Le monde d’après : ce que nous dit la géopolitique
La crise du coronavirus nous invite à repenser le monde actuel. La nature semble reprendre ses droits : l’eau des canaux de Venise est redevenue claire et limpide, des animaux sauvages tels des dauphins, des sangliers et surtout les oiseaux, s’approchent de plus en plus des milieux urbains et la qualité de l’air s’est nettement améliorée. Pendant la période du confinement, médias et intellectuels dressaient les contours du « monde d’après » : chacun spécule sur quel sera le visage du monde après la crise du COVID-19. Est-ce l’occasion de bâtir les jalons d’un monde plus juste avec une politique économique soucieuse de l’environnement ? Le développement du capitalisme libéral accompagné de son expansion géographique va-t-il être remis en cause ?
Sur le plan géopolitique, chaque État réagiT à sa manière à la crise du COVID-19. D’un côté, les adeptes de l’école productiviste, représentés par les États-Unis pour qui relancer l’économie passe avant les dangers sur la santé publique. D’un autre côté, des pays comme le Danemark qui estime que seules les entreprises qui ne sont pas enregistrées dans les paradis fiscaux méritent l’aide de l’État. La France adopte une politique plutôt ambiguë : la majorité a voté une loi 20 milliards de dollars pour venir en aide aux entreprises en difficulté mais sans imposer de contrepartie en comptant sur la « bonne volonté » des entreprises.
Ce n’est pas la première fois qu’une crise d’ampleur internationale remet en question l’ordre mondial et nos modes de vie et de consommation. L’Histoire peut nous éclairer sur les réactions de l’humanité face aux crises.
La recherche désordonnée de solutions aux crises des années 70
Les années 70 ont été témoins de plusieurs crises qui ont mis fin à la prospérité des trente glorieuses : les dérives inflationnistes des États, le « coup Nixon » de 1971, la fin des parités stables puis les deux chocs pétroliers de 1973 et de 1979.
Étudions la réaction des États pour trouver une solution au choc pétrolier de 1973. La première initiative est américaine : il s’agit de la création de l’Agence internationale de l’énergie en 1974 pour coordonner la gestion des stocks de pétrole et étudier leur répartition en cas de pénurie entre les pays occidentaux. Mais cela se heurte aux divergences entre les États et finalement les solutions nationales l’emporteront sur les stratégies communes. Au grand dam de la gauche, la France optera pour l’énergie nucléaire pour réduire sa dépendance au pétrole. Le Royaume-Uni profitera des nouvelles découvertes de pétrole au large de l’Écosse. La RFA, de son coté, utilisera l’envolée du deutsche mark pour compenser la hausse des prix.
Ce petit retour en arrière, nous montre comment les sociétés évoluent lorsqu’elles sont confrontées à des crises, les ruptures des années 70. Premièrement, les sociétés occidentales abandonnent le système Tayloriste-fordiste qui subit une triple crise : une crise de légitimité car le travail est jugé humiliant et dénué de sens, une crise de compétitivité du fait des délocalisations et du libre-échange qui font qu’il est plus rentable de produire certains biens dans les pays du Sud et une crise d’efficacité car la hausse des salaires n’est plus compensée par la hausse de la productivité. Deuxièmement, les doctrines de Keynes sont remises en cause, l’État-providence devient trop couteux que ce soit pour les entreprises ou le budget de l’État et la prospérité qui le rendait possible n’est plus. Ceci fera que la décennie des années 80 verra le retour en force des thèses libérales. Troisièmement, la désindustrialisation des pays du Nord s’accélérera, les entreprises quittent les pays du Nord pour échapper aux contraintes des règlementations, aux charges couteuses et aux limites du fordisme.
Lorsque l’humanité traverse une crise majeure, cette dernière devient un marqueur temporel car elle entraîne des changements conséquents. Donc essayer de penser comment sera le monde après le COVID-19 est ce qu’il y a de plus rationnel !
Les premiers contours du monde d’après se dessinent
· Pour Donald Trump, l’économie, paramètre clef de sa réélection, passe avant la santé publique. Le masque devient même un symbole politique. Donald Trump s’obstine à ne pas porter de masques. « Quand je salue des présidents, des premiers ministres, des dictateurs, des rois, des reines … je me vois mal porter un masque » avait affirmé le président américain. Mike Pence, vice-président des États-Unis, avait même rendu visite à des patients atteints du COVID-19 sans masque… Peut-on en conclure que le monde d’après appartient à l’ère « post-vérité » ? Commençons d’abord par définir le terme « post-vérité ». Le dictionnaire d’Oxford l’a désigné comment étant le mot de l’année 2016 et lui a attribué cette définition limpide : « qui fait référence à des circonstances dans lesquelles les faits objectifs ont moins d’influence pour modeler l’opinion publique que les appels à l’émotion et aux opinions personnelles. »
· Fragilisée par la crise des dettes souveraines de 2010, puis par la crise des réfugiés de 2013, L’Europe semble mal partie pour apporter une réponse commune efficace à cette crise sanitaire. « Le climat qui semble régner entre les chefs d’État et de gouvernement et le manque de solidarité européenne font courir un danger mortel à l’Union européenne » estime Jacques Delors ancien ministre français de l’Économie, qui a présidé la Commission de 1985 à 1995, aujourd’hui âgé de 94 ans. Des masques envoyés par la Chine ne sont jamais arrivés en Italie parce qu’ils ont été volés par la République Tchèque avec l’accord des autorités. Plus grave encore, La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a évoqué la possibilité d’une procédure d’infraction contre l’Allemagne, alors que la Cour constitutionnelle de Karlsruhe s’oppose à la politique de rachat de dette publique de la Banque centrale européenne (BCE). L’indépendance monétaire et les fondements mêmes du droit de l’Union sont en jeu estime le magazine LaCroix. L’Allemagne juge qu’une telle politique lui coutera chère, elle qui faisait preuve de discipline budgétaire irréprochable et que, par conséquent, elle n’a pas à payer pour les « caprices » des autres. L’éternel débat entre les « cigales » et les « fourmis » de la zone euro refait surface. Un autre plan sur lequel l’Europe est fragilisée, peut-être même en son cœur, est le plan des valeurs, en Hongrie Victor Orbán a fait voter un loi qui lui donne les pleins pouvoirs pendant une durée indéterminée, selon Jean-Dominique Giuliani, président de la fondation Robert Schuman, il s’agit d’une situation inacceptable car même dans le droit des circonstances exceptionnelles une loi d’exception doit être limitée dans le temps et proportionnée par rapport aux l’ampleur de la crise.
· La diplomatie de la Chine n’a pas vraiment changé : elle reste opportuniste et pragmatique. Les masques sont une denrée rare dans de nombreuses régions du monde, mais sont abondants en Chine. On en produit 200 millions chaque jour. Pour faire oublier les erreurs commises, la Chine s’affiche désormais au chevet des pays touchés par le virus. Jack Ma, fondateur d’Alibaba, a même offert des masques à l’Éthiopie. La Chine veut faire du « monde d’après » un monde chinois et la politique isolationniste des États-Unis lui facilite la tâche.
Un monde plus écologique et juste est-il possible ?
La pandémie est d’abord un fait biologique, mais l’humanité la vit comme un fait social : elle met à nu toutes nos relations sociales et nos modes d’organisation et de consommation. Certains y voient l’occasion de poser la question du « retour au normal » et remettent en question notre système de consommation et ses excès. Mais concrètement, au niveau politique, la priorité est la relance de l’économie et le contrôle de la propagation du virus. Selon Wall Street, à voir les parcours boursiers d’Amazon, Tesla ou Procter & Gamble, les investisseurs estiment que le monde de demain sera plus cartellisé, plus globalisé et plus technologique. A rebours de ceux qui plaident en faveur d’une démondialisation et d’un retour au local selon le magazine Le Monde. La ruée vers les fast-foods au lendemain du confinement montre que nous ne sommes pas prêts à amorcer un véritable changement.