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Qu’est-ce que la Mexamérique ?

Sommaire

En 1981, Joël Garreau publie dans Les Neufs Nations de l’Amérique du Nord la notion de Mexamerica (ou Mexamérique). C’est une nation transculturelle regroupant les populations situées de part et d’autre du Río Bravo (fleuve faisant la frontière entre le Mexique et l’état américain du Texas). Ces populations sont unies par des liens linguistiques (la langue espagnole), économiques mais également culturels (la religion, la musique ou encore les pratiques alimentaires). Cependant, la Mexamérique a pour colonne vertébrale une frontière de plus de 3 000 kilomètres, frontière faisant l’objet d’une surveillance très importante et représentant la fracture géopolitique entre le nord et le sud du continent américain. Comprendre l’histoire et les enjeux de la frontière américano-mexicaine est donc crucial pour saisir les particularités de la Mexamérique.

 

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La naissance de la frontière entre les États-Unis et le Mexique 

La rencontre des expansionnismes espagnols vers le nord et américains vers l’ouest est au cœur de la création de la frontière et de la Mexamérique. En 1521, la chute de Tenochtitlán, capitale de l’Empire aztèque, marque le début d’une lente avancée espagnole vers le nord du continent. La découverte de mines d’argent pousse à l’envoi des populations du Sud pour l’extraction du minerai. L’évangélisation des indigènes insoumis progresse également vers le Nord. 

C’est au XIXe siècle qu’une tension géopolitique apparaît : le nord abandonné de la Nouvelle-Espagne devient l’ouest convoité des États-Unis. Des limites sont fixées en 1819 par le traité d’Adams-Onís, mais les faiblesses mexicaines et espagnoles rendent complexe la lutte contre l’appétit américain d’expansion. Face à ces failles, en 1836, les colons anglophones du Texas proclament unilatéralement leur indépendance afin de conserver leur droit de posséder des esclaves, interdit au Mexique. Ceci déclenche alors une guerre pour le contrôle des territoires. Les États-Unis prennent possession du Texas en 1845, de Los Angeles et de la Californie en 1847 et du Nouveau-Mexique en 1848. Le dernier changement de tracé a lieu en 1970 sur le Río Bravo.

 

Les enjeux de surveillance et de gestion des flux 

Une frontière sous haute surveillance…

À partir des années 1990, la région transfrontalière de la Mexamerica représente une fracture territoriale majeure notamment par l’immense palissade hérissée de barbelés et les murs qui servent de frontière. Cette frontière est particulièrement significative puisqu’elle ne sépare pas seulement les États-Unis du Mexique, mais également le Nord prospère du Sud pauvre. 

Les points de passage sont rares et font l’objet d’une surveillance accrue. Aux États-Unis, la frontière est un sujet de politique intérieure et internationale. En effet, cette séparation remet en question l’intégration du Mexique à la zone de libre-échange nord-américaine. 

La surveillance est un enjeu de taille pour les États-Unis face aux flux illégaux qui sont en hausse. Pendant l’Administration Trump (de 2017 à 2021), les discours sur la construction du mur frontière étaient très médiatisés, mais les effets ont été peu significatifs (avec 600 km de mur construits ou renforcés). Si Biden s’était engagé à ne pas poursuivre la construction du mur, fin 2023, l’administration Biden a relancé le projet. 

Des technologies modernes sont déployées comme les caméras infrarouges à vision nocturne ou encore les capteurs sismiques. Cependant, l’usage de ces dispositifs a pour conséquence de déplacer les routes migratoires vers des secteurs moins gardés, mais où les risques pour les migrants sont plus élevés. Ces forteresses technologiques ont un prix. La police des frontières (la Border Patrol) représente un budget de 4,9 milliards de dollars pour les États-Unis. Les dépenses à l’échelle des villes de passage sont également énormes. À titre d’exemple, la frontière à Tijuana est constituée de trois barrières : une métallique, une constituée de deux murs de béton avec des miradors et enfin la dernière équipée de caméras infrarouges et de détecteurs de mouvements.

 

… mais qui reste une des frontières les plus dynamiques au monde

Malgré la militarisation de la surveillance de la frontière, les accords d’échanges commerciaux, les logiques de fonctionnement métropolitain des villes jumelles et l’asymétrie de développement entraînent des flux permanents de personnes et de marchandises. Avec l’application de l’ALENA, le trafic de marchandises entre les Etats-Unis et le Mexique ne cesse d’augmenter. Les relations sont particulièrement importantes entre les doublets urbains transfrontaliers à l’image de Calexico et Mexicali ou encore San Diego et Tijuana. En ce qui concerne les flux de personnes, on recense un grand nombre « d’excursionnistes frontaliers » qui dépensent au total des milliards de dollars aux États-Unis. Ces derniers sont motivés par la fréquentation des malls et supermarchés des villes frontalières, ce qui souligne la dépendance des consommateurs mexicains pour leur approvisionnement. Le trafic de drogues fait également partie de ces flux ambigus qui lient Mexique et États-Unis. 

 

Le rôle des maquiladoras 

L’industrie maquiladora a contribué au développement économique des régions situées de part et d’autre de la frontière. Pour les Mexicains, installer des usines d’assemblage le long de la frontière permet de favoriser le développement d’un espace jusqu’alors périphérique et marginalisé. En 1966, un Plan d’industrialisation de la frontière nord du pays favorise l’installation sur le sol mexicain d’entreprises destinées à utiliser une main-d’œuvre à bas coût pour réexporter vers les US leur production. Parmi ces mesures, la suppression des droits de douane et les exemptions de taxes visent à attirer les investisseurs étrangers. Rodolfo Nelson Barbara fonda en 1965 la première unité de production de ce genre à Mexicali. La répartition des tâches se concrétise par la construction d’usines jumelles (twin plants). Les établissements du Nord rassemblent les fonctions de gestion et d’encadrement. Au Sud, les usines d’assemblage concentrent les fonctions productives. Tijuana-San Diego, Ciudad Juárez-El Paso, Mexicali-Calexico sont des exemples de villes jumelles. 

Cependant, depuis les années 2000, le Mexique doit faire face à la concurrence des nouveaux pays ateliers, notamment de la Chine où les salaires sont moindres. De plus, certains pays Centro-américains entrent aussi dans ce jeu de concurrence. 

 

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Les transformations sociodémographiques au sein de la Mexamerica 

Les opportunités d’embauche et de rémunération plus élevée offertes par l’industrie des maquiladoras sont des facteurs de l’attractivité des Etats frontaliers. Ceci a pour conséquence une croissance démographique incontrôlée. Par exemple, en Basse-Californie, on comptait 50 000 habitants en 1930 contre 3,7 millions en 2020. Pour faire face à cette croissance, des quartiers ont été construits, mais ils restent précaires où manquent les services de base et surtout de distribution de l’eau. 

Les États-Unis subissent également une pression démographique dans le Sud. On y observe une croissance très forte de la population hispanique. Le Nouveau-Mexique est l’Etat avec la proportion de population hispanique la plus importante (48 % de la population). Ces populations représentent un enjeu fort pour les États-Unis, notamment par les transferts bancaires qu’elles effectuent chaque année au profit de leur famille restée au Mexique. 

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Amelie Matray