La mer de Chine orientale est un lieu de convoitise et de tensions mondiales. Kevin Rudd, ancien premier ministre de l’Australie, n’hésite pas à comparer les mers de Chine aux Balkans au XXème siècle. Pourtant, ces mers sont majoritairement inhabitées. Mais alors, pourquoi sont-elles aujourd’hui une des zones les plus militarisées au monde ?
La zone géographique
Le conflit se situe en mer de Chine orientale, soit la mer qui sépare la Chine et le Japon. Cette mer est constituée d’une multitude de petits îlots inhabités au positionnement géostratégique inégalable. Cela concerne majoritairement les îles Senkaku/Diaoyu. Ces petits îlots sont revendiqués par la Chine et le Japon et entraînent une forte militarisation de la région.
Les causes
La raison pour laquelle ces deux pays s’arrachent les îles Senkaku/Diaoyu est leur position géostratégique majeure. En effet, les mers chinoises sont le coeur de la mondialisation depuis plusieurs dizaines d’années, elles comprenaient 27% du PIB mondial en 2018. La Chine revendique donc toute la mer entre ses côtes et le Japon. Cette dernière représente 1/5 du commerce mondial, et contient beaucoup de ressources halieutiques, de minerais et terres rares, d’hydrocarbures (on peut citer le gisement de Pinghu que la Chine utilise et qui produit 11 milliards de barils de pétrole). Cependant, ce qui justifie de telles tensions dans les revendications de ces îles remonte à la 2nde Guerre Mondiale. Initialement, ces îles appartenaient à Taïwan. Or, en 1895, le Japon envahit Taïwan et récupère donc ces îles. Il les nomme alors les îles Senkaku. A la fin de la 2nde Guerre Mondiale, la défaite du Japon implique qu’il doit rendre tout ce qu’il a conquis pendant sa période d’expansion. Cependant, ces îles ayant été envahies avant le début de la 2nde Guerre Mondiale, leur statut n’est pas clairement défini. Ainsi, le Japon estime que ces îles lui appartiennent toujours, là où la Chine, ayant battu Taïwan pendant la guerre civile en 1949, estime que ces îles sont légitimement revenues à Taïwan en 1945, et par conséquent, lui appartiennent aujourd’hui. C’est surtout suite à la conférence de Montego Bay en 1982 que la revendication de ces îlots est devenue primordiale. Cette dernière a défini les conditions de l’extension des ZEE et donc, de l’importance que chaque îlot émergé représentait.
Les participants
Les participants de ce conflit sont principalement la Chine et le Japon. On peut aussi y inclure Taïwan, qui est à l’origine du problème de possession/revendication de ces îles.
Le conflit
Le conflit repose sur la possession des îles Senkaku/Diaoyu, mais aussi les archipels qui se trouvent à proximité, et tout îlot émergé dans cette mer. La conférence de Montego Bay de 1982 déclare que tout Etat signataire contrôle la mer qui l’entoure à hauteur de 200 miles à partir de ses côtes. Elle précise aussi que les ZEE peuvent être étendues si un Etat peut prouver que son plateau continental continue au-delà des 200 miles marins règlementaires. Au sein de sa ZEE, un Etat a le droit d’exploiter toutes les ressources qui s’y trouvent et possède un droit de regard sur les bateaux qui y naviguent. En ratifiant cette convention, les pays se sont lancés dans une course à la revendication d’îlots émergés afin de pouvoir agrandir leur ZEE. En effet, une ZEE plus grande signifie un accès plus important aux ressources maritimes : pétrole, gaz, ressources halieutiques, minerais… La possession des îles Senkaku/Diaoyu n’a pas été définie par l’ONU, mais la Chine continue de revendiquer ces îlots et y installe des bases militaires. Ce faisant, le Japon se sent dépossédé de ses terres et menacé par la puissance militaire de la Chine. Et il y a de quoi : la Chine possède actuellement quatre sous-marins nucléaires et un porte avion depuis 2012. Le but de cette marine chinoise est d’assurer à la Chine une domination des mers jusqu’en Indonésie et Australie. A terme, la Chine veut avoir une force navale globale équivalente à celle des Etats-Unis, d’ici 2050. Ce conflit est donc une sorte de vitrine pour la Chine : elle y expose ses nouvelles armes et teste sa force de persuasion.
Les enjeux
Les enjeux de ce conflit sont avant tout stratégiques. La possession des îles Senkaku/Diaoyu permettrait au Japon et à la Chine d’agrandir leur ZEE. Cela suppose l’extension de son accès aux ressources maritimes mais aussi et surtout son contrôle de cette route maritime. En effet, aujourd’hui, 9 des 10 plus grands ports mondiaux se situent sur le littoral chinois. Le contrôle de la mer de Chine orientale est donc primordial dans le commerce mondial. Or, la conférence de Montego Bay déclare que les Etats ont un droit de contrôle sur les bateaux qui naviguent près de leurs côtes. Ainsi, plus les Etats possèdent d’îlots en haute mer, plus leur ZEE s’étend et plus leur contrôle est important. Pour la Chine, le contrôle de cette mer assure aussi une certaine tranquillité vis-à-vis de Taïwan. En effet, l’Etat chinois doit pouvoir être opérationnel en cas d’un conflit avec Taïwan. L’île étant soutenue par les Etats-Unis, tout conflit risquerait de déclencher une guerre ouverte entre les deux superpuissances. C’est ce qui explique, selon l’expression de M. Duchatel, « l’obsession maritime » chinoise. En se développant, les Chinois ont pris conscience que les dangers extérieurs ne viennent plus seulement du continent mais aussi et surtout de la mer. C’est par la mer que les Occidentaux ont imposé des traités inégaux à la Chine lors des guerres de l’opium au XIXème siècle. Son environnement est donc à la fois une menace mais aussi un lieu nécessaire pour commercer. Il y a aussi une obsession de pouvoir assurer ses acheminements en matière énergétiques et alimentaires. La Chine a donc développé sa marine de guerre pour sécuriser cela. Enfin, cette obsession est aussi liée au développement de la marine militaire, car si ces îles deviennent chinoises, cela permet à la Chine d’avancer ses bases militaires et donc de faire reculer les Etats-Unis, jugés trop présents en mer orientale par la Chine. Il y a donc aussi une sorte de course à l’armement entre la Chine et les Etats-Unis. La Chine veut repousser le plus possible ces derniers et ceux-ci envoient régulièrement des bateaux, au risque de dégénérer en conflit ouvert. Mais la puissance maritime de la Chine est encore récente et ne peut pas, pour l’instant, rivaliser avec celle des Etats-Unis.
Pour conclure, la balkanisation de la mer de Chine orientale est avant tout liée à la peur de la Chine de ne pas pouvoir contrôler seule son « empire ». Dans son ouvrage Influence de la puissance maritime dans l’histoire, Alfred Mahan démontre bien que la puissance passe d’abord par une sécurisation de ses terres, puis par le développement de sa marine pour être capable de contrôler les points stratégiques mondiaux et protéger ses côtes. Après les Etats-Unis, c’est au tour de la Chine de suivre ce guide pour conforter sa place de grande puissance mondiale.