Dans un monde où la mondialisation repose sur la circulation des biens et des personnes, on pourrait penser que les transports ne constituent pas un enjeu géopolitique majeur. Pourtant, ils sont au cœur des rapports de puissance et connaissent une transformation majeure. Le passage d’une logique de “bien public” à une logique de “puissance” traduit l’importance croissante des infrastructures de transport dans les stratégies étatiques et économiques. L’évolution des dynamiques commerciales, la libéralisation des transports et la montée en puissance de nouveaux acteurs industriels font du secteur des transports un véritable enjeu géopolitique.
L’essor des transports comme enjeu de puissance
Les transports mondiaux ont connu une croissance disproportionnée par rapport à la croissance économique globale. Entre 1980 et 2011, le commerce mondial a progressé de 7 % par an, bien plus rapidement que la production de richesses. En 2011, les pays du Sud représentaient 34 % des exportations mondiales, contre 47 % aujourd’hui. Toutefois, depuis 2011, la tendance s’est inversée : le commerce international progresse désormais moins vite que la croissance économique mondiale.
Dans les années 1980, les transports étaient considérés comme une fonction de support, gérée par les acteurs étatiques. Cependant, la libéralisation des transports a fait de ce secteur un pilier central de la géoéconomie mondiale. Il est devenu un lieu de concurrence entre grandes puissances industrielles, comme en témoigne la rivalité entre Airbus et Boeing, à laquelle s’ajoute depuis 2011 l’émergence des liners chinois, capables de rivaliser avec les constructeurs occidentaux.
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Les infrastructures de transport au cœur des stratégies géopolitiques
Aujourd’hui, les investissements dans les infrastructures de transport ont une valeur politique souvent plus importante que leur rentabilité économique. Un exemple majeur est celui des routes de la soie chinoises, un projet qui vise à réduire les contraintes pesant sur les chaînes d’approvisionnement chinoises. Cette initiative traduit une transition de puissance entre la Chine et les États-Unis, mais aussi un affrontement idéologique.
Historiquement, l’organisation du commerce mondial s’est faite sous l’influence des États-Unis, qui ont promu la libre circulation des navires et des transports aériens. Or, la Chine cherche aujourd’hui à redéfinir les règles du jeu en plaçant l’État au centre du développement des infrastructures de transport. Cette opposition entre transport maritime américain et infrastructures terrestres chinoises reflète deux visions différentes de la mondialisation.
Les transports et l’évolution des chaînes de valeur
Depuis 2008, on assiste à une globalisation accrue des transports, accompagnée de profonds changements dans les chaînes de valeur. La croissance des échanges maritimes, qui ont augmenté de 50 % entre 1994 et 2014, témoigne de l’importance continue du commerce par voie maritime.
Dans le modèle économique des Trente Glorieuses, la valeur était principalement produite à destination, après extraction et transport des matières premières. Aujourd’hui, la production de valeur se fait à toutes les étapes : d’abord, sur le lieu de production, avec des activités à plus forte valeur ajoutée. Ensuite, le transport en lui-même est devenu un facteur de compétitivité en permettant de réduire les coûts. Enfin, sur le lieu de consommation, avec une adaptation plus rapide à la demande, les transports nécessitent un véritable hub multimodal.
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La géopolitique de la construction navale
L’histoire de la construction navale reflète l’évolution de l’économie mondiale. Pendant les Trente Glorieuses, ce secteur a connu une stabilité et une prospérité significative. À partir de la fin des années 1970 et 1980, les chantiers navals européens ont décliné, laissant la place aux chantiers sud-coréens, qui ont bénéficié d’une main-d’œuvre bon marché et d’un soutien industriel fort. En 2008, la Chine est devenue le deuxième acteur mondial, profitant de la crise économique pour s’imposer. Les chiffres illustrent ce basculement : en 1998, l’Europe représentait 31 % des commandes mondiales, contre seulement 5 % en 2008. La Chine, en revanche, a atteint 32 % de parts de marché en 2008. Ainsi, on observe le même basculement géopolitique dans les transports que dans les relations internationales contemporaines.
Cependant, sur la valeur produite, l’Europe conservait en 2008 27 % du marché, contre 21 % pour la Chine. La croissance chinoise a surtout concerné les minéraliers et porte-conteneurs, avec une progression plus lente dans le secteur des pétroliers.
Conclusion
Les transports sont devenus un enjeu géopolitique central, au cœur des stratégies étatiques et économiques. Longtemps perçus comme une simple fonction de support, ils sont désormais un facteur de puissance et un vecteur d’évolution des chaînes de valeur. La rivalité entre les grandes puissances, notamment entre les États-Unis et la Chine, se manifeste par des investissements massifs dans les infrastructures de transport, reflétant deux modèles opposés de la mondialisation. La géopolitique des transports continue d’évoluer, redessinant les équilibres économiques mondiaux et renforçant le rôle des infrastructures dans la diplomatie et la compétition internationale.