (Armée de Libération Nationale) furent créées pour résister au gouvernement libéral. Suite à cela, les mouvements se radicalisèrent rapidement et sombrèrent dans le trafic de drogue pour financer leurs activités. Des groupes de citoyens voulurent résister et ramener la stabilité au sein du pays en créant des groupes paramilitaires, qui ne contribuèrent qu’à empirer la situation. C’est ainsi que les inégalités continuèrent d’exploser en Colombie.
Les participants
Ce qui fait la complexité du conflit est la multiplicité de ses participants. De plus, certains d’entre eux sont impliqués directement dans le conflit, alors que d’autres en sont des victimes, et sont ensuite devenus des participants. Chronologiquement parlant, le conflit opposait l’Etat aux FARC et à l’ELN, groupes de rebelles armés qui ont voulu se révolter contre le gouvernement en place. Ensuite, des groupes de citoyens se réunirent en milices paramilitaires afin de se défendre et de ne plus être la cible des conflits armés entre l’Etat et les mouvements rebelles. Ces milices furent officiellement créées en 1965 par décret gouvernemental pour soutenir l’armée colombienne. Cependant, afin de financer leurs activités, ces milices dérivèrent rapidement dans le trafic de drogue, d’armes, ou encore pratiquèrent des enlèvements contre rançons. Elles se sont regroupées à la fin des années 1990 au sein des Autodéfenses Unies de Colombie (AUC) et forment aujourd’hui le plus grand groupe paramilitaire colombien. Cette organisation est même classée parmi les organisations terroristes, au Canada par exemple, et est tenue responsable par les ONG pour la plupart des crimes réalisés pendant ce conflit. Enfin, il faut ajouter à ces acteurs, aux motivations déjà complexes, les cartels de drogue qui soutiennent certains acteurs, se battent contre d’autres et tentent de profiter de la déstabilisation provoquée par le conflit pour s’implanter dans les zones les plus fragiles. Ainsi, tous ces participants se relient pour déstabiliser la région et faire exploser les inégalités au sein même du territoire national.
Le conflit
Le 23 juin 2016, les FARC ont signé avec le gouvernement un accord de désarmement pour mettre fin à la guerre. Alors que cela était censé marquer la fin de la guerre, on réalise aujourd’hui que la paix est loin d’être acquise. En effet, les mouvements rebelles armés comme l’ELN ou l’EPL (Armée Populaire de Libération) ont refusé de déposer les armes et continuent leurs attentats contre l’Etat. Même si les FARC représentaient le mouvement le plus important (tant en termes de membres que de moyens), leur sortie du conflit n’a malheureusement pas permis la fin de ce dernier. De plus, les FARC ont accepté de rendre les armes en échange d’une réhabilitation de leurs membres au sein de la société civile. Cela passe par des aménagements nécessaires, en premier lieu pour regrouper les armements des FARC, mais aussi pour donner un toit à leurs anciens membres ou encore leur trouver un travail. Or, 5 ans après la signature de l’accord de paix, tout cela n’est pas encore accompli, et la lenteur administrative du processus de paix a contribué à la remilitarisation de certaines parties des FARC. De plus, le mouvement armé s’était transformé en parti politique, afin de poursuivre son combat de façon légale. Cela s’est révélé être un échec puisque, lors des premières élections en 2018, le parti n’a récolté que 0,35% des voix pour le Sénat et 0,22% pour le Parlement. Ainsi, à cause du manque d’efficacité de la voix légale et de la lenteur de leur réhabilitation, certains membres des FARC ont préféré reprendre le combat, dans lequel ils se sentaient plus entendus. Il faut ajouter à cela que l’actuel président de la Colombie, Ivan Duque, est contre l’accord de paix qui a été signé par le président Juan Manuel Santos et compte bien durcir les conditions de réinsertion des FARC dans la vie publique colombienne. Les procès des anciens leaders des FARC ont commencé depuis janvier 2021, les accusant de crimes contre l’humanité, avec espoir de rendre justice aux victimes des quelques 20 000 enlèvements qui ont eu lieu entre 1990 et 2016. Ainsi, même si la signature de l’accord de paix a marqué un arrêt majeur au conflit, celui-ci est loin d’être fini, ne serait-ce que par la justice qui doit être rendue à ses victimes.
Les enjeux
Aujourd’hui, un des enjeux principaux est la question de la déstabilisation de la population. En effet, la signature de l’accord de paix était censée mettre fin à la terreur qui régnait au sein de la vie publique colombienne. Or, la réalité est que les FARC ne sont toujours pas réhabilitées, plus de 200 des signataires de l’accord ainsi que leurs proches ont été assassinés, et les autres mouvements armés ont profité de la déstabilisation de la région pour renforcer leur implantation dans certaines parties du territoire. En effet, la violence dans les régions qualifiées de prioritaires par l’accord de paix a augmenté de 25% depuis la signature de l’accord, ce qui montre bien que la déstabilisation de la population n’a fait qu’augmenter. Les autres mouvements armés continuent de pratiquer des enlèvements contre rançons ou encore l’extorsion de « l’impôt révolutionnaire » sur les trafiquants de drogue.
Finalement, la question semble être de savoir si la création des mouvements rebelles en 1964 a réussi à réduire les inégalités, ou les a au contraire fait exploser. Il faut cependant reconnaître que, du point de vue des milices et autres groupes armés, reconnaitre aujourd’hui leurs exactions reviendrait à avouer que leur combat a été inutile. La solution semble résider dans le problème originel du conflit : les inégalités. Résoudre les inégalités au sein du pays ne donnerait plus de matière aux différents participants du conflit pour continuer à se battre. Cependant, ces derniers assurent aussi le maintien des inégalités pour éviter un tel retournement de situation. Profiter des inégalités pour justifier leur mouvement, est-ce réellement ce à quoi étaient déterminés les groupes rebelles de 1964 ?