Plus vite, moins cher, mieux : l’innovation technologique est l’un de ces supports qui nous offrent une vision d’un avenir meilleur. Malheureusement, la confiance et l’optimise se font rare. Les nouvelles technologies qui ont dominé la dernière décennie semblent désuet voire nocives aujourd’hui.
Prenons un exemple. Le e-commerce, les VTC et la ‘gig economy’ étaient censés faciliter la vie quotidienne. En fait ils ne font qu’exploiter des travailleurs et qu’exacerber les inégalités.
Voilà le premier constat, la numérisation et la digitalisation de l’économie qui étaient censés proclamer un monde meilleur, sont aujourd’hui accusés de nuire à l’égalité, à la démocratie et aux droits humains.
D’autre part, si pendant les 30 glorieuses, les innovations technologiques ont permis d’énormes gains de productivité sans précédent et une prospérité économique jamais retrouvée. Aujourd’hui alors que les technologies et les innovations continuent de progresser, les gains de productivité eux ralentissent voire baissent. Ce qui parait paradoxal, les innovations qui permettaient il y a 50 ans d’accélérer la croissance économique, ces mêmes innovations ne sont plus moteur d’une croissance économique en 2023. Certains en viennent même à se demander si l’emploi va disparaitre avec l’arrivée des nouvelles technologies.
Sur cette base, des innovations technologiques qui ne permettent plus de gains de productivité, qui détruisent peu à peu l’emploi et nuisent aux valeurs sociales d’un pays. Comment croire en un avenir meilleur grâce aux nouvelles technologies ?
C’est cette question qui fonde le débat entre techno optimistes, courant de pensée qui soutient que l’innovation est une force motrice de l’histoire et par essence une force positive. Et techno pessimistes, courant de pensée critiquant la foi des techno optimisme sur la puissance et les perspectives d’avenir de la technologie.
Cet article est alors destiné aux optimistes, aux pessimistes ou simplement aux étudiants qui veulent alimenter leurs copies de pensées contemporaines, peut-être allez vous vous retrouver dans l’une de ces idées !
Pour d’autres controverses autour du progrès technique
Le point de vue techno optimiste sur l’innovation
Dans son acception la plus commune, le techno-optimisme avance que les grands problèmes du monde seront résolus grâce à la technologie. Il base ses raisonnements non sur des certitudes scientifiques mais sur des prévisions optimistes.
Pour les techno-optimistes, la technologie est l’essence d’un avenir meilleur. Une essence qui à prouver son efficacité dans l’histoire et qui continue d’alimenter un optimisme constant. Ils laissent entendre que le smartphone n’est qu’une extension du boulier, et que le silex débouche sur une lance, puis sur une arme nucléaire.
Erik Brynjolfsson et Mcafee (le deuxième Age de la machine : travail et prospérité à l’heure de la révolution technologique) en sont un exemple parfait. Ils soulignent les capacités de progrès exponentiels de l’intelligence artificielle capable d’engendrer un processus auto-entretenu d’innovations. Des innovations de rupture sont sur le point d’apparaître, notamment dans le domaine électronique. Tandis que l’usage des puces dans de nouveaux domaines pourrait générer des gains importants de productivité (« More than Moore »). Pour les auteurs, le premier âge de la machine correspond au remplacement de la force musculaire de l’homme par la machine. Aujourd’hui nous sommes dans le deuxième âge de la machine, le remplacement de la puissance intellectuelle de l’homme.
Une autre partie des techno optimistes s’en tiennent à justifier la perte de gains de productivité aujourd’hui malgré l’accélération de la digitalisation. Phillipe Aghion montre les problèmes des indicateurs, les gains de productivité ne sont pas correctement mesurés. Les résultats sont là mais il faut trouver le bon indicateur. Le PIB ne permet plus de mesurer le progrès technologique car les innovations aujourd’hui sont numérique ou digitales. Ce problème n’est pas récent, Robert Solow le disait déjà en 1956. « Les ordinateurs sont partout sauf dans les statistiques de la productivité ».
Techno-optimiste et emploi
Les techno-optimistes soutiennent que la robotisation ne remplacera l’emploi que dans certaines tâches. Ils voient la digitalisation comme une opportunité de se concentrer soit sur des tâches à plus forte valeur ajoutée soit sur son bonheur personnel. Par exemple, la durée légale de travail en Suède est récemment passée à 32 heures grâce à l’automatisation.
En fait la robotisation permet aux travailleurs d’être plus entreprenants, créatifs. De nouvelles formes de travail se développent comme les « slasheurs ». Des travailleurs qui combine plusieurs jobs dans la semaine : analyste financier 10 heures par semaines, livreur uber eats la nuit…
En général, les techno optimistes s’appuient sur le modèle scandinave du marché du travail. Un marché dominé par la flexisécurité. Un marché flexible incitant à l’innovation tout en ayant une sécurité sociale solide leur permettant la formation et la qualification.
La digitalisation ne doit pas être un substitut des travailleurs, les travailleurs doivent apprendre à être complémentaire à l’automatisation.
Enfin, pour les pays éloignés de la frontière technologique, les techno optimistes sont confiants. Il existe des réserves de croissance de productivité, il faut simplement du temps. Le rattrapage n’est pas spontané. En effet, il faut être capable d’intégrer ces innovations, grâce à une main d’œuvre suffisamment instruite et des marchés du travail suffisamment souples. Ce qui permettra la réallocation de l’emploi vers les entreprises innovantes. En outre, il faut des incitations à intégrer ces nouvelles technologies, notamment un degré de concurrence suffisamment élevé.
Le point de vue techno pessimiste sur l’innovation
A cet optimisme, s’oppose un courant : les techno pessimiste. Le techno pessimisme s’oppose à l’attitude générale, techno optimiste. Il dénonce la toute croyance, la foi des optimistes en la technologie. « Le techno pessimisme lève le voile sur la façon dont les technologies produites par une société reflètent les forces sociales, historiques, économiques et politiques déjà en marche dans cette société. ».
A titre d’exemple : si les techno-optimistes voient l’automatisation des entrepôts Amazon comme un bijoux d’innovation. La critique de ces derniers par les pessimistes est d’abord une manière d’aborder la répartition du pouvoir au sein de l’entreprise.
Ainsi, le crédo des techno pessimistes est qu’aujourd’hui on est passés d’innovation de rupture à des innovations incrémentales. Innovations qui ne servent plus à alimenter la croissance des gains de productivité et in fine la croissance économique.
Selon les techno-pessimistes, on ne peut comparer les révolutions industrielles (Gordon, The Rise and Fall of American Growth). La révolution technologique des trente glorieuses est incomparable avec la révolution des NTIC. Aujourd’hui, la diffusion des technologies plafonne, il n’y a plus vraiment de révolution bien qu’il y a encore de l’innovation. Si les précédentes révolutions technologiques constituaient un bond qualitatif sans précédent, aujourd’hui c’est incomparable.
Une autre partie des techno pessimistes mettent en avant le coût croissant de la recherche. Les idées sont devenues plus difficiles à trouver. Par exemple, le doublement de la densité de puces sur un microprocesseur, la « loi de Moore », demande des équipes de chercheurs 18 fois plus grandes que celles des années 1970.
Enfin, Patrick Artus estime que la révolution des NTIC est anti schumpétérienne. En développant les NTIC on crée de nouveaux emplois. Des emplois très qualifié et cela devrait générer de la croissance. Or, la création d’emploi qualifié n’entraine pas de gains de productivité. C’est un phénomène de bipolarisation du marché du travail. Bien qu’il y ai une création d’emplois qualifié, il y a une grande destruction d’emploi intermédiaires qui compense les bienfaits de l’innovation.
En tout état de cause, les économies auraient tendance à connaitre un ralentissement de la croissance de la productivité car les technologies n’exercent plus trop d’effet sur la productivité. Les six vents contraires de la croissance économique explique cette faiblesse de la productivité.
Les six vents contraires de la croissance
- Les inégalités. Depuis les années 1990, il y a une montée des inégalités de revenus envers les 1% les plus riche. Les 1% les plus riches détiennent 99% du patrimoine mondial. L’hyper mondialisation accélère les inégalités (autre vente contraire). Une représentation intéressante de ce développement des inégalités est la courbe de l’éléphant par Branko Milanovic (Inégalités mondiales).
- La démographie. le dividende démographique s’est inversé pour les pessimistes. Si avant, l’augmentation de la population contribuait positivement à la croissance économique. Aujourd’hui, la tendance s’est totalement inversée. D’une part l’augmentation de la population ne contribue plus à la croissance économique. Mais surtout le phénomène de vieillissement flagrant dans certains pays comme le Japon ou l’Allemagne est un frein à la croissance.
- La crise climatique. Gordon disait : « La recommandation consensuelle des économistes d’imposer une taxe sur le carbone afin de faire grimper les prix de l’essence aux États-Unis vers les niveaux européens réduiront le montant dont disposent les ménages reste à dépenser pour tout le reste ». La crise climatique étant un objectif primordial aujourd’hui des politiques publiques, fait passer la croissance économique au second rang selon les techno-pessimistes.
- L’éducation. En théorie, la productivité est d’autant plus forte que le niveau de diplôme est élevé. Mais les performances plafonnent, le diplôme devient de moins en moins important. Il y a une inflation de diplômes et des asymétries d’information autour de l’éducation ce qui tend à inverser la tendance aujourd’hui.
- La dette publique. L’accumulation des déficits publics et l’aggravement de la dette publique avec la crise sanitaire et inflationniste en 2023 est un frein à la croissance. En fait, plus la dette publique est élevée et moins elle est soutenable, plus le signal envoyé aux investisseurs est mauvais. Une augmentation de la dette publique est donc un frein à l’investissement qui est une composante de la croissance.
Conclusion
Force est de constater que deux courants s’opposent sur la vision de l’innovation et ses perspectives. Mais voyons plus loin, aujourd’hui la croissance économique n’est plus l’objectif à atteindre à tout prix. Il a y eu un changement de paradigme. Avant nous allions « chercher la croissance avec les dents » pour reprendre l’expression de Nicolas Sarkozy. Maintenant nous iront chercher la paix, l’égalité et la sobriété énergétique avec les dents.
Quant à l’emploi : « Il faut arrêter de dire que tous les emplois sont menacés. Le cerveau humain ne sera jamais remplaçable. Cependant il faut accompagner les travailleurs pour évoluer dans un monde numérique et mouvant ». Nous assistons en fait, à une nouvelle destruction créatrice.
En bref, il faut repenser le débat avec les enjeux contemporains, rester optimiste quant aux perspectives de croissance. La technologie et l’innovation à été et sera le moteur de nos vies pour des décennies encore.
Pour vous le prouver et mettre un point final à cet article, voilà ce que prévoyait Victor hugo en 1849. « Un jour viendra où il n’y aura plus d’autres champs de batailles que les marchés s’ouvrant au commerce, et les esprits s’ouvrant aux idées. Un jour viendra où, ces deux puissances immenses, les etats unis d’amérique, les etats unis d’europe, placés en face l’une de l’autre, se tendant la main par-dessus les mers, s’échangeant leurs produits, leur commerce, leur industrie, leurs arts et leurs génies. »
Alors peut être qu’un jour viendra où il n’y aura plus d’autres champs de bataille que celui de la course à l’innovation. Un jour viendra où, l’égalité, la prospérité et la sobriété tous ensemble, de concert, tendront la main à la technologie.
Une vidéo passionnante sur le débat pour vous faire votre avis !