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Les théories sur la justice à connaître

Sommaire

Qu’est-ce que la justice ? Qu’est-ce qui est réellement juste ? De nombreux penseurs ont réfléchi à ces questions sans jamais parvenir à une réponse définitive. Dans cet article, découvrez les théories qui ont façonné notre vision actuelle du juste

 

Quelques thèses sur la justice à savoir

  • Bentham et l’utilitarisme : la justice consiste en la maximisation de la somme des utilités individuelles. Celle-ci ne se préoccupe pas des inégalités pouvant exister en son sein, de telle sorte qu’une situation peut être juste en maximisant l’utilité d’un seul ou d’une poignée d’individus si cette situation permet d’atteindre la somme d’utilité maximale.
  • le libertarianisme mené par Nozick, selon lequel les individus jouissent de droits préalables à toute institution et sur lesquels on ne peut transiger au motif d’une plus juste répartition des ressources. Ce qui prime ici, c’est la satisfaction de tous ces droits.

 

Platon, Le Politique : Peut-on gouverner sans loi ?

Voilà une situation qui semble difficile à concevoir. Par ailleurs, quelle serait la légitimité d’un tel gouvernement ? Si Socrate se pose cette question, c’est parce qu’il réalise que “la loi ne pourra jamais embrasser exactement ce qui est le meilleur et le plus juste pour tout le monde à la fois.” La loi vise à l’universelle, elle tend à l’uniformité, mais alors elle oublie les cas particuliers liés à la nature humaine. “Pourquoi donc est-il nécessaire de légiférer, si la loi n’est pas ce qu’il y a de plus juste ?”

Pour illustrer son propos, Socrate a recours à l’image d’un médecin. Ce médecin part en voyage et laisse ses prescriptions par écrit au malade. Maintenant, supposons qu’il revienne plus tôt que prévu et que la condition du malade a évolué. Dès lors, pourra-t-il transgresser ses anciennes prescriptions ou bien continuera-t-il de croire que personne , pas même lui, ne doit le faire.

De même pour la loi, serait-il interdit au législateur de remplacer ses lois par d’autres, s’il en connaît des meilleures ? Une telle interdiction est ridicule. Malgré tout, avant cela il devra persuader chacun de ses concitoyens. Maintenant, si au lieu de persuader, il impose de force des lois meilleures, “quel nom donnera-t-on à une telle violence ?.” Et Socrate répond : “tout autre nom que celui dont on appelle faute contre l’art.”

En résumé, imposer de force des lois meilleures n’est pas une faute à l’art du législateur. Au contraire puisque cela conduit vers un plus grand bien.

 

Platon, La République II : nul ne fait le juste par choix

Dans l’épisode de l’anneau de Gygès, Platon démontre que la justice est un pur effet de contrainte. Selon lui, “on ne pratique la justice que malgré soi et par impuissance de commettre l’injustice.” Pour le montrer, il imagine un anneau pouvant rendre invisible celui qui la porte. Alors, le juste comme l’injuste, devenus tous deux invisibles, iront au bout de leur pouvoir. Aucun homme ne serait assez fort pour rester fidèle à la justice et résister aux tentations. De là résulte un constat pessimiste sur la nature humaine : nul n’est juste par choix mais par incapacité à commettre l’injustice. C’est justement cet aspect contraignant de la justice, de la loi, qui sera vivement critiqué par Rousseau : “Qu’est-ce qu’un droit qui périt là ou la force cesse ?”

 

Aristote, Ethique à Nicomaque : les deux formes de la justice

Aristote fut le premier à faire la distinction entre deux formes de justice. La première est distributive, c’est-à-dire proportionnelle. C’est la justice comme équité, elle ne tient compte que des proportions. Elle consiste à donner à chacun ce qu’il mérite en tenant compte de leurs différences. La deuxième est corrective donc égalitaire, commutative. Elle consiste à donner à chacun la même chose. C’est la justice comme égalité, qui consiste à faire en sorte que tous les hommes soient égaux en droit (bien qu’ils puissent différer en conditions). Pour Aristote, la véritable justice se trouve dans cet intermédiaire entre justice distributive et justice corrective, de sorte que la vraie égalité ne s’expérimente qu’au niveau judiciaire, dans la pratique.

 

Aristote, Ethique à Nicomaque : l’équitable, justice supérieure à la justice

“L’équitable, tout en étant supérieure à une certaine justice, est lui-même juste.” Pour le penseur grec, le juste et l’équitable sont identiques, bien que l’équitable soit encore meilleur. Or, un problème subsiste : l’équitable est juste, tout en étant injuste selon la loi (dans certains cas pour le moins). En fait, l’équitable agit comme un correctif de la loi, laquelle “est toujours quelque chose de général.” Elle ne prend en considération que les cas les plus fréquents mais n’ignore pas les erreurs que cela peut entraîner. La loi est toujours un règle générale, mais on est en droit de corriger cette règle lorsque l’erreur se rencontre. De là vient que l’équitable est juste et même supérieur à une certaine espèce de juste. En résumé, l’équitable est un correctif de la loi qui trouve son application dans les tribunaux : un juge se doit d’appliquer la loi (qui touche au général) en s’adaptant aux cas particuliers.

 

Pascal, Pensées : la justice comme force

La justice selon Pascal n’est que force. “Ne pouvant faire que la justice fût forte, on a fait que le fort fût juste.” En effet, la justice sans force est impuissante et la force sans justice est condamnée. Il fallut donc pouvoir unir les deux, et c’est logiquement la force qui l’emporta. Si l’est aisé de réduire cette pensée à l’idée selon laquelle “la raison du plus fort est toujours la meilleure”, il convient d’y ajouter quelques subtilités. Tout d’abord, c’est un constat pessimiste, plein de vanité, que dresse ici Pascal. Celui-ci montre l’impossibilité pour les hommes d’atteindre la véritable justice, encore moins de l’appliquer. Ce que montre Pascal, c’est que la justice telle que nous la connaissons est incomplète car il lui manque la force, mais cela ne signifie aucunement que la force seule constitue la justice. C’est uniquement dans leur fusion que se trouve une justice digne de ce nom. Toutefois, “la justice et la vérité sont deux pointes si subtiles que nos instruments sont trop mousses pour y toucher.”

 

Pascal, Pensées : la justice n’est qu’une illusion

La coutume n’est pas juste, remarque Pascal. Pourtant, celle-ci doit être suivie parce qu’elle est coutume. Il faut y obéir comme aux lois. “Il serait donc bon que l’on obéisse aux lois et aux coutumes parce qu’elles sont lois.” En effet, on obéit généralement aux lois parce qu’on les croit juste (même si Platon ne pense rien d’une telle idée). Il semblerait de prime abord avisé de prévenir le peuple dans le cas où les lois qu’il suit sont erronées. Or, pour Pascal, il faut au contraire laisser le peuple croire que les lois sont justes, “car il n’y obéit qu’à cause qu’il les croit justes.” En résumé, la justice n’est qu’une illusion, mais une illusion nécessaire à la bonne conduite et à l’ordre en société. 

Lire plus : Les thèses philosophiques sur le droit

 

Proudhon, De la justice dans la Révolution et dans l’Eglise : la justice comme respect de la dignité humaine

La justice c’est l’égalité, le respect de la dignité : “c’est le respect de la dignité humaine.” Ce respect se forme dans les cultures. Au plus bas degré chez les barbares, il se fortifie et se développe chez le civilisé. De la définition de la justice se déduit celle du droit et du devoir ; 

  • le droit : “la faculté d’exiger des autres le respect de la dignité humaine.”
  • le devoir : “l’obligation pour chacun de respecter cette dignité en autrui.”

De ce sentiment de respect résulte l’égalité, donc la justice au sens de Proudhon. La justice, c’est le respect d’autrui et une égalité fondamentale.

 

Bergson, Les deux sources de la morale et de la religion : la morale ouverte reflète l’authentique justice

Le normalien distingue dans cette œuvre deux formes de morale : une morale close, liée à la pression et à l’adaptation sociale, et une morale ouverte qui reflète l’élan de la vie créatrice. Pour Bergson, la justice consiste en l’égalité. La règle, la rectitude et la géométrie en sont des symboles, tout comme celui de la balance. Ainsi, notre justice, dans ce qu’elle a de positif (au sens du droit positif), se rattache à l’absolu. Cette justice implique le consentement de la société toute entière. Enfin, l’authentique justice reflète cette morale ouverte.

 

Rawls, Théorie de la justice : la justice comme liberté et différence

Le père du libéral-égalitarisme critique l’utilitarisme de Bentham car il ne reconnaît pas les droits et libertés fondamentales dont doivent pouvoir jouir les individus. De son côté, Rawls privilégie ainsi la justice comme équité. Les principes de justice sont ceux qui correspondent aux principes sur lesquels s’accorderaient les membres de la société si ceux-ci étaient placés dans une position originelle, c’est la situation du “voile d’ignorance”, situation d’égalité initiale et où les individus ignorent leur position sociale actuelle et future.

En faisant abstraction de leurs considérations égoïstes, les individus placés dans une telle position sont supposés s’accorder à l’unanimité sur un choix unique de principes de justice. Un impératif d’impartialité règne ici.

De là ressortent deux principes fondamentaux

  • l’égale liberté pour tous : une société juste est d’abord une société qui garantit à chacun un droit égal aux “libertés fondamentales” et dans laquelle les avantages socio-éco sont répartis afin que chacun puisse concevoir et développer sa propre conception de la vie bonne. Toute personne doit pouvoir jouir du maximum de “libertés de base”. Celles-ci constituent une sphère inviolable de droits et de libertés.
  • la juste répartition des “biens premiers” : ceux-ci désignent les ressources et les moyens à usage général et qui sont requis pour que chacun puisse concevoir et poursuivre sa propre conception de la vie bonne. On distingue les biens naturels et les biens sociaux. Ces derniers doivent justement faire l’objet d’une juste répartition par les institutions sociales.

En résumé, le principe d’égalité équitable des chances et le principe de différence selon lequel sont justes les inégalités socio-économiques qui bénéficient aux moins avantagés sont les piliers de la théorie rawlsienne. Dès lors, les inégalités de richesse ou de pouvoir sont légitimes, si celles-ci permettent d’améliorer la situation des moins favorisés.

 

Ricoeur, Le Juste : légalité et conscience morale

Le philosophe français observe ici comment la loi accède à un statut de norme et s’interroge sur sa relation avec la conscience morale. Tout d’abord, la loi revêt deux caractères fondamentaux : le sens de l’obligation morale et l’interdiction. Il doit exister un lien nécessaire entre éthique et juridique pour la juste appréciation de la conscience. 

Le légal consiste en trois traits : 

  • l’interdiction qui constitue la face sévère de la loi mais aussi sa fonction structurante,
  • la prétention à l’universalité : les normes sociales étant changeantes, il est essentiel qu’une validité de droit soit visée dans la loi, afin d’en faire une norme valable pour tous et en tout temps,
  • le lien entre la norme et la pluralité humaine : la loi sert à “séparer le mien du tien”, à “délimiter des sphères concurrentes de liberté individuelles” (Kant).

Ricoeur distingue ensuite la légalité et la moralité. En effet, “la légalité ne demande qu’obéissance extérieure” et autorise la correction physique en vue de restaurer le droit. De fait, le passage de la légalité à la moralité peut être assimilé à un “processus d’intériorisation de la norme.” De la même manière, la moralité possède une modalité d’internalisation : celle d’une autonomie. 

Ainsi, seule une règle formelle (les maximes de l’action chez Kant par exemple) peut prétendre à la sorte d’universalité qui fait ordinairement défaut à la légalité sociale. A ce stade, on obéit plus à la loi parce qu’elle est la loi, mais par respect pour elle. “La voix de la conscience, c’est d’abord la voix de l’interdit.” Rigueur, intransigeance et impartialité caractérisent la conscience dans son rapport à la loi.

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Gabin Bernard