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2022, l’année de la revanche pour la démocratie libérale ?

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Très fragilisée ces dernières années à l’échelle mondiale après un âge d’or dans les années 1990, la démocratie libérale tient-elle sa revanche en 2022 ? Une série d’événements et de résultats électoraux sont porteurs d’espoirs pour ce système politique alors que de nombreux enjeux y sont liés, en termes de coopération internationale, de paix ou de droits de l’homme.

 

La démocratie est en crise depuis une quinzaine d’années

De nombreux rapports et études évaluent l’état de la démocratie chaque année dans le monde, et permettent de constater des évolutions inquiétantes. Ainsi, d’après le dernier rapport de Freedom House, ONG financée par le gouvernement américain, la liberté dans le monde a encore reculé en 2021 pour la 16ème année consécutive. 38% de la population mondiale vit dans des pays non libres (un record), 42% dans des pays partiellement libres et 20% seulement dans des pays libres. L’Indice de démocratie de The Economist décrit le même phénomène puisque le score global a atteint un plus bas en 2021 depuis la création de l’indice en 2006. Cette dégradation n’épargne aucune région du monde, y compris l’Europe, avec des baisses particulièrement marquées en Amérique du Nord et en Amérique latine. Les pays où l’indice s’est effondré sont sans surprise l’Afghanistan avec le retour des Talibans, la Birmanie et la Guinée théâtres de coups d’Etat militaires, le Nicaragua, le Venezuela, Haïti et la Tunisie.

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Le rapport 2022 sur l’état mondial de la démocratie de l’International IDEA (Institut international pour la démocratie et l’assistance électorale) donne des indications encore plus parlantes : la moitié des démocraties sont en retrait et deviennent plus répressives, un chiffre jamais atteint, tandis que les pays se dirigeant vers l’autoritarisme sont deux fois plus nombreux que ceux se dirigeant vers la démocratie. Le monde est ainsi revenu au niveau de 1990 en termes de liberté, soit avant la chute de l’URSS et la vague de démocratisation dans les pays en développement et notamment en Afrique.

De nombreux facteurs expliquent ce reflux continu. Sur le plan économique et social, la crise de 2008 et ses conséquences prolongées (crise de la dette, fuite des capitaux, appauvrissement, hausse des inégalités) ont fait monter les mécontentements partout dans le monde, aussi bien dans les pays en développement que dans les pays riches. Or, cette colère favorise l’instabilité politique, les mouvements populistes et antisystèmes ainsi qu’une demande d’ordre et d’autorité. Parfois, la démocratie a même été accusée d’être derrière cet affaiblissement, notamment en Tunisie et plus généralement dans le monde arabe après le chaos consécutif aux printemps de 2011. Sur le plan interne, outre ces questions, la démocratie a aussi été très fragilisée par la montée des nationalismes et avec elle la polarisation politique, notamment aux Etats-Unis et en Inde, les deux plus grandes démocraties du monde. Sur le plan international, le recul de l’influence occidentale et la montée en puissance de la Chine et d’autres pays autoritaires de plus en plus offensifs (Russie, Turquie, Iran…) ont aussi fragilisé les élans démocratiques, de même que l’émergence de peurs et de problématiques anxiogènes comme la crise migratoire ou la crise environnementale.

Il s’agit donc d’un tableau très sombre, mais l’année 2022 a-t-elle changé la donne ?

 

Les espoirs de 2022

La question de la démocratie a été particulièrement marquante et structurante dans les relations internationales en 2022 après l’invasion russe en Ukraine. Les occidentaux ont ainsi salué un combat des Ukrainiens pour la liberté contre un pouvoir dictatorial russe dangereux. En l’occurrence, le conflit a exacerbé une guerre des mots et d’influence entre les occidentaux et la Russie puisque Vladimir Poutine a décrit une démocratie libérale mourante glorifiant le nazisme, tandis que l’Ukraine a obtenu un statut de candidat à l’adhésion à l’UE au nom de son combat pour la liberté. Emmanuel Macron a ainsi déclaré dans une allocution le 2 mars dernier : « La démocratie n’est plus considérée comme un régime incontestable, elle est remise en cause sous nos yeux. Notre liberté, celle de nos enfants, n’est plus un acquis. Elle est plus que jamais un système de courage, un combat de chaque instant ».

Dans les faits, le conflit ukrainien est malgré tout porteur d’espoirs pour la démocratie libérale. La débâcle russe sur le terrain et la résistance ukrainienne ont mis à mal l’idée selon laquelle la démocratie est faible, incapable de faire régner l’ordre ou de battre des régimes autoritaires qui ne tergiversent pas et permettent une prise de décisions rapide. Au contraire, ce conflit a fait rejaillir tous les travers de la dictature : isolement du pouvoir, déconnexion de la réalité, aveuglement, défauts d’une organisation extrêmement verticale qui bride l’innovation, la créativité et le moral des troupes. Ce conflit a également renforcé le sentiment national ukrainien et son ancrage occidental qui renforce ses perspectives démocratiques futures, de même pour la Moldavie dirigée par la pro-européenne Maia Sandu. Les votes condamnant l’agression russe à l’Assemblée générale de l’ONU ont confirmé l’isolement croissant du pouvoir russe, même si la Chine, le Brésil et l’Inde se sont abstenus.

Dans la foulée de l’organisation d’un sommet pour la démocratie à Washington en décembre 2021, l’administration Biden a confirmé son engagement, tournant la page de l’ère Trump, en étant l’un des rares pays à condamner la montée de l’autoritarisme dans certains pays comme la Tunisie et en fournissant un soutien militaire intense à l’Ukraine. D’ailleurs, un nouveau sommet pour la démocratie sera organisé en mars 2023. Quant à l’UE, elle a réussi à forcer la Hongrie à adopter des réformes renforçant l’indépendance de la justice et la lutte contre la corruption en échange des fonds du plan de relance Next Generation EU.

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Sur le plan électoral, certains résultats ont été porteurs d’espoirs. En avril, les législatives en Slovénie ont permis d’écarter le Premier ministre de droite populiste Janez Jansa qui a multiplié les attaques contre la liberté de la presse et l’indépendance de la justice, pour élire le vert-libéral Robert Golob qui a promis de rétablir une démocratie fonctionnelle. En mai, les législatives au Liban ont permis l’émergence de partis de la société civile, réunissant un dixième des sièges malgré des conditions difficiles. Puis, en octobre, les Brésiliens ont décidé de mettre fin au mandat du Président d’extrême-droite Jair Bolsonaro qui a fortement fragilisé la démocratie dans le pays, attaqué les institutions et menacé d’un Coup d’Etat militaire. Malgré les craintes, le scénario américain ne s’est pas répété et le Président sortant a fini par admettre à demi-mots sa défaite. En novembre, les élections de mi-mandat aux Etats-Unis n’ont pas connu le chaos des présidentielles de 2020, la plupart des candidats républicains admettant leurs défaites. Les électeurs ont même écarté une majorité des candidats « deniers », qui reprennent les thèses non-prouvées de fraude électorale et qui ont été soutenus par Donald Trump. Enfin, en décembre, les Tunisiens ont massivement boycotté les élections législatives voulues par le Président autoritaire Kais Saïed en battant un record mondial d’abstention (88,78%).

Surtout, les régimes autoritaires ont connu de nombreuses crises qui les ont plongés dans l’impasse et réduit leur capacité à proposer un contre-modèle désirable. Au-delà du cas d’école de la Russie, l’Iran connaît depuis septembre une révolte inédite contre le régime islamiste, portée par les slogans « femme, vie, liberté » et « mort au dictateur ». Cette crise révèle le fossé entre les dirigeants iraniens et leur peuple, le manque d’adhésion au projet de société de la République islamique et l’incapacité du pouvoir à répondre aux attentes économiques et sociales. En Chine, les manifestations là aussi inédites depuis 1989, marquées par des slogans hostiles à Xi Jinping et au PCC, montrent les limites de la politique du zéro-COVID mais aussi celles du totalitarisme : croire que le pouvoir peut totalement s’affranchir de l’opinion publique et faire ce que bon lui semble est une illusion. En Turquie, l’autoritaire Erdogan, très fragilisé par une crise économique et financière aigüe, est donné perdant dans tous les sondages pour les présidentielles de juin 2023.  

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Les problèmes demeurent

Si les lueurs d’espoir sont donc nombreuses, la démocratie libérale a encore de nombreux défis à relever pour retrouver une dynamique durablement positive. Même si les systèmes autoritaires s’auto-détruisent parfois, la démocratie doit toujours prouver qu’elle représente une alternative crédible et efficace. Le déclin de l’influence occidentale reste à cet égard problématique et fragilise les capacités de soutien aux régimes démocratiques. Les attaques contre la liberté de la presse et d’expression restent par ailleurs nombreuses, et le défi des réseaux sociaux immense, entre facilitateur de révoltes et instrument de diffusion des fausses informations, du complotisme et de la polarisation politique qui fragilisent tant les démocraties libérales aujourd’hui. Malgré quelques revers électoraux, les mouvements populistes et autoritaires restent d’ailleurs difficiles à endiguer.

Par ailleurs, dans les faits, l’année 2022 a été contrastée. La Chine a mis fin aux manifestations, les régimes iranien et russe tiennent bon. Grâce à son emprise sur les médias, Viktor Orban a largement remporté les élections législatives d’avril dernier en Hongrie, et Benyamin Netanyahu, qui a multiplié les attaques contre l’indépendance de la justice et le caractère civil de l’Etat israélien, est revenu au pouvoir en fin d’année à la faveur d’une coalition avec une extrême-droite décrite par les observateurs comme suprémaciste et raciste. Beaucoup de pays où l’autoritarisme progressait en 2021 ont continué sur cette voie en 2022 (Afghanistan, Inde, Mali, Birmanie par exemple). Enfin, Joe Biden a reculé sur sa diplomatie des valeurs en rendant visite à Mohammed Ben Salmane en juillet dernier pour obtenir une baisse des prix du pétrole, sans succès.

 

L’année 2022 a donc été plus que jamais une année de combat pour la démocratie libérale, avec des succès et des espoirs nombreux mais aussi des déceptions, et d’immenses défis à relever.

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Mehdi Lahiani
Etudiant en première année à HEC Paris après deux ans de prépa ECS.