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Les cryptomonnaies sont-elles de véritables monnaies ? (plan détaillé – oral HEC 2024)

Sommaire

En 2014, le Sénat a publié un rapport d’information sur le Bitcoin (« La régulation à l’épreuve de l’innovation : les pouvoirs publics face au développement des monnaies virtuelles »). Lors des auditions précédant la rédaction de ce rapport, P. Marini demanda à D. Beau si le Bitcoin était de la « fausse monnaie ». D. Beau, devenu aujourd’hui sous-gouverneur de la Banque de France, répondit : « le Bitcoin n’est pas une monnaie ».

Définitions :

  • Cryptomonnaie = « monnaie numérique » indépendante des réseaux bancaires et liée à un système de cryptage. Ici, on se concentrera sur le Bitcoin, qui est la cryptomonnaie la plus connue.
  • Monnaie = on peut définir la monnaie de 2 façons :
    • Approche fonctionnaliste de la monnaie (Aristote, Éthique à Nicomaque) : la monnaie se définit par les fonctions qu’elle remplit : c’est une unité de compte (unité de mesure dans laquelle s’expriment tous les prix), un intermédiaire des échanges (instrument de paiement permettant d’acquérir n’importe quel bien ou service), et une réserve de valeur (elle conserve sa valeur au cours du temps).
    • Approche « institutionnelle » de la monnaie: la monnaie est une institution politique et sociale en ce qu’elle organise les rapports sociaux.

 

 

I – A priori, les cryptomonnaies ont ambitionné d’être de véritables monnaies lors de leur création

A) Les cryptomonnaies ont été créées avec la volonté de respecter les fonctions aristotéliciennes de la monnaie

  • Unité de compte: le Bitcoin étant convertible en devises, on peut exprimer les prix en Bitcoin. D’ailleurs, il est accepté comme moyen de règlement par une centaine de milliers de sites marchands (Dell, Microsoft, Paypal, Ferrari…).
  • Intermédiaire des échanges: en 2010 eut lieu la première transaction en Bitcoins entre Hanyecz, qui posta sur un forum une requête pour échanger 10000 Bitcoins contre quelques pizzas, qui lui furent livrées par un étudiant du nom de Jérémy Sturdivant.
  • Réserve de valeur: à long-terme, le Bitcoin a été une réserve de valeur, et a même connu un accroissement de sa valeur. Par exemple, entre 2009 et 2011, le cours du Bitcoin est resté relativement stable (il est passé de 300 dollars à 1000 dollars).

 

B) Les cryptomonnaies ont ambitionné d’avoir une fonction sociale, telles de véritables monnaies

Selon Aglietta et Orléan (La Monnaie souveraine), pour que la monnaie soit une institution sociale, il faut que les agents aient confiance en celle-ci. En effet, pour que les individus utilisent la monnaie, il faut qu’ils soient convaincus que celle-ci a de la valeur, i.e. qu’ils aient confiance en cette valeur. Ils distinguent 3 types de confiance dans la monnaie : la confiance méthodique (force de l’habitude dans l’utilisation de la monnaie), la confiance hiérarchique (confiance dans les institutions qui émettent la monnaie) et la confiance éthique (croyance en une gestion désintéressée de la monnaie).

Or, le Bitcoin a été créé par le collectif Satoshi Nakamoto en 2009 pour se détacher de l’influence des banques centrales. Effectivement, ces dernières étaient considérées comme responsables de la crise des subprimes. Autrement dit, c’est par manque de confiance hiérarchique envers les banques centrales que le Bitcoin a été créé. En outre, les cryptomonnaies auraient pu générer une confiance éthique, puisque la gestion des cryptomonnaies serait désintéressée car apolitisée.

 

 

II – Cependant, elles sont aujourd’hui loin d’être des monnaies car elles n’offrent pas les garanties des monnaies banque centrale

 

A) Les cryptomonnaies n’ont finalement pas respecté les fonctions aristotéliciennes de la monnaie

La fonction d’unité de compte est perturbée par une volatilité des cryptomonnaies supérieure aux fluctuations des devises comme l’euro, ce qui rend les prix difficilement exprimables en cryptomonnaies.

La fonction d’intermédiaire des échanges est marginale : les transactions journalières en Bitcoin représentent 0,01% des transactions quotidiennes par carte bancaire. De plus, la majorité de ces transactions financent des activités illégales. Par exemple, Silk Road était un site de vente de drogues sur le dark web qui n’acceptait que les Bitcoins comme moyen de règlement.

La fonction de réserve de valeur est perturbée par l’absence d’assurance des dépôts en Bitcoin. Autrement dit, si une plateforme gérant des portefeuilles en Bitcoin est piratée ou fait faillite, les détenteurs de Bitcoin ne sont pas remboursés. C’est le cas de Bitfinex, qui a été victime d’un piratage en 2016 et a fait perdre 120000 Bitcoins à ses clients.

 

B) Contrairement aux véritables monnaies, les cryptomonnaies ont affaibli les liens sociaux

Pour Simmel (Philosophie de l’argent), la monétisation de l’économie permet d’étendre la sphère des échanges marchands, donc multiplie les liens sociaux et contribue de ce fait à la socialisation. Cependant, puisque les cryptomonnaies sont utilisées dans le cadre d’échanges en ligne, elles ne contribuent pas à la socialisation et affaiblissent les liens sociaux traditionnels.

Par ailleurs, si l’on reprend l’analyse d’Aglietta et Orléan, il ne peut y avoir de confiance méthodique envers les cryptomonnaies. En effet, les cryptomonnaies ne sont pas beaucoup utilisées. Ainsi, puisqu’elles ne réunissent pas les 3 types de confiance, elles ne peuvent pas organiser complètement les rapports sociaux.

 

Lire plus : Les cryptomonnaies et l’évolution des transactions en ligne : impact sur le divertissement numérique

 

III – Dès lors, pour que les cryptomonnaies puissent remplir la fonction de monnaie, il faut qu’elles s’accompagnent d’un cadre institutionnel

 

A) S’assurer de la sécurité des plateformes d’échange de cryptomonnaies…

Effectivement, ceci permettrait aux cryptomonnaies d’assurer leur fonction de réserve de valeur, mais aussi de faire naître la confiance en celles-ci.

Pour ce faire, il s’agit de permettre aux plateformes d’échange de cryptomonnaies de se réorganiser après une faillite.

Par exemple, aux Etats-Unis, le chapitre 11 de la loi sur les faillites protège les entreprises de la faillite. Il a notamment permis à FTX, une plateforme américaine d’échange de cryptomonnaies, de tenter de se restructurer après sa faillite en 2022.

 

B) …ou créer une monnaie numérique banque centrale

Une monnaie numérique banque centrale est une monnaie scripturale émise par les banques centrales qui serait directement possédée par les agents privés (individus et entreprises).

La création d’une monnaie numérique banque centrale combinerait les avantages des cryptomonnaies comme le Bitcoin et de la monnaie traditionnelle. En effet, ce serait une monnaie électronique, sécurisée et soumise à de faibles fluctuations : elle ferait donc à la fois naitre la confiance des agents, et remplirait les fonctions aristotéliciennes de la monnaie.

Par exemple, l’Euro numérique est un projet de lancement (d’ici 2026) d’une monnaie numérique émise par la BCE.

 

Lire plus : Les Monnaies Numériques de Banque Centrale : un avenir étatique pour la crypto ?

 

Conclusion

Plus ouvertement, si les cryptomonnaies peuvent devenir de véritables monnaies, on peut s’interroger sur leur caractère révolutionnaire. Comme l’affirment Desmedt et Lakomski-Laguerre (« Du monnayage au crypto-monnayage »), « les cryptomonnaies façonnent un alliage étonnant de modernité digitale et d’archaïsmes métallistes ».

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Malek Aït-Mokhtar