Du Mouvement 5 Etoiles à Occupy Wall Street, en passant par les gilets jaunes, le populisme est devenu, en quelques années, un mot fourre-tout à la mode, trop souvent réduit à sa seule dimension protestataire. Dans ce livre, Pierre Rosanvallon, professeur au Collège de France et spécialiste de la question sociale, affirme qu’il constitue « l’idéologie ascendante du XXIème siècle, à la fois un symptôme et une fausse solution à la crise de nos démocraties contemporaines ». Vous l’aurez compris, cet ouvrage peut s’avérer très utile sur des sujets aussi vastes que la mondialisation (migrations), l’Occident (remise en cause du modèle démocratique) ou l’Amérique latine. A titre personnel, il m’a servi à l’ESCP (sujet sur le retour des frontières).
Un concept ancien
- Contextualisation
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le populisme remonte à Napoléon III. Sous son règne, l’Empereur cherche à apparaitre proche du peuple en multipliant les référendums et les tournées à la rencontre des Français.
Il faut toutefois attendre la première mondialisation (1890-1914) pour qu’apparaisse le premier grand moment populiste. Aux États-Unis, une vague de xénophobie s’empare du pays (campagnes antichinoises menées dans les années 1870). Elle s’éteindra en 1904 avec Roosevelt. En France, l’épisode boulangiste (1885-1889) remet en cause la légitimité du modèle démocratique au nom de ‘’la patrie et du peuple’’.
- Le Laboratoire latino-américain
Le projet populiste, tentant de répandre une vision simplificatrice du social, se serait par la suite répandu en Amérique latine (années 1930-1940). Il s’agissait alors de retrouver une unité perdue en désignant un ennemi commun. L’auteur cite notamment le Colombien Jorge Eliécer Gaitán et l’Argentin Juan Perón, deux populistes emblématiques. Si le premier a défendu des travailleurs grévistes de la United Fruit Company contre le gouvernement (1928), le second fut engagé en faveur de la condition ouvrière et de la justice sociale.
Aujourd‘hui, le populisme latino-américain se caractérise par une forte contestation de l’impérialisme américain (Morales, Chávez, Castro).
…Qui connait un regain d’intérêt
- La mondialisation contemporaine, un bouc émissaire idéal ?
Selon Rosanvallon, la mondialisation porte une part non négligeable de responsabilité. Les crises financières, le développement des Nouvelles Technologies de I’information et de la Communication (diffusion croissante des théories conspirationnistes) et l’émergence d’acteurs non-étatiques (FMN, ONG, OIG) ont dépossédé les peuples de leur souveraineté et accru le sentiment de déprise qu’ils ressentaient.
S’érigeant en porte-parole des « oubliés », le populisme prône le rétablissement des barrières de toutes natures (murs aux frontières, protectionnisme…), puissants marqueurs identitaires (populisme de droite uniquement), synonyme d’une souveraineté retrouvée.
- Une réponse à la crise de légitimité du système démocratique
En fait, le populisme se pose en alternative au système démocratique actuel, accusé d’être en mal de représentativité (démocratie polarisée entre le peuple, majoritaire, et une élite jugée insensible à ce qui se passe à ses portes). Le mouvement des Indignés en Espagne (2011) ou d’Occupy Wall Street aux États-Unis (2011), en sont autant d’exemples significatifs. Dans les deux cas, il s’agit d’une addition de situations ressenties comme injustes où la question sociale l’emporte sur la seule condition salariale.
Au-delà des particularismes, une « idéologie » commune
- Une théorie de la démocratie : directe, immédiate
Celle-ci se veut directe (omniprésence du référendum, des initiatives populaires), polarisée (rejet des corps intermédiaires, y compris des médias susceptibles d’être des instruments de contre-pouvoir) et immédiate (spontanéité populaire). En cela, l’idéologie populiste s’oppose au modèle actuel des démocraties libérales-représentatives.
- Un régime de passions et d’émotions
Le populisme se caractérise par son leader, un « homme-peuple », capable de mobiliser les émotions et s’en remettre aux passions tristes (sentiment d’abandon, perte de dignité) pour construire un affect collectif. Le président vénézuélien Chávez déclarait ainsi lors de la campagne présidentielle de 2012 : « Quand vous me voyez, je le sens, quelque chose me dit : Chávez, c’est tout un peuple ! ».
Et, puisque « la fin justifie les moyens », il a souvent recours aux fake news pour restaurer la lisibilité du monde et n’hésite pas à faire preuve de « dégagisme » dans ses discours (rejet de l’élite). L’objectif est simple : ériger le peuple en figure centrale de la démocratie.
Conclusion
Pierre Rosanvallon conclut en affirmant que si les moyens mis en place par les populistes sont largement contestables, la crise de représentativité qu’ils dénoncent, elle, est bien réelle. Face à cette impasse, une seule solution durable se présente à nous : l’instauration d’une « démocratie interactive » fondée sur une participation croissante des citoyens à la vie politique (mise en place de consultations, tirage au sort).