Au cours des dernières décennies, les économies de marché ont traversé des cycles caractérisés par l’impact croissant des perturbations du secteur financier : recherche de croissance grâce à des bulles sur les prix des actifs, puis récessions déclenchées par leur éclatement. Ainsi, la « financiarisation » du cycle économique a permis à la politique monétaire de dominer dans la gestion des récessions, tandis que la politique budgétaire, qui se manifeste généralement par la génération d’une dette publique inefficace, recule. A cet égard, la crise de 2020 est assez singulière par rapport à la crise financière de 2008-2009, tant sur ses origines que dans le choix des pouvoirs publics de mobiliser les armes budgétaires pour y faire face.
Le parallèle entre la crise des subprimes et la crise sanitaire
La récession induite par la pandémie est sans doute la pire depuis la Grande Dépression des années 1930, mais l’ampleur et les conséquences du choc varient d’un pays à l’autre. En Allemagne et aux États-Unis, la contraction du produit intérieur brut en 2020 est très similaire à celle de 2009 après la crise financière qui a débuté en 2007. En revanche, dans les autres grandes économies européennes (Espagne, France, Italie), la contraction a été trois fois plus importante qu’en 2009, avec des récessions de -8%, -10% et proche de -11% respectivement. De même, au Royaume-Uni, la baisse du PIB (-9,4 %) a plus que doublé par rapport à 2009. La pandémie n’a pas touché tous les pays en même temps et les mesures de confinement ont eu des effets différents selon la spécialisation de la production. Dans le compromis entre sauver le plus de vies possibles et protéger l’économie, l’Europe et les États-Unis n’ont manifestement pas placé le curseur au même endroit.
Ces différences tiennent également à la nature différente des deux crises. La crise de 2008-2009 a été la crise « traditionnelle » de l’économie de marché moderne, avec une bulle financière déclenchée par un système financier dysfonctionnel et mal régulé alimentant une surchauffe des secteurs financier et immobilier. Cette dernière, caractérisée par une inflation excessive des prix des actifs, explique en partie les bonnes performances de croissance des États-Unis, de l’Espagne et du Royaume-Uni avant la crise. Mais l’effondrement de la valeur des actifs a à la fois paralysé le système financier et renversé les attentes dans d’autres secteurs de l’économie, entraînant une contraction de la production. En réponse à la récession économique de 2020, les pouvoirs publics de différents pays ont adopté des mesures plus ou moins sévères pour imposer des restrictions à la production, à la consommation… qui ont violemment contracté à la fois l’offre et la demande. Si la crise de 2008-2009 est une crise traditionnelle de correction des excès du capitalisme, celle de 2020 est une crise d’« automutilation » de l’économie, motivé par l’objectif de limiter autant que possible les interactions sociales…
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Eviter les erreurs du passé …
Quel que soit le pays, toutes les mesures budgétaires déployées en réponse à la crise des subprimes étaient alors considérées comme inédites, extraordinaires et historiques…
A cette époque, les soutiens budgétaires et les mesures de relance de la France s’élevaient à 26 milliards d’euros, dont 10,5 milliards d’euros investis, 1,2 milliard d’euros subventionnés par le secteur immobilier et 600 millions d’euros subventionnés par l’industrie automobile. Aux États-Unis, le plan de 825 milliards de dollars représente environ un tiers des réductions d’impôts, ainsi que les secteurs de l’éducation, des infrastructures, du système de santé, des allocations de chômage et de l’énergie.
Cependant, un aperçu des montants promis pour lutter contre la pandémie met en évidence une distinction très nette des politiques budgétaires mobilisées face aux deux crises, les masses budgétaires engagées pour faire face à la crise sanitaire ont très largement dépassé celles mobilisées lors de la crise financière. En France, le soutien budgétaire a représenté 3,1 % du PIB en 2020 et 3,4 % en 2021 (contre 1,3 % en 2008-2009) : autour de 75 (en 2020) et 82 (en 2021) milliards d’euros de dépenses supplémentaires ont été injectés, alloués aux mesures d’activité partielle et de soutien aux entreprises. Aux Etats-Unis, les plans de soutien (9,1 % du PIB en 2020 et 12,5 % en 2021) des administrations Trump et Biden ont consacré sur deux ans 1400 milliards d’aides aux entreprises et 1300 milliards d’aides aux ménages. Au total, si l’engagement budgétaire a été équivalent dans les deux crises en Allemagne, il a doublé aux États-Unis, et triplé, voire davantage, dans les autres pays.
Pourtant, la crise sanitaire semble avoir retenu les leçons des failles de la gestion budgétaire de crise de 2008-2009. Au niveau de l’UE en particulier, le cap a changé. En 2008, sous les auspices du pacte de stabilité et de croissance de Lisbonne, la Commission européenne a annoncé une modeste aide de 1,5 % du PIB de l’UE, qui a été décomposé en 1,2 % de la relance planifiée au niveau national et seulement 0,3 % de financement propre de la part de l’UE. En 2020, le Next Generation EU Plan, adopté par le Conseil européen le 21 juillet 2020, lève le tabou et alloue 750 milliards d’euros pour la période 2021-2023, dont 360 milliards d’euros (2,7% du PIB de l’UE) ) prêts et subventions non remboursables de 390 milliards d’euros (2,9 % du PIB de l’UE) financés par des prêts européens. Le financement de cette dernière, sans envisager une union budgétaire, représentait jusqu’alors une petite révolution au sein de l’UE alors que la question du fédéralisme budgétaire et de la mutualisation des dettes avait toujours été évitée.
Or, contrairement à la gestion de la crise de 2008-2009, les plans d’aides de l’après-crise sanitaire ont montré que même s’il existe des différences notables entre les pays européens et les États-Unis, les aides aux entreprises sont nettement supérieures aux aides aux ménages. Les premiers ont bénéficié du chômage partiel ou de la « nationalisation » des salaires, tandis que les seconds ont donné des résultats mitigés basés sur des aides directes aux entreprises. Les États-Unis se démarquent en dépensant deux à trois fois plus que l’Europe en soutien direct aux entreprises. Enfin, les politiques budgétaires ont été beaucoup plus agressive pendant la crise sanitaire qu’elle ne l’était pendant la récession post-subprime. La question est finalement de savoir si les résultats sont là.
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Un bilan encourageant par rapport à la crise financière
En 2020, les déficits publics augmenteront plus fortement qu’en 2009, mais en 2021 ils sont souvent plus faibles qu’en 2010. Il convient également de noter que l’évolution du ratio dette publique/PIB après la pandémie sont très souvent plus faibles qu’après la crise des subprimes. En effet, les mécanismes qui sous-tendent les variations des taux d’endettement publics sont très différents. Les montants engagés en 2008-2009 étaient modestes et certainement insuffisants dans l’UE. Puis, fin 2010 et début 2011, on a assisté à un retour brutal à l’austérité en lien avec la crise des dettes souveraines. Par la suite, le PIB, dénominateur du taux d’endettement public, a été doublement affecté. D’abord, la contraction s’est insuffisamment ralentie en 2009, puis la croissance a ralenti en raison d’un retour à l’austérité.
A l’inverse, face à la crise sanitaire, le plan de soutien a été non seulement massif, mais permanent. Parce que les mesures n’ont été que partiellement abandonnées lorsque l’épidémie a ralentie, elles ont été rapidement réintroduites en cas de rechute. Après coup, les ratios d’endettement ne sont pas pires qu’ils ne l’étaient après la crise financière. Malheureusement, en 2019 les ratios étaient déjà bien plus élevés qu’à la veille de la crise financière, et dans la plupart des cas proche ou (très) supérieur à 100% du PIB, atteignant souvent des niveaux inédits à la sortie de la crise sanitaire. Une étude de Langot et Tripier confirme que dans le cas de la France, les plans de sauvetage ont eu un impact positif sur le taux d’endettement public. Sans ces mesures, la dette publique aurait atteint 145% du PIB au T3 2020, contre 113%. Le PIB observé était déjà revenu aux niveaux d’avant la crise à la fin de 2021, mais aurait été inférieur de près de 10 points de pourcentage sans politiques de soutien, selon l’étude. Enfin, nous mesurons rétrospectivement l’énorme gaspillage illustré par les mesures d’austérité rapides dans l’UE d’après-crise de 2008-2009. Dans le cas de la France, cela a contribué à une stagnation substantielle du PIB. Entre 2015 et 2016, la dette nationale a augmenté lentement mais régulièrement, augmentant de près de 10 points de pourcentage entre 2011 et 2019.
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Pour conclure, il semble entendu que la récession provoquée par la crise sanitaire a été bien mieux gérée que celle qui a fait suite à la crise financière, lors de laquelle à l’insuffisance de la réponse budgétaire (particulier en caquent Europe) ont succédé des politiques de réduction des déficits aberrantes, virant pour certains pays de l’UE à la cure d’austérité dévastatrice.
Cet article est une synthèse du chapitre 2 (Plans de relance budgétaire : quelle efficacité ?) de l’Economie mondiale 2023 du CEPII. Il a été écrit par Jérôme Héricourt.