Le sixième rapport du GIEC, publié en 2022, a conclu que le changement climatique se produit plus rapidement que prévu. Par conséquent, toutes les politiques publiques doivent être repensées en fonction de leur impact sur le climat, et doivent également être mobilisées pour soutenir l’atténuation et l’adaptation au changement climatique. Dans ce contexte, que faut-il faire en matière de commerce et de politique commerciale ? Le commerce international déconnecte le lieu de production du lieu de consommation, de sorte que l’impact sur le climat est lié à la distance parcourue, mais aussi aux différentes normes des techniques de production à longue distance, ce qui nous amène à nous interroger sur le lien entre commerce et changement climatique.
On peut donc raisonnablement se poser la question de l’arrêt du commerce et de son impact sur l’environnement et l’économie. Après avoir dressé un constat de ce problème dans un précédent article, nous allons dans cette deuxième partie apporter des solutions à ce problème.
Relever les droits de douane sur les produits polluants
La première idée est la possibilité d’une hausse des droits de douane sur les biens les plus polluants. Une étude récente montre que la politique commerciale favorise les biens les plus émetteurs : ces derniers sont soumis à des tarifs moins élevés, et donc commercent plus que les biens les moins émetteurs. Cette structure protectrice n’est pas ancrée dans l’environnement, mais dans des considérations de politique industrielle : pour maximiser la valeur ajoutée générée, un pays souhaite souvent importer des produits primaires non transformés, qui sont ensuite transformés sur son propre territoire. En tant que tel, il imposera des droits d’importation faibles ou nuls sur les matières premières et augmentera ces droits à mesure que le produit sera terminé. C’est ce que l’Organisation mondiale du commerce appelle « l’escalade tarifaire ». La question est donc d’augmenter les tarifs sur les biens qui émettent le plus ou de réduire les tarifs sur les biens qui émettent le moins. Mais cette solution prend du temps, conduit à des négociations, mais n’est pas à exclure a priori.
En revanche, les écarts documentés ne sont calculés que pour les biens industriels et semblent provenir en partie d’obstacles non tarifaires : nombre d’entre eux reflètent les préférences des consommateurs et sont donc peu susceptibles d’être supprimés. Bref, les biais de la politique commerciale restent à explorer en détail. Parallèlement, le commerce de certaines marchandises a été restreint, voire interdit, au nom du changement climatique ou de l’environnement. C’est le cas du commerce de certains produits chimiques qui provoquent l’amincissement de la couche d’ozone, que le Protocole de Montréal interdit depuis de nombreuses années.
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Mobiliser la politique commerciale au profit de la transition énergétique
L’UE est l’un des principaux acteurs du commerce mondial. Lorsque les 27 pays signent un accord de libre-échange, ils donnent accès à un très grand marché où vivent 447 millions de personnes. De ce point de vue, les accords de libre-échange peuvent être mis à profit pour encourager les partenaires commerciaux à accroître leurs ambitions en matière de politique climatique. L’une des recommandations est de faire du respect des engagements pris dans le cadre de l’Accord de Paris une condition obligatoire à la ratification de tout nouvel accord commercial. La proposition est limitée dans la mesure où elle ne couvre que les pays qui ont signé ou qui signeront des accords de libre-échange. En 2018, les principaux émetteurs étaient la Chine, les États-Unis, l’Union européenne et l’Inde. Le seul pays en discussion est l’Inde. Un accord avec le Mercosur, région d’importance stratégique sur les questions climatiques, doit également être finalisé, et l’enjeu réside dans la protection de la forêt amazonienne. Le projet final a buté sur l’introduction d’une clause à ce sujet. En plus d’une stricte négociation, la présence de dispositions environnementales dans l’accord peut également prolonger et compliquer le processus d’approbation. Par exemple, le dernier accord de libre-échange UE-Canada (CETA) a mis plus de sept ans à être négocié et signé par l’UE. Son approbation est toujours en cours depuis fin 2017, il n’est donc que partiellement applicable.
Des clauses environnementales existent déjà dans les accords commerciaux, et leur utilisation a vraiment pris son essor à partir des années 1990. Deux grands types de méthodes sont suivis. Le premier, notamment les États-Unis, comprend l’inclusion de très peu de clauses non commerciales dans l’accord, notamment des clauses environnementales. En revanche, lorsque ces conditions existent, elles sont contraignantes. La seconde est en faveur de l’UE, qui a jusqu’à présent favorisé l’inclusion de clauses plus non commerciales, mais peu ou pas contraignantes et difficiles à faire respecter. Historiquement, la vision de l’Europe a été de “s’engager dans le dialogue” plutôt que d’imposer ses vues aux partenaires. Des études préliminaires d’impact des deux approches tendent à montrer que l’approche américaine a un impact positif sur l’environnement, alors que l’approche européenne ne semble pas avoir d’impact. Cette piste est donc prometteuse, mais compte tenu de la montée des tensions internationales, elle ne donnera pas les résultats les plus rapides à grande échelle. Notons enfin que l’UE et la Nouvelle-Zélande ont annoncé en juin 2022 avoir conclu un accord de libre-échange dans lequel le respect des engagements pris dans l’Accord de Paris serait contraignant et qui prévoit des sanctions commerciales en cas de défaillance.
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L’ajustement carbone aux frontières
L’approche coopérative ayant des limites, une approche plus individualiste peut exister. En effet, une des manières de lutter efficacement contre le changement climatique est la mise en place d’une politique climatique mondiale. Pour autant, aujourd’hui prévalent des politiques climatiques aux ambitions très disparates en fonction des pays et des régions du monde. Ces différences d’ambition freinent les pays les plus vertueux et diminuent l’efficacité climatique des politiques. Par exemple, dans l’UE, les industriels des secteurs qui consomment le plus d’énergie – raffineries, acier, aluminium, verre, etc. – doivent acheter des quotas d’émission. Chaque quota les autorise à émettre une tonne de dioxyde de carbone. Dans ces conditions, les entreprises européennes pourraient être tentées de produire ou acheter à l’étranger, là où les normes climatiques sont moins contraignantes, concrètement où l’obligation d’acheter ces quotas n’existent pas, ce qui produirait des effets de fuite. Les effets de fuite, qu’ils soient directs ou indirects, sont aujourd’hui faibles. Mais ils le sont parce que le prix du carbone dans l’UE l’est aussi : moins de 30 euros la tonne de carbone émise jusqu’en 2019, 85 euros environ aujourd’hui. Or les prix du carbone devraient augmenter et atteindre les 200 euros la tonne dans une dizaine d’années. À ce niveau-là, sans autre politique, la moitié des émissions évitées par l’UE se produiront dans d’autres pays. Aujourd’hui, pour empêcher ces fuites, les industries soumises à l’achat de quotas carbone et les plus exposées aux échanges internationaux bénéficient de quotas gratuits. Cette solution n’est pas satisfaisante puisqu’elle affaiblit la portée de la politique climatique et diminue l’incitation à décarboner. Une nouvelle approche pour diminuer les fuites consiste à agir sur les flux commerciaux. Il s’agit de mettre sur un pied d’égalité les émissions européennes et celles qui ont lieu à l’étranger. Au lieu d’exonérer les industries les plus exposées au commerce de l’achat de quotas carbone, l’UE pourrait imposer un prix, le même que celui qui prévaut dans l’Union, aux émissions contenues dans les produits qu’elle importe. Ainsi, l’incitation à déplacer la production à l’étranger, ou à acheter des produits importés, serait annulée.
En revanche, ce mécanisme ne peut pas gérer les fuites indirectes, car il n’agit pas sur les prix internationaux de l’énergie. Ce mécanisme d’ajustement carbone aux frontières n’est en réalité pas une politique commerciale. Il ne s’agit pas de taxer un produit à la frontière ou de lui imposer un droit de douane spécial, mais bien d’obliger les importateurs européens à acheter des quotas d’émission pour le carbone contenu dans les produits qu’ils importent. Pour éviter toute double imposition, un exportateur qui paye déjà une taxe carbone dans son pays d’origine ne devra s’acquitter, pour chaque tonne de carbone émise, que de la différence entre le prix carbone européen et celui pratiqué dans son pays. La Commission européenne a fait une proposition d’ajustement carbone aux frontières qui prévoit de remplacer l’allocation de quotas gratuits à partir de 2026. L’ajustement à la frontière n’est pas une idée nouvelle, mais c’est la première fois qu’elle fait son chemin en matière de politique climatique pour gérer la question des différentiels de compétitivité induits par l’hétérogénéité des politiques mises en place dans un monde qui n’est pas coopératif. L’approche choisie vise à éliminer les allocations gratuites de quotas, tout en ne pénalisant pas excessivement la compétitivité des industries européennes exposées au commerce, mais également en réduisant les effets de fuite.
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Pour conclure, il est aujourd’hui indispensable de mobiliser l’ensemble des politiques pour lutter contre le changement climatique. Dans ce cadre, l’articulation avec les politiques commerciales est en cours de construction et le processus n’est pas rapide, malgré l’urgence climatique. Les liens entre commerce et changement climatique sont complexes et ambigus, l’articulation entre les effets locaux et globaux étant difficile à appréhender. Cela ne doit pas être une raison d’inaction, mais juste une raison pour se méfier de solutions binaires ou simplistes. En matière de politiques commerciales, la tendance européenne est de suivre deux chemins en parallèle : utiliser le commerce comme levier pour amener les partenaires commerciaux à accroître l’ambition de leurs politiques climatiques.
Cet article est une synthèse du chapitre 5 (Quelle gouvernance d’entreprises pour la transition énergétique et écologique ?) de l’Economie mondiale 2023 CEPII. Il a été écrit par Cécilia Bellora.