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L’image comme vectrice de regards

Sommaire

Les concours approchent et c’est pourquoi nous t’encourageons à profiter de cette période pour débuter ton travail sur les oeuvres qui pourraient t’aider pour l’épreuve de culture générale. Pour rappel, le thème de l’année 2024-2025 est « l’image ». 

Pour cela, nous te proposons d’interroger l’histoire de l’art même et comment les images ont pu être vectrices de certains regards. En effet, l’histoire de l’art, en tant que discipline, a longtemps privilégié un récit centré sur une vision androcentrée, où les grands noms de l’art étaient principalement des hommes, et occidentaux. Cependant, depuis les années 1970, une remise en question de cette approche a vu le jour grâce aux mouvements féministes et postmodernes, qui ont cherché à déconstruire les structures de pouvoir et à réexaminer les relations de genre au sein de l’art. Ce changement de perspective a mené à une relecture de l’histoire de l’art à travers le prisme du genre, mais aussi à une réévaluation de la place des femmes dans la production artistique. Cet article explore les fondements et les enjeux de cette histoire de l’art féministe et post-colonial, tout en posant la question centrale : l’art a t-elle un genre et une origine ?

L'image et le genre

Les premières analyses féministes en histoire de l’art  s’appuient sur une histoire sociale de l’art d’inspiration néo-marxiste, qui met en lumière les rapports de domination dans la société.

Linda Nochlin, une figure centrale de cette approche, se demande pourquoi il n’y a pas eu de « grandes artistes » femmes. Selon elle, les contraintes institutionnelles ont limité les possibilités d’expression des femmes. Ces dernières étaient souvent cantonnées à des genres mineurs, contraintes par des moyens de production modestes et l’accès restreint à la formation. Par ailleurs, les normes sociales les enfermaient dans un rôle domestique et familial, les empêchant de produire de manière autonome et de voyager, facteurs qui influençaient directement leur œuvre. L’art était ainsi perçu comme une activité masculine, et la représentation des femmes dans les œuvres artistiques reflétait cette domination. Mais cette vision binaire du masculin et du féminin, et notamment la distinction entre la force des hommes et la mollesse des femmes, se traduisait aussi dans les pratiques plastiques des images : la composition, l’espace et le traitement des corps révélaient une idéologie sous-jacente. L’image artistique, à travers sa structure visuelle, incarnait cette opposition de genre, illustrée par la façon dont les hommes occupaient l’espace de manière expansive, tandis que les femmes, souvent affaissées, étaient reléguées à des espaces plus étroits.

 

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Le male gaze

Un autre outil théorique majeur de l’Histoire de l’art féministe est la psychanalyse, notamment l’analyse du « male gaze » (regard masculin) proposé par Laura Mulvey dans les années 1970.

Mulvey montre comment, dans le cinéma et les arts visuels, les femmes sont souvent représentées comme des objets de désir, fétichisées et réduites à des corps soumis au regard masculin. Cette analyse, centrée sur la différence sexuelle, révèle la manière dont l’imaginaire collectif et la culture visuelle sont dominés par des schémas patriarcaux. En effet, la société phallocratique structure les images, et les spectateurs sont invités à se positionner comme des regards masculins, alimentant ainsi une dynamique de pouvoir inégalitaire.

Cette réflexion sur la sexualité et la représentation visuelle s’étend aussi à l’histoire de l’art, où les femmes sont souvent figées dans des poses passives, destinées à satisfaire le regard masculin, tandis que les figures masculines sont valorisées pour leur activité et leur autorité.

 

Les critiques post-coloniales de l'image

Mais outre la question du genre de l’image, il y a aussi celle de l’origine. Ainsi, les critiques postcoloniales de l’image, notamment celles formulées par Abigail Solomon-Godeau dans son article ‘Going Native’. Paul Gauguin and the Invention of Primitivist Modernism (1989), soulignent par exemple les fantasmes raciaux et sexuels à l’œuvre dans la production artistique de Paul Gauguin.

Solomon-Godeau analyse la manière dont l’image de Gauguin, construite autour du mythe du « sauvage parmi les sauvages », renvoie à un désir colonial profondément ancré dans des dynamiques de pouvoir et d’exploitation. En quête d’authenticité, Gauguin, tout en résidant longuement en Polynésie, ne s’assimile jamais véritablement à la culture locale. Ses titres polynésiens, censés témoigner de son assimilation, sont souvent erronés, témoignant de son ignorance de la langue et de la culture qu’il prétendait comprendre. Loin de se positionner comme un homme d’exception ayant renoncé aux conventions bourgeoises pour adopter une culture plus « pure », Gauguin reste un colon, dominant les populations locales. Dans ses œuvres, les femmes sont systématiquement représentées comme des objets de désir, dépeintes comme sensuelles, disponibles, ou passives, un trope qui s’inscrit dans une iconographie colonialiste de la femme exotique. L’absence d’hommes dans ses tableaux et la représentation des femmes souvent jeunes et vulnérables soulignent cette domination sexuelle et raciale.

Cette dynamique est renforcée par les écrits de Gauguin, qui, dans ses lettres, décrit sans ambiguïté ses fantasmes de viol et de soumission, traduisant ainsi le désir colonial de contrôle et d’exploitation des femmes autochtones.

Ainsi, selon Solomon-Godeau, l’image du « sauvage » et celle de la « femme » dans l’œuvre de Gauguin sont profondément liées et structurées de manière similaire : toutes deux sont réduites à des objets à la fois de désir et de domination, incarnant ainsi les mécanismes du colonialisme et de l’exploitation raciale.

 

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L'image comme lieu de lutte

Les révisions féministes et postmodernistes de l’histoire de l’art ne se contentent pas de réhabiliter des artistes femmes ou des figures marginalisées. Elles interrogent avant tout la manière dont l’art est produit et perçu, en mettant en lumière les rapports de pouvoir et les constructions idéologiques qui se cachent derrière chaque image.

Les images, loin d’être neutre, est un lieu où se joue une lutte de genre, de race et de classe. La réflexion sur le sexe de l’art n’est pas simplement une question d’identité personnelle ou de genre, mais une interrogation plus profonde sur les mécanismes de domination qui façonnent l’art et l’image.

Les approches féministes, postcoloniales et queer ouvrent ainsi un champ d’analyse plus vaste, où l’image ne se réduit plus à un simple reflet de la réalité, mais devient un terrain de contestation, un espace où les identités se construisent et se déforment. L’histoire de l’art, en s’ouvrant à ces nouvelles lectures, permet de repenser la production visuelle sous un jour nouveau : celui d’une pluralité d’identités qui questionnent l’universalité de l’art, et redéfinissent ce que signifie être un artiste, un spectateur, un corps, et une image dans une société en constante évolution.

 

Conclusion

En conclusion, la révision féministe et postmoderne de l’histoire de l’art ouvre de nouvelles perspectives critiques en mettant en lumière les enjeux de sexe, de genre, de race et de classe dans la production et la réception des œuvres artistiques. L’art n’est plus vu comme un simple reflet neutre de la réalité, mais comme un champ de lutte, où les rapports de pouvoir et les idéologies dominantes se manifestent à travers les images. L’approche intersectionnelle, en élargissant le canon de l’histoire de l’art, permet de déconstruire les mythes et les stéréotypes qui ont longtemps façonné les représentations artistiques des femmes et des peuples marginalisés.

En redéfinissant ce que signifie être artiste et spectateur dans un monde pluraliste, ces théories nous invitent à repenser l’art sous l’angle de la diversité et de l’inclusivité, nous rappelant que l’histoire de l’art et les images sont avant tout un espace de contestation et de redéfinition des identités.

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Corentin Viault