En 2015, lors d’un discours à des financiers, Mark Carney, alors directeur de la Banque d’Angleterre, invitait les investisseurs à “briser la tragédie des horizons”. Selon lui, le très court cycle financier n’arrivait pas à prendre en compte correctement les effets du dérèglement climatique à long terme. Dans sa suite, Andrew Bailey, alors président de la banque d’Angleterre, décide de communiquer l’empreinte carbone de la banque centrale d’Angleterre en 2020. Il est donc l’heure pour les banques centrales de s’engager dans la transition écologique et de limiter leur impact sur le climat. Mais comment ?
La double matérialité du risque climatique sur les activités financières
La finance est un problème pour le climat
C’est ce que le rapport OXFAM pointe du doigt. Selon lui, les grandes banques françaises ont une empreinte carbone 8 fois supérieure à celle des émissions de GES de la France. De plus, la BNP, la Société Générale, le Crédit Agricole et la Banque Populaire Caisse d’Epargne financent à hauteur de 100 milliards de dollars le secteur des énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon…). Pire, cette tendance est à la hausse sur 2019-2020 à plus de 22,5%.
D’autres études insistent sur la responsabilité des Banques Centrales dans le financement de la pollution. En effet, à l’ère des politiques monétaires non-conventionnelles, les actions des BC sont pointées du doigt. De fait, en rachetant massivement des actifs, les BC sont devenus de gros investisseurs. On compte en effet plus de 3700 milliards d’euros de titres rachetés pour la BCE en décembre 2020. Cela correspond à plus de 2 fois ce que le plus gros fonds mondial détient (le fonds japonais GPIF). La difficulté est que parmi les titres privés rachetés par la BCE, 62,7% relèvent d’entreprises de secteurs carbonés.
Le problème de ces investissements colossaux est que, au-delà de favoriser les entreprises polluantes, ils se font au détriment d’investissements dans des entreprises moins polluantes. En maintenant sous perfusion l’économie de la sorte, les BC freinent une possible transition vers une production moins brune.
Le climat représente un obstacle pour la finance
En effet, l’impact climatique sur l’activité financière est de la plus haute importance.
Dès 2006, le rapport Stern alertait sur l’incapacité des marchés financiers à évaluer le risque climatique. En effet, ces derniers ne parvenaient pas à les quantifier dans les prix formés.
De fait, il existe un triple risque climatique :
- Un risque physique dû au dérèglement climatique. Les actifs détenus par les financiers peuvent être conduits à être détruits ou endommagés. Ainsi, la valeur de ces actifs se trouve fortement dépréciée.
- Un risque de responsabilité juridique : en conséquence du financement d’activités polluantes, les financiers peuvent être confrontés à des ennuis juridiques. Les victimes des dérèglements climatiques induits par ces activités polluantes ont la possibilité d’engager des procès contre eux.
- Un risque de transition : la valeur de certains actifs (notamment dans le secteur fossile) peut être amenée à baisser au rythme de la transition.
Des clefs pour changer de paradigmes
Les outils qui s’offrent aux banques centrales
Jézabel Couppey-Soubeyran propose dans L’économie mondiale 2022 (2021) trois outils qui permettraient aux Banques Centrales de jouer un rôle dans la transition écologique.
- Jouer sur les opérations de refinancement. Pour cela, il faudrait que les banques centrales décident de faire dépendre le taux de refinancement des banques secondaires à leur empreinte carbone ou encore à leur part d’investissements verts. Ce faisant, elles inciteraient les banques commerciales à se détourner du financement d’activités polluantes pour des activités plus vertueuses sur le plan écologique.
- Jouer sur les garanties. Afin d’être refinancées, les banques secondaires devraient apporter des titres à la Banque Centrale selon une liste préétablie. Il s’agirait alors pour la Banque Centrale de modifier la liste des titres acceptés pour les conditionner à des critères environnementaux.
- Jouer sur les rachats d’actifs. En effet, plutôt que de racheter des actifs polluants, les politiques de rachats d’actifs des banques centrales devraient elles aussi être conditionnées à des critères écologiques. C’est en mettant la priorité sur le rachat d’actifs verts que les Banques Centrales peuvent stimuler une révolution verte.
Ces trois leviers permettraient aux Banques Centrales d’avoir un rôle actif dans la transition écologique à leur échelle.
… Et leurs limites
Toutefois, si ces outils semblent faciles à mettre en place, il convient d’en interroger les conséquences économiques et sociales. Ainsi, une action trop rapide pourrait amener à rendre plus difficile le refinancement de certaines entreprises de secteurs polluants. Si cela peut permettre un ralentissement de leur activité, les potentielles faillites et crises qui en découleront n’en demeureront pas moins un problème.
Par ailleurs, tous ces outils reposent sur la création d’une bonne mesure de l’impact environnemental des actifs. A l’heure où la finance verte se développe, elle est encore loin d’être parfaite.
De plus, si les Banques Centrales déclarent vouloir mettre l’action verte au coeur de leur politique, elle n’en reste qu’aux paroles. Positiv Money avec son “Green Central Bank Scorecard” classe l’action verte des banques centrales. On peut lire dans le classement de 2021 que la BCE ne siège qu’à la 5ème place et la Banque d’Angleterre qu’à la 4ème place derrière la Banque Centrale Chinoise notamment alors qu’elle se veulent être des leaders en la matière.
Source : L’économie mondiale 2022, CEPII
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