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La Cour suprême : institution clé ou verrouillée ?

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La nomination de Ketanji Brown Jackson à la Cour suprême, confirmée par le

Sénat le 7 avril 2022, inaugure la présence de la première femme noire au sein de la plus haute juridiction des États-Unis. Ce succès pour le camp démocrate n’en reste pas moins nuancé par un déséquilibre inchangé en faveur des Républicains et une remise en question de la politisation de la Cour suprême.

 

Première femme noire à la Cour suprême

Ancienne juge à la cour d’appel du circuit du district de Columbia, un poste prestigieux, Ketanji Brown Jackson remplacera à partir de juillet 2022 le doyen de la Cour suprême Stephen Breyer, nommé en 1994 par Bill Clinton et prenant sa retraite à plus de 80 ans.

L’élection de Brown Jackson avec une faible majorité, 53 voix contre 47, n’autorise cependant pas à crier victoire pour le parti démocrate. Même si Joe Biden honore une de ses promesses fortes de campagne en nommant une femme noire à la Cour suprême, l’équilibre de l’institution demeure inchangé, puisque Stephen Breyer, juge démocrate est remplacé par une démocrate.

Le maintien fragile de la proportion de juges démocrates face aux républicains à la Cour suprême, 3 contre 6, ne saurait entacher la carrière brillante et la ténacité de Brown Jackson face aux Sénat américain durant 4 jours d’auditions vitrioliques pour accéder à ses fonctions.

Diplômée de la faculté de droit à Harvard en 1996, ancienne rédactrice en chef de la renommée Harvard Law Review et juge au tribunal fédéral de Washington, Ketanji Brown Jackson fait suite à l’héritage de Thurgood Marshall, premier juge noir à accéder à la Cour suprême en 1967 et de Sandra Day O’Connor, première femme nominée en 1981.


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La politisation du pouvoir judiciaire

L’audition de Ketanji Brown Jackson fut rude. À l’approche des élections de mi-mandat prévues en novembre 2022, la magistrate a dû se défendre sur des sujets sociaux et politiques épineux face aux sénateurs décidés à tirer profit de ses auditions pour faire vivre leur opposition avec les démocrates.

Face à ses opposants lui reprochant d’avoir plaidé en faveur de détenus de Guantanamo ou d’avoir été indulgente dans des procès de condamnation pour pédopornographie, Brown Jackson est restée, sinon de marbre, déterminée à justifier le fondement de ses décisions en tant que juge.

Traitée de “gauchiste” à plusieurs reprises et interrogée sur des sujets glissants concernant les minorités, les allers-retours entre Brown Jackson et les législateurs républicains ont mis en exergue le rôle inévitablement politique que revêtait la Cour suprême.

Pour ne citer que quelques exemples, la sénatrice du Tennessee Marsha Blackburn a demandé à Brown Jackson de définir ce qu’était une femme, tandis que Ted Cruz, sénateur du Texas, est revenu plusieurs fois à la charge sur la question raciale. Le sénateur a pris pour exemple le livre Antiracist Baby diffusé dans une école privée de Washington, où Ketanji Brown Jackson siège comme membre du conseil d’administration, s’indignant qu’on puisse qualifier un bébé de “raciste”.

La rhétorique tendancieuse du législateur, qui a pu exaspérer la juge, a surtout fait ressortir les oppositions qui cristallisent une Amérique divisée sur le droit des minorités, l’éducation et les questions d’insécurité. Depuis plusieurs années, l’hostilité croissante entre les camps républicain et démocrate est parvenue à faire de l’inclination idéologique des juges de la Cour suprême une préoccupation majeure, alors même qu’ils représentent une institution juridique.

En particulier, depuis le décès de la juge démocrate Ruth Bader Ginsburg en 2020, le basculement d’une ère progressiste vers des temps plus conservateurs a consacré une tendance de long terme, peut-être de plusieurs décennies, façonnant la Cour suprême à l’image du Grand Old Party pour les années à venir.


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Une institution au pouvoir hégémonique

L’influence de la Cour suprême fait d’elle un acteur clé, capable d’orienter les politiques fédérales des États-Unis. En comparaison au système français, la Cour suprême concentre l’équivalent des pouvoirs de la Cour de cassation, du Conseil constitutionnel et du Conseil d’État.

Vieille de plus de 230 ans et régie par l’article III de la Constitution américaine, elle acquiert sa prééminence sur les questions constitutionnelles de fait en 1803 en cassant pour la première fois une loi fédérale avec l’arrêt Marbury v. Madison.

Pourtant, cette hégémonie n’est pas établie de droit aux prémices de la formation des États- Unis d’Amérique. Thomas Jefferson, Père fondateur et 3e président des États-Unis qualifiait en 1820 le contrôle judiciaire de “doctrine dangereuse”.

Dans son discours d’investiture, le président Abraham Lincoln estimait, quant à lui, que la Cour suprême constituait un terreau du despotisme. Pendant la Grande Dépression, c’est au tour de Franklin D. Roosevelt de se débattre avec la tyrannie judiciaire de la Cour suprême qui déclare les lois du premier New Deal anticonstitutionnelles en 1935 et en 1936.

Espérant pouvoir orienter l’institution dans son sens en accroissant le nombre de juges de 9 à 15, Roosevelt se heurte à l’opinion publique et entérine, malgré lui, le chiffre de 9 juges comme symbolique de la Cour suprême, ainsi que sa position de “gouvernement des juges” inébranlable.

Disposant de pouvoirs importants, la Cour suprême interroge encore quant à son rôle dans la démocratie américaine. En 1950, elle ferme les yeux sur la décision du président Harry Truman d’entrer en guerre contre la Corée du Nord sans l’aval du Congrès. La Cour suprême consent ainsi implicitement à l’instauration d’un régime présidentialiste capable de gérer sa politique extérieure sans l’accord du pouvoir législatif.

De plus, depuis 1976, les candidats aux élections peuvent financer presque sans plafond leur campagne, la Cour suprême établissant un lien entre financements et liberté d’expression, en invoquant le Ier Amendement.

Protectrice des minorités, la Cour suprême s’illustre à plusieurs reprises par son progressisme, notamment avec les arrêts Brown v. Board of Education (1954) pour la déségrégation des écoles, Roe v. Wade (1973) légalisant l’avortement, ou encore Obergefell v. Hodges (2015) confirmant la constitutionnalité du mariage homosexuel. En même temps, son héritage mccarthyste et plus récemment son soutien à la politique anti-immigration contre les musulmans du Moyen-Orient.

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Dorian Zerroudi
Co-fondateur d'elevenact (Mister Prépa, Planète Grandes Ecoles...), j'ai à coeur d'accompagner un maximum d'étudiants vers la réussite !