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La représentation symbolique du monde

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Réfléchir à la notion de monde, c’est réfléchir à la manière dont l’Homme s’est représenté celui-ci, à réussi à se trouver une place face à toute l’étrangeté et la peur qu’il peut inspirer. Comment l’Homme a t-il pu réussir, au tout début de son existence, à créer un lien avec ce dernier, à se l’approprier ? Les questions qui se posent ici nécessitent de se tourner vers l’anthropologie, vous essayer de comprendre la manière dont l’Homme a tenté dans ses débuts d’agir sur lui, de parvenir à le maîtriser. Cela passe notamment, dans les cultures païennes, par la représentation symbolique du monde, dont nous allons essayer ici de tirer les implications, notamment au travers de l’essai Le rituel du serpent d’Aby Warburg. 

 

La démarche d’Aby Warburg 

Aby Warburg est un historien de l’art, mais qui veut s’inscrire à contre-courant de l’histoire de l’art esthétisante de son époque (fin du XIXe) qui visait à une appréciation des  styles : selon lui, la représentation abstraite et symbolique qu’il trouvait sur la plupart des objets produits par la civilisation Pueblo du Nouveau-Mexique répondait à la nécessité biologique de l’art, qu’il s’agissait pour lui d’étudier, dans une démarche qu’on pourrait qualifier d’anthropologique. Selon lui, l’oeuvre d’art est l’instrument d’une culture primitive fondée sur la magie, afin de se mettre en relation avec le surnaturel et ses manifestations naturelles et ainsi tenter de comprendre le monde et d’avoir une influence sur lui, et que c’est par la suite que la représentation devient un processus esthétique. 

Ainsi Warburg tente t-il d’analyser les symboles, qui sont pour lui l’incarnation de cette distanciation entre l’homme et les éléments naturels et religieux, pour atteindre une maîtrise du monde par l’image, afin de dompter les forces incompréhensibles de celui-ci.

 

L’observation de la danse des masques et du rituel du serpent au Nouveau-Mexique

Aby Warburg prend comme exemple la danse des masques chez les pueblos du Nouveau-Mexique : ces derniers se masquent en se glissant par imitation à l’intérieur du butin espéré (des animaux, du maïs par exemple) : ils croient ainsi s’emparer par anticipation, grâce à une mystérieuse métaphore mimétique, des moyens de subsistance, qu’ils obtiendront ensuite par le travail de la terre. Ainsi, la recherche des moyens de subsistance par le groupe social est donc schizoïde : c’est la rencontre de la magie et de la technique. 

Aby Warburg analyse cela en montrant que cette coexistence de la civilisation logique et d’une causalité magique fantasmatique est le symbole de l’état de transition des indiens pueblos entre le stade de primitivité (caractérisé par l’utilisation simple des mains, avec une absence de pensée pour le futur) et la civilisation technologique européenne (attendant l’évènement à venir comme une nécessité organique ou mécanique). Ils sont en effet à égale distance de la magie et du logos, et leur instrument c’est le symbole, qu’ils savent manier.

Ce symbole, c’est aussi celui du serpent, représentant la foudre, qui est  utilisé dans de nombreux rituels pueblos, notamment pour invoquer la pluie : ainsi, un rituel, le rituel du serpent, consiste à se placer des serpents vivants dans la bouche, et ainsi à dépasser ses craintes de l’animal pour faire venir la pluie. Le serpent tend alors à symboliser tout ce qu’il y a de dangereux dans le monde, tout ce qui peut menacer les Hommes, et par sa maîtrise, les Hommes reprennent le contrôle du monde, peuvent influer sur lui.

Mais cette figure symbolique du serpent ne se retrouve pas que chez les Pueblos, mais également dans la culture européenne : on pensera, juste concernant la religion chrétienne, au serpent du jardin d’Eden, au serpent de d’airain que Dieu a fait construire à Moïse…

 

Le rapport symbolique au monde 

A partir de cet exemple, Aby Warburg tente d’en tirer une compréhension de la place du symbole dans le rapport entre les Hommes et le monde : ces danses des masques ou le rituel du serpent doivent être considérées comme une réponse, sous une forme primaire païenne, à la question du pourquoi du monde. Au caractère incompréhensible des phénomènes naturels du monde, l’Indien oppose sa volonté de comprendre en se transformant personnellement, en devenant lui-même cette cause des choses.

Mais cette question du symbole pose aussi également la question de notre rapport à nous, européens de l’époque technologique, au monde : comment l’humanité se libère-t-elle de cette connexion nécessaire avec un reptile venimeux en qui s’incarne la cause agissante ? 

La rationalité des sciences de la nature a éliminé la causalité mythologique. En remplaçant la causalité mythologique, la causalité technologique supprime le caractère effrayant que ressent l’homme primitif face au monde, l’homme contrôlant l’éclair par exemple par les lignes hautes-tensions, mais la science n’aide en rien à en régler sa compréhension. 

 

Ainsi la civilisation de l’âge mécanique détruit elle ce que la connaissance de la nature née du mythe, avait péniblement construit, et Aby Warburg considère que nous sommes passés d’un “espace de contemplation” à un “espace de pensée” du monde. Mais cela a comme conséquence une destruction de la notion de distance vis à vis du monde qui menace selon lui de nous conduire au chaos. En effet, la pensée mythique et la pensée symbolique, en luttant pour donner une dimension spirituelle à la relation de l’homme à son monde, ont fait de l’espace une zone de contemplation ou de pensée, espace que la communication électrique par exemple anéantit.

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Corentin Viault