Le 29 juin 2023, le célèbre économiste en chef du FMI de 2001 à 2003, Kenneth Rogoff, a publié en partenariat avec Project Syndicate, une tribune intitulée « Rethinking Climate Finance for the Developing World » dénonçant le discours des pays du Nord à destination du Sud au sujet du financement de la transition écologique.
Le Sud ne pourra se passer de l’aide du Nord face au changement climatique
Kenneth Rogoff en est persuadé, les pays en voie de développement ne renonceront pas aux hydrocarbures sans une aide adéquate, des pays du Nord, pour trouver des alternatives tel qu’un ambitieux plan de financement. C’était notamment tout l’enjeu du Sommet pour un nouveau pacte financier mondial du 22 et 23 juin 2023 à Paris. À l’initiative d’Emmanuel Macron, une cinquantaine de chefs d’Etat, des représentants d’institutions internationales et de la société civile ont tenté de relancer la coopération Nord-Sud pour lutter contre la pauvreté et le réchauffement climatique.
L’auteur souligne que traditionnellement, les pays en développement ont compté sur leurs ressources naturelles abondantes et leur main-d’œuvre bon marché pour leur croissance économique. Cependant, le changement climatique a renforcé la position de négociation des pays à faible revenu et a modifié la dynamique des relations Nord-Sud. Ces pays ne sont plus disposés à s’endetter massivement pour financer des projets de développement durable, surtout lorsque des alternatives moins coûteuses sont disponibles.
L’ancien économiste en chef du FMI le sait, « les efforts continus des pays riches visant à persuader les pays à faible revenu d’attribuer une valeur plus élevée au bien commun mondial qu’ils ne l’ont fait eux-mêmes sont voués à l’échec. Bien que les incitations concordent dans certains cas, avec l’aide de la baisse des coûts de l’énergie solaire et éolienne, les économies en développement trouvent souvent beaucoup plus rentable de suivre les traces des économies avancées et de compter sur les énergies fossiles. »
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La guerre en Ukraine, tout un symbole de l’hypocrisie Nord-Sud selon Kenneth Rogoff
L’économiste constate qu’une situation délicate est récemment apparue : l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Cet évènement a mis en exergue l’hypocrisie des pays développés qui pendant des années, ont conseillé aux économies en développement de ne pas utiliser les combustibles fossiles, refusant systématiquement de financer des projets de gaz et de pétrole, en particulier pour la consommation interne. Cependant, depuis l’invasion russe, les dirigeants européens ont poussé les pays africains à augmenter leur production de gaz afin d’exporter du gaz naturel liquéfié vers l’Europe.
Alors que les gouvernements européens considèrent ces actions comme une réponse justifiée à des circonstances exceptionnelles, les pays en développement, où les pénuries d’électricité sont monnaie courante, même en temps de paix, ont du mal à accepter cette situation. Les États-Unis ne se distinguent pas non plus. Lorsque les prix de l’essence ont fortement augmenté à la suite de la guerre en Ukraine, le président américain Joe Biden a promis de faire tout son possible pour faire baisser les prix, allant même jusqu’à prier l’Arabie saoudite d’augmenter sa production de pétrole.
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L’enjeu est de réussir à financer la transition énergétique
Pour aider les pays en développement à réaliser leur transition vers des sources d’énergie propres, plusieurs propositions ont été avancées. Par exemple, réduire l’exposition des investisseurs étrangers au risque de change dans les économies en développement. Cependant, pour Kenneth Rogoff, cette proposition est problématique. « Etant donné qu’une grande partie du risque de change s’enracine dans le risque souverain, il ne peut pas être éliminé par l’ingénierie financière à elle seule. La principale menace pour les taux de change, après tout, est la forte incitation pour les gouvernements à court de liquidités de gonfler leur dette. Subventionner une énorme augmentation de la dette dans les pays en développement n’est pas une solution au réchauffement climatique, mais une recette pour une nouvelle crise de la dette. Le financement climatique pour les pays à faible revenu doit donner la priorité aux subventions par rapport aux prêts. »
Malheureusement, le FMI et la Banque mondiale accordent principalement des prêts plutôt que les subventions directes dont les pays en développement ont besoin. De plus, les mécanismes de gouvernance de ces institutions sont conçus pour favoriser les intérêts des pays riches prêteurs. Pour convaincre les économies en développement de s’engager dans la lutte contre le changement climatique, il est essentiel de leur accorder un rôle plus important dans l’élaboration des politiques mondiales. De plus, le financement proposé doit être massif.
Une autre solution consiste à créer une Banque mondiale du carbone qui soutiendrait les transferts de technologie, fournirait des rapports impartiaux sur les questions liées au réchauffement climatique et faciliterait le financement à grande échelle de l’aide.
Bien que certaines agences aient déjà lancé des projets climatiques, leur envergure est insuffisante pour lutter contre le réchauffement climatique. Dans l’ensemble, l’économiste dénonce les économies développées en arguant que ces dernières « ne sont pas près de respecter leurs engagements de financement du climat et ne semblent pas particulièrement enthousiastes à l’idée de faciliter des transferts supplémentaires. En outre, la perspective d’une reprise de la Maison-Blanche en 2024 par l’ancien président américain Donald Trump – un climatosceptique avéré – soulève des inquiétudes légitimes. »
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Pour conclure, dans cette tribune, Kenneth Rogoff nous explique que pendant trop longtemps, les pays du Nord ont donné des leçons aux pays du Sud sur le changement climatique sans appliquer ces leçons à eux-mêmes.