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Philosopher avec Jankélévitch : vaincre la nostalgie par le courage

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courage

Nous vous proposons ici quelques axes de réflexion apportés par Vladimir Jankélévitch dans son ouvrage L’irréversible et la nostalgie. Le présent article n’est pas un résumé de cet ouvrage très riche, mais seulement la présentation de certaines de ses réflexions les plus passionnantes. 

 

La double facette du devenir

Le devenir a une double facette : marche vers la mort et progrès créateur. 

 

Le devenir comme marche vers la mort 

Jankélévitch constate que le devenir nous rapproche chaque instant un peu plus du terme fatal : la mort. Il fait alors référence au poème “L’Horloge” de Baudelaire.  

“En tant que le devenir est mortification, chaque minute nous achemine vers le néant” 

Accompagné de cette pensée, personne n’oserait encore bouger. Le mouvement serait “précipiter son irréversible destin”. Lorsque la mort devient le seul avenir à l’horizon, tout homme préfère se tourner vers son passé. 

 

Le devenir comme progrès créateur

Mais le devenir peut être perçu tout à fait différemment. Si le devenir est progrès, à quoi bon revenir en arrière ? Cela reviendrait à “reperdre le terrain gagné (…), le progrès réduit à zéro”.  Nous avons d’ailleurs une chance, c’est que “l’irréversible ne nous laisse pas le choix : le sens unique, c’est le progrès obligatoire”. Jankélévitch nous enseigne que l’irréversible n’est pas nécessairement lié au regret et il peut inspirer la joie d’un continuel renouvellement. 

 

L’absence de nostalgie et la fermeté du temps chez Bergson 

Jankélévitch constate que dans l’Essai sur les données immédiates de la conscience ou dans Matière et mémoire, alors que Bergson présente la thèse d’un devenir irréversible où aucun événement ne se répète, on ne trouve pas une seule trace de nostalgie. En ce sens, Bergson n’est ni Verlaine ni Héraclite, pour qui le devenir est une fuite insaisissable qui glisse entre nos doigts.  La terminologie de Bergson souligne sa différence avec l’insaisissabilité du devenir héraclitéen. Il préfère le terme de Durée à celui de Devenir, le terme “durée” mettant l’accent sur la pérennité, la consistance, la stabilité.  

“La durée bergsonienne est consistante et fidèle (…). Le parfum d’une rose, grâce à la mémoire, est un passé encore présent.” 

 

A la source du regret : la mort 

Sans la mort, tous nos regrets ne seraient pas si forts. C’est l’existence de la mort qui rend irrémédiable le gaspillage des opportunités, la fuite des instants bénis. 

“Notre attachement maladif à la rencontre manquée s’explique ainsi par le fait que la succession des “fois” primultimes ne se renouvellera pas indéfiniment : ce qui est perdu ne sera pas retrouvé”. 

Ainsi, Jankélévitch émet l’idée que ce qui sous-tend des poèmes du souvenir, comme “Le Lac” de Lamartine ou “l’Horloge” de Baudelaire, c’est le tragique de la mort.  

 

Le courage 

Le courage pourrait être une des solutions possibles à la nostalgie. 

 

Définition du courage et de la nostalgie 

Jankélévitch définit le courage comme l’action d’aller dans le sens de l’irréversible. L’homme se doit de “faire face, c’est-à-dire de regarder devant soi et d’aller de l’avant”.  

“Le futurisme est une vocation pour celui qui entend l’appel de l’avenir et de l’aventure, et qui s’ouvre à l’incessante découverte des terres inconnues, des impressions inédites et des nouveautés. Il en va autrement du passé : ce n’est pas le passé qui nous appelle, c’est la nostalgique qui languit et soupire en regrettant le “déjà-plus”.  

Il définit ensuite la Nostalgie comme “le désir peureux de faire demi-tour ». Pourquoi peureux ? Car le passé est toujours un endroit plus réconfortant que l’avenir qui suscite la crainte de l’inconnu. 

 

Expérience de pensée : et si l’avenir était le passé ?  

Enfin, il imagine ce que serait le monde si cet avenir inconnu n’existait pas, c’est-à-dire si “l’avenir est ce qui fut” et que donc “la futurition fait advenir le passé”.  

Dans ce cas, l’homme n’a plus de vocation, d’horizon, de chemin à parcourir. Nous vivrons dans “l’espoir-du-passé”, une “désespérante absurdité” et surtout une “contradiction tératologique” étant donné que l’espoir se porte toujours sur l’avenir. Cet “espoir de revenir” n’est “qu’absurde, impuissant et vain regret”.  

Peut-on en conclure une sorte de nécessité de la futurition ? Du devenir ? Une nécessité pour l’homme et ses projets.  

 

Aller dans le sens du devenir, est-ce vraiment du courage ?  

Puis, Jankélévitch se demande si suivre le sens du temps, qui nous est imposé, qui est “obligatoire” n’est pas plutôt du conformisme que du courage. Quelle gloire y’a-t-il à aller selon le vent ? 

Mais la question doit être retournée : quel courage y a-t-il à aller contre l’impossible ? Selon lui, aucun ! Car il paraîtra toujours héroïque de tenter l’impossible, mais cette tentative (annoncée impossible dès le départ) aura “quelque chose de paresseux et de verbal”. Qu’il est facile de s’embarquer dans un tel projet lorsqu’on sait qu’on aura l’excuse de dire que c’était de toute évidence impossible ! Ce qui est difficile, périlleux, audacieux, c’est justement de tenter le possible car alors “on n’a pas d’excuses pour démissionner quand le pouvoir s’exerce dans le sens du possible”. 

Ce qui demande du courage, c’est de commencer un projet absolument possible et réalisable. Le vrai courage, c’est “d’oser faire ce qu’effectivement on peut faire”. 

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Thibault Combret