Il y a des ouvrages incontournables en Sciences économiques et sociales. Cependant, du fait de leur volume, la prépa ne nous laisse pas le temps de les lire. Le Capital au XXIème siècle de Thomas Piketty (2013) en fait partie. En effet, cet ouvrage est central car il innove par sa perspective historique et globale et par les perspectives d’avenir qu’il soumet. C’est pourquoi nous allons aborder ici les points essentiels du livre, notamment les chiffres et graphiques, mais aussi des concepts clés comme les deux lois fondamentales du capitalisme et les propositions qu’apporte l’auteur pour résoudre les problèmes qu’il soulève.
I/ Résumé
Dans cet essai, il est question de la répartition des richesses et du revenu, donc d’un stock et d’un flux. Piketty étudie cette répartition à un niveau mondial, même s’il privilégie l’Europe et les Etats-Unis, et ce sur le long terme (1800-2010). Cette étude des inégalités et de leur évolution depuis le XIXème montre que ce phénomène n’est ni linéaire, ni stable :
- Au cours du XIXème siècle, avec la Révolution industrielle, les inégalités de capital se sont fortement accrues, creusant l’écart entre les classes supérieures possédantes et les démunis, exploités au travail jusqu’à l’augmentation des salaires en fin de siècle. Les formes dominantes de patrimoine étaient la terre et les titres de créance de dette publique.
- Le XXème siècle avec tous ses chocs (guerres mondiales, crise des années 1930) a formé une rupture ; après 1919, les héritages ont été détruits physiquement et engloutis dans la dette publique qui ne cessait de croître. De l’autre côté, les inégalités de revenus du travail ont été comprimées du fait des différentes politiques publiques. Ce phénomène de compression des inégalités s’est reproduit après la Seconde Guerre mondiale.
- Cependant, depuis les années 1980, on assiste à un retour en force du capital et des inégalités de revenus du travail : d’une part, les héritages ont eu le temps de se reformer depuis 1945 ; d’autre part, les nouvelles conditions de travail accompagnant la vague de libéralisation ont entraîné une hausse des très hauts salaires (due au système de négociation par lequel un cadre fixe son salaire, étant donné que sa fonction est unique, non reproductible, sa productivité marginale est difficilement quantifiable). C’est pourquoi Piketty avance certaines préconisations face à ce « grand retour du capital », perspectives que nous aborderons après avoir présenté les grands chiffres et notions à retenir !
II/ Les chiffres principaux
Commençons par les chiffres. Pour mesurer la répartition des richesses et son évolution sur le long terme, Piketty se fonde sur une base de données très complète. Voici quelques chiffres parmi les plus importants de l’ouvrage :
- A toutes les époques étudiées, les 10% touchant les plus hauts revenus du travail concentrent 25-30% des revenus totaux du travail ; les 10% détenant le plus de capital possèdent toujours un taux supérieur à 50% du patrimoine national ; les 50% des personnes les plus pauvres ne possèdent jamais plus de 10% du patrimoine total.
- En France, avant 1914, le dernier décile de la hiérarchie sociale détenait 45-50% du revenu national, contre 30-35% aujourd’hui. Quant au dernier centile, il possédait 20% du revenu national en 1900, pour 8% en 2000.
- Aux Etats-Unis, les 1% les plus riches ont absorbé près de 60% de la croissance sur 1977-2007. On y observe également une hausse sans précédent des inégalités de salaires, qui explique la hausse des inégalités totales aux deux-tiers.
- Le nombre de milliardaires à l’échelle mondiale est passé de 140 en 1987 à 1400 en 2013, et leur patrimoine total de 300 milliards à 5400 milliards (1,5% du patrimoine privé mondial).
- Aujourd’hui, la dette publique des pays développés s’élève à 90% du PIB, des montants qui n’avaient pas été atteints depuis 1945.
- Le rapport entre capital et revenu national est aujourd’hui en France de 600%, c’est-à-dire que le niveau de capital est égal à 6 années de production nationale. Ce rapport était de 7 années (700%) avant la Première Guerre mondiale, niveau qu’il devrait atteindre à nouveau d’ici 2100. Il était de 2 à 3,5 années dans les années 1970, juste avant le « grand retour du capital » (nouvelle accumulation et concentration de capital après la destruction importante de patrimoine qu’a été la Seconde Guerre mondiale).
La plupart des données se présentent sous la forme de graphiques et tableaux (ce qui est normal, étant donné que Piketty cherche avant tout à mesurer des évolutions, des proportions, et à les comparer entre pays). En voici deux qui peuvent être utiles :
Par ailleurs, tous les graphiques présentés dans l’ouvrage sont disponibles à l’adresse suivante : http://piketty.pse.ens.fr/fr/capital21c.
III/ Les concepts clés de l’ouvrage
Piketty utilise des concepts particuliers et des grandes lois qu’il identifie lui-même, ce qui constitue un ensemble de définition qu’il est important de connaître pour comprendre l’ouvrage et les thèses sur lesquelles il s’appuie, mais aussi pour pouvoir lire certains documents dans les dossiers des concours et utiliser facilement les chiffres présentés.
Tout d’abord, le capital est pour Piketty l’ensemble des actifs non humains qui peuvent être possédés et échangés sur un marché. La frontière entre les termes patrimoine et capital étant pour lui trop difficile à définir, il les utilise indifféremment. Le capital peut être public, possédé par les APU, ou privé, possédé par des particuliers (entreprises, ménages…). Par conséquent, Piketty exclut le capital humain de sa définition, car si le travail d’autrui est utilisé, l’individu qui le fournit n’est pas possédé.
Il y a un rapport essentiel pour situer le capital, privé et public, dans une société. Il est noté β (bêta) : c’est le rapport capital/revenu. Ce rapport permet de déterminer la valeur du capital dans un pays par rapport au revenu national. Par exemple, si β= 600% du revenu national, alors le capital de ce pays (soit le patrimoine possédé par tous les résidents, privés et publics) est égal à 6 années de revenu national.
Ce rapport nous permet de penser un mécanisme essentiel : la première loi fondamentale du capitalisme. Cette loi correspond à l’équation : α = r x β, ce qui signifie que la part du capital dans le revenu national (α, alpha) est égale au produit du taux de rendement du capital (r) et du rapport capital/revenu (β). Par exemple, avec une production à hauteur d’un million d’euros, dont 600 000 de salaires, et un capital de 5 millions, on a β=5 (car revenu national= un million et capital= 5 millions), α=40% et r=8%. Cette loi n’est qu’une égalité comptable, elle est donc vraie de tous temps.
Ce qui nous amène à la seconde loi fondamentale du capitalisme : un pays qui épargne beaucoup et croît lentement accumule beaucoup de capital. Cette loi est exprimée par l’équation : β = s / g. Le rapport capital/revenu (β) est égal à long terme au rapport entre le taux d’épargne nette (s) et le taux de croissance (g). Par exemple, si un pays a un taux d’épargne de 12% et de croissance de 2%, son rapport capital/revenu sera égal à 600% (le capital équivaut à 6 années de revenu national, soit à peu près le niveau actuel).
Enfin, pour analyser la croissance des inégalités, Piketty identifie la force principale de divergence des inégalités, notée : r>g, où r le taux de rendement du capital et g le taux de croissance. Les divergences de patrimoine (rapport revenu/capital) sont accentuées par une croissance faible : les patrimoines issus du passé se recapitalisant bien plus vite que la production et les salaires, les patrimoines hérités deviennent donc supérieurs aux patrimoines constitués (c’était le cas jusqu’au XIXème et cela pourrait le redevenir, comme le montre N. Frémeaux dans Les nouveaux héritiers, 2018).
IV/ Perspectives pikettiennes
En ce début de XXIème siècle, nous serions retombés dans la dangereuse possibilité d’une spirale inégalitaire. Cette spirale n’a pas, comme l’ont pensé Marx ou Kuznets, de fin « naturelle » entrainée par les lois du marché. Au contraire, elle découle du paradoxe du capitalisme, de l’inéquation : r>g, avec r le taux de rendement du capital et g le taux de croissance, inéquation vraie de tout temps que Piketty nomme une force de divergence des inégalités. Plus l’écart entre r et g est élevé, plus les patrimoines se recapitalisent vite et s’accumulent, creusant l’écart entre possédants et démunis. Pourtant, au XXème l’Etat social a été mis en place, investissant dans la santé et l’éducation, permettant ainsi de réduire au moins les inégalités d’accès à ces domaines, et par là espérant garantir une baisse des inégalités de revenus. De plus, ce siècle a également vu naître réellement l’impôt, sur le revenu et le capital, à des taux très faibles au début, qui ont ensuite explosé suite notamment à la crise de 1929, crise dont les inégalités avaient été tenues pour responsables. Mais cela n’est visiblement pas suffisant : l’éducation n’a par exemple pas l’air de réduire assez la reproduction sociale et les inégalités d’accès au capital et aux postes les mieux rémunérés.
Par conséquent, il faut endiguer ce phénomène, tout en faisant en sorte de ne pas freiner la croissance par une taxation trop forte du capital. Pour Piketty, la solution est l’impôt progressif mondial sur le capital. En effet, cette spirale inégalitaire concerne tous les pays, en ce qu’elle est renforcée par la concurrence fiscale qui créé de l’évasion vers les paradis fiscaux (et donc une inefficacité d’un impôt uniquement national). Ainsi, il faut que l’impôt soit mondial. Ensuite, il répondrait à deux logiques : la première est contributive, en ce que cet impôt permettrait de connaître les capacités de contribution de chaque individu ; la seconde est incitative : cet impôt pousserait les détenteurs de patrimoine à mieux placer leur capital, à le rendre plus productif. Il serait comme un droit à la propriété, qui de plus garantirait une certaine transparence tant aux Etats qu’à leur population, permettant ainsi des politiques adaptées. Ainsi, à travers l’impôt, Piketty prône la transparence vis-à-vis des différents revenus et de leurs placements, tant dans un but d’imposition que de justification des politiques mises en place.