« Le Capital au XXIe siècle » de Thomas Piketty : Prolongement et critiques (3/3)

On termine cette série d’article sur l’ouvrage phare de Piketty par un prolongement critique souvent occulté mais pourtant très fécond, à mettre dans les copies pour nuancer ses propos. En effet, si le travail de l’économiste français ne fait plus aucun doute, les méthodes mises en œuvre ainsi que la conclusion et la thèse défendues sont critiquables et critiquées par de nombreux spécialistes. Cet article résume l’essentiel des critiques.

 

Prolongement

Tout d’abord, Piketty invite lui-même à se méfier de tout déterminisme économique : l’histoire de la répartition des richesses est toujours une histoire profondément politique et ne saurait se résumer à des mécanismes purement économiques. Elle dépend des représentations que se font les acteurs économiques, politiques, sociaux, de ce qui est juste et de ce qui ne l’est pas, des rapports de force entre ces acteurs, et des choix collectifs qui en découlent. 

Il s’agit donc d’une histoire difficile à appréhender pleinement et dont les résultats ne sont pas absolus. Par ailleurs, le vaste éventail de données utilisées peut être remis en question. Il s’agit en effet d’estimations qui ne peuvent pleinement rendre compte de la réalité effective et la véracité des résultats a pu être critiquée voire contestée. 

 

Les critiques de méthode

Pour commencer, Jean-Philippe Delsol a voulu montrer dans un article les “tromperies statistiques de Thomas Piketty.” Ce dernier a souligné que si les données concernant le patrimoine sont imparfaites, celles sur les déclarations de revenus sont plus fiables et vont dans le même sens. Il ajoute que quelques erreurs statistiques ne changeraient rien aux conclusions de son ouvrage.

La seconde loi fondamentale du capitalisme (β = s/g) a pu être critiquée pour reposer sur une hypothèse extrême et peu réaliste à propos du comportement d’épargne des ménages. L’hypothèse centrale concerne la manière dont l’économie épargne. Piketty suppose que le taux d’épargne “net” est constant et positif, c’est-à-dire que l’économie augmente son stock de capital d’année en année d’un montant qui est une fraction constante du revenu national net. Cette hypothèse peut sembler standard, mais en réalité elle ne l’est pas. En particulier, avec une croissance démographique ou technologique nulle, l’hypothèse selon laquelle le stock de capital augmente toujours (parce que l’épargne nette est positive) implique que de plus en plus de production doit être détournée de la consommation vers l’investissement. Finalement, parce que le capital doit continuer à augmenter, il faut consacrer 100% du PIB à la formation de capital (Cf. Per Krusell et Anthony Smith, http://www.econ.yale.edu//smith/piketty1.pdf).

Gaël Giraud critique quant à lui l’intérêt de ces travaux en matière d’analyse des causes des inégalités. Le modèle proposé par Piketty ne prend pas en compte la monnaie, les ressources naturelles et les rétroactions du climat. De plus, la notion de capital retenue par Piketty regroupe à la fois le patrimoine et les infrastructures productives, empêchant selon Giraud toute analyse sérieuse des causes des inégalités. (Cf. https://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/dtravail/WP2014-06.pdf)

 

Les critiques de fond

G.Allègre et X.Timbeau proposent quant à eux une critique de l’ouvrage fondée sur l’idée que la relation selon laquelle le taux de rendement du capital est durablement supérieur au taux de croissance (r > g) n’est pas, comme le suppose Thomas Piketty, une constante macroéconomique, mais a des fondements microéconomiques liés au fonctionnement imparfait des marchés. Leur critique suggère qu’un impôt sur le capital n’est peut-être pas la meilleure solution pour diminuer les inégalités.

Une autre critique est d’avoir placé l’inégalité au centre de son analyse sans apporter de réflexion sur son importance et ses conséquences. En effet, comme le souligne Martin Wolf, il y a des arguments en faveur de l’inégalité (incitation à l’innovation, mérite, l’enrichissement global). L’inégalité de fait ne peut jamais être totalement supprimée. Piketty incite à croire que l’inégalité est le seul problème important sans se préoccuper de l’impact sur les niveaux de vie (Cf. https://www.ft.com/content/0c6e9302-c3e2-11e3-a8e0-00144feabdc0).

 

Des critiques à nuancer

L’ouvrage de Piketty n’en reste pas moins très pédagogique, à la fois d’une grande richesse et d’une grande précision. De nombreux aspects de la répartition des richesses y sont étudiés (transformation de la nature du capital, la montée d’une classe moyenne patrimoniale, la question de la dette publique, les contradictions de l’union monétaire européenne, etc). Cet ouvrage est essentiel pour comprendre l’histoire du capital et les transformations des inégalités dans les sociétés contemporaines. Son caractère pédagogique et simplificateur le rend très accessible.

Lire plus : La « Psychologie des foules » selon Gustave Le Bon (1/2)

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