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Faut-il avoir peur de TikTok ?

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Les vidéos de chats font l’objet de plaisanteries dans les soirées télévisées. Mais ces vidéos et des centaines d’autres sur TikTok sont à l’origine de nuits blanches dans la Silicon Valley et les métropoles occidentales.

L’application se développe à un tel rythme qu’elle a surpris ses concurrents et les autorités de régulation. En seulement cinq ans, elle est entrée dans cercle très fermé des réseaux sociaux les plus plébiscités. Cette croissance rapide avait poussé Trump à vouloir bannir l’application chinoise du marché américain citant des risques élevés d’espionnage.

Dès lors, quels enjeux géopolitiques et géoéconomiques se cachent-ils derrière TikTok ?

 

Pourquoi les gouvernements occidentaux ont-ils peur de TikTok ?

Les gouvernements observent TikTok avec nervosité pour diverses raisons. En tant que première application chinoise destinée aux consommateurs en Occident, TikTok est une source de fierté pour Pékin.

Cependant, la propriété chinoise de l’application rend les politiciens des autres pays réticents face à son emprise croissante sur l’attention de leurs citoyens. Ils craignent que les données de leurs utilisateurs ne tombent entre de mauvaises mains ou que leur perception soit modelée par des propagandistes chinois.

C’est pourquoi TikTok a déjà été interdit en Inde, son marché le plus important. D’autres pays, dont les États-Unis, envisagent de faire de même.

 

L’histoire derrière TikTok

Il y a seulement dix ans, Zhang Yiming, un entrepreneur chinois à l’esprit livresque, à peine plus âgé que Mark Zuckerberg du groupe Facebook, a fondé une société de développement de logiciels appelée Byte Dance.

Parmi ses premières entreprises, citons Nei han Duanzi (Inside Jokes), une plateforme de partage de gags, et Toutiao (Headlines), un agrégateur de nouvelles.

Les apps utilisaient l’intelligence artificielle ( IA ) pour apprendre le genre de sketches ou d’histoires que les utilisateurs aimaient. Les deux ont pris du galon ; aujourd’hui, Toutiao est le plus grand agrégateur de contenu en Chine, avec 360 millions d’utilisateurs.

 

Qu’est-ce qui a permis l’internationalisation de TikTok qui fait peur en Occident ?

Au départ, TikTok était peu remarqué en dehors de la zone asiatique. Cependant, en 2017, ByteDance a racheté Musical.ly et a peu après transféré ses 100 millions d’utilisateurs vers TikTok.

D’autant plus que TikTok s’est développée comme quasiment aucune autre appli. En septembre, alors qu’elle avait un peu plus de quatre ans, elle a atteint le seuil du milliard d’utilisateurs, une étape que Facebook, YouTube et Instagram ont mis huit ans à franchir, bien que soit à une époque où moins de personnes étaient connectées.

Depuis début 2020, elle occupe la première place des applications mobiles les plus téléchargées au monde. Et alors que les jeunes utilisateurs sont peu enthousiastes à l’égard de Facebook, TikTok les rend accros. En effet, selon la société de statistiques eMarketer, 44 % de ses utilisateurs américains ont moins de 25 ans, contre seulement 16 % pour Facebook.

Lire plus : Cette crainte est compréhensible : les dangers de fuites d’informations sensibles et d’espionnage industriel sont réels.

 

TikTok : une arme distractive qui fait peur aux gouvernements occidentaux

TikTok est également très convivial. Alors que la plupart des applis de réseaux sociaux recommandent des vidéos provenant du répertoire d’amis de l’utilisateur. TikTok n’a besoin d’aucun réseau, d’aucune recherche, ni même de connexion : son algorithme extrait les vidéos de ses vastes archives et identifie ce que le consommateur préfère.

Le format est très addictif. En Amérique, les utilisateurs de TikTok passent en moyenne 46 minutes par jour sur l’application, soit une fraction de plus que sur YouTube et environ 16 minutes de plus que sur Facebook ou Instagram.

Le rôle croissant de TikTok en tant que plateforme d’information a suscité la crainte qu’il s’agisse, pour reprendre les termes du sénateur américain Ted Cruz, d’un « cheval de Troie que le Parti communiste chinois peut exploiter pour influencer ce que les Américains voient, entendent et finissent par penser ».

Le gouvernement chinois est connu pour manipuler les médias sociaux chez lui. Le 3 juin, la veille de l’anniversaire du massacre de la place Tiananmen, Li Jiaqi, un fournisseur de contenus streaming connu sous le nom de «  Lipstick King » , a été exclu de Wei bo, un site de réseaux sociaux, après avoir publié un gâteau ressemblant à un char de guerre.

Des cénacles gouvernementaux travaillent dans l’office de ByteDance à Pékin, selon un ancien employé (l’entreprise le conteste). Les recherches sur Xi Jinping, le président chinois, sur Douyin, le jumeau chinois de TikTok, ne renvoient que de la propagande bénigne.

Les consignes internes divulguées par le Guardian en 2019 interdisaient les références à Tiananmen, au Tibet et à Taïwan, ainsi que les « sujets très controversés » provenant d’autres pays, dont l’Irlande du Nord. Ces règles ont depuis été libéralisées ; TikTok affirme que la modération du contenu est gérée depuis l’extérieur de la Chine depuis deux ans.

 

La peur de TikTok aux États-Unis

Il n’en demeure pas moins que la première distraction des adolescents américains et, de façon croissante, leur source d’information, provient en fin de compte de Chine. La plupart des pays ont des règles limitant la propriété étrangère des sociétés de médias anciens, fait remarquer Rasmus Nielsen de l’Institut Reuters.

Les fusions de sociétés de presse en général font l’objet d’un examen plus approfondi que les autres opérations, car la concentration de la propriété a des implications qui vont au-delà du pouvoir de fixation des prix, souligne-t-il.

 Les plateformes de réseaux sociaux, en revanche, sont peu réglementées dans la plupart des démocraties. Le mois dernier, Brendan Carr, membre de la Commission fédérale des communications ( FCC ) des États-Unis nommé par M. Trump, a demandé à Apple et à Google de chasser TikTok de leurs magasins d’applications. Mais la FCC ne peut pas les contraindre à agir en ce sens.

Chez TikTok, certains comparent sa situation à la méfiance dont les entreprises japonaises faisaient l’objet en Occident dans les années 1980. Mais la réalité est plus complexe que cela.

 L’année dernière, M. Biden a signé son propre décret exécutif, établissant les critères selon lesquels le gouvernement évaluerait le risque posé par les applications liées à des adversaires étrangers, dont la Chine. Il travaille actuellement à l’élaboration de nouvelles réglementations pour les logiciels étrangers, en mettant l’accent sur l’utilisation abusive des données.

 

Que répond Tiktok face à ces allégations qui font peur ?  

TikTok prétend que le gouvernement chinois n’a jamais demandé ni reçu de données sur les utilisateurs (bien que certains hauts responsables admettent en privé qu’ils ne sauraient peut-être pas si c’était le cas). L’application a moins de potentiel de chantage que Grindr.

Pourtant, James Lewis, du Centre for Strategic and International Studies, un laboratoire de réflexion américain, souligne que les bases de données biographiques des agences de renseignement exploitent régulièrement les contenus des réseaux sociaux.

Le vaste programme de surveillance domestique en Chine permet d’enregistrer les empreintes faciales et vocales. Il serait plus facile d’enregistrer de telles données et de les associer à des individus si les informations provenaient directement de TikTok et non d’une extraction du web.

En outre, si les ambitions de TikTok pour élargir son activité se réalisent, la société pourra savoir non seulement à quoi ses utilisateurs ressemblent, mais aussi ce qu’ils achètent et où ils vivent.

En 2020, l’Inde a interdit TikTok et des dizaines d’autres applications chinoises. Bien que l’interdiction ait été provoquée par un affrontement frontalier, l’Inde a affirmé que les apps « dérobaient et sur transmettaient de manière répétée » les données des utilisateurs indiens.

 Deux mois plus tard, Donald Trump, alors président des États-Unis, a émis un décret exigeant la vente de TikTok à une entreprise américaine dans les 45 jours, sous peine d’interdiction, en invoquant les « immenses quantités » d’informations qu’elle collectait, «  permettant potentiellement à la Chine de suivre les déplacements des employés et des contractants fédéraux, de constituer des dossiers de renseignements personnels à des fins de rétorsion et de pratiquer des activités d’espionnage industriel ». (ByteDance a contesté avec succès cet ordre devant les tribunaux ; le successeur de M. Trump, Joe Biden, l’a révoqué).

 

Conclusion

Pour conclure, la Chine pourrait préférer confisquer TikTok plutôt que de le céder. Les États-Unis, pour leur part, pourraient alors avoir à choisir entre se priver de l’application la plus populaire du monde ou en ignorer les risques.

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Zak Bennis