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La violence libératoire de Chris Burden

Sommaire

Le thème au programme cette année pour l’épreuve de culture générale pour les classes préparatoires commerciales est “la violence”. Cette notion est intéressante dans la mesure où elle peut recouvrir des actes, des situations plurielles et avoir un impact sur l’individu. Un des axes intéressants pour aborder la violence est sa représentation, et notamment la possibilité même de sa représentation. C’est ce que nous allons tenter d’étudier dans une série d’articles consacrés à la représentation de la violence dans les arts et les lettres. 

Aujourd’hui, nous nous intéresserons aux performances très violentes de Chris Burden et la manière dont celui-ci utilise la violence, pour faire droit à sa prise de conscience dans un mouvement de « libération ».

 

Qui est Chris Burden ? 

Chris Burden est un artiste américain, notamment performeur mais aussi sculpteur, né en 1946 à Boston et mort en 2015 à Topanga Canyon. Il a notamment mis au cœur de sa pratique artistique la mise en danger personnelle à travers des performances bien souvent extrêmes, ayant pu frôler plusieurs fois la mort. Ses performances ont donc bien sûr à chaque fois soulevées beaucoup de questions et de critiques, Chris Burden étant par exemple analysé par la presse comme quelqu’un de “suicidaire et incontrôlable”. 

Néanmoins, la violence n’est selon ses dires pas gratuite : il ne s’agit pas de se “suicider”, ou même d’approcher la mort, mais bien plutôt d’utiliser la violence comme objet même de l’art, comme objet de performance. Il s’inscrit ainsi dans le mouvement de l’art corporel, qui tente de dénoncer la violence quotidienne (vis à vis de l’actualité, ou alors de mécanismes sociaux plus complexes), en la montrant ouvertement au public afin de l’interroger sur son “invisibilisation” dans d’autres médias : pourquoi la violence vous choque-t-elle lors de la performance quand elle peut être bien pire dans la vie en générale, ou derrière votre poste de télévision (par exemple avec les guerres). Nous pouvons ainsi le rapprocher de l’actionnisme viennois (avec par exemple la figure d’Hermann Nitsch, qui organise de grand rituels centrés autour de sacrifices d’animaux) ou de Marina Abramovic. De plus, la violence est considérée comme objet même de l’art : il s’agit également de la banaliser pendant le moment de la performance, de la considérer comme phénomène intellectuel, réflexif, et non plus comme un simple acte de violence qui se déroulerait communément : ici la violence est contrainte, contrôlée par Chris Burden, il ne faut pas s’attarder sur l’horreur du geste lui-même, mais bien plutôt sur sa portée.  

 

Lire plus : la violence pulsionnelle dans les performances de Marina Abramovic

 

La représentation du geste essentiel de la violence 

Une de ses performances les plus connues est Shoot, réalisée en 1971. Dans celle-ci, un de ses amis lui tire dessus, dans le bras, avec un rifle à 15m de distance. La performance “existe” encore aujourd’hui grâce à un enregistrement vidéo de 8 secondes. Ce qui est au coeur de la performance est donc, comme nous avons pu l’évoquer précédemment, la violence considérée comme objet artistique. C’est le geste de tirer dans son bras qui est “l’idée” de l’œuvre, et qui nous invite à réfléchir. 

En effet, dans cette performance, Chris Burden n’avait aucun moyen de se défendre, il était presque seul dans cette pièce aux murs blancs et ne pouvait se cacher. Il met ainsi en scène un acte de violence entre un tireur et une victime qui ne peut se défendre. De plus, rien ne peut non plus permettre au spectateur de se cacher lui-même le regard : on ne peut détourner les yeux, cette scène apparaît comme un symbole de l’acte violent.

Ainsi, selon les sources, cette performance a été voulue comme une dénonciation de la guerre au Vietnam ou des fusillades aux Etats-Unis. Ainsi, la violence ici comme acte artistique se double immanquamment d’un geste politique : cette performance apparaît comme la consécration du geste violent qu’on peut retrouver dans différents évènements (guerres, fusillades…) et qui est ici portée à ses nues, dans un geste de tir presque symbolique. Il s’agit de débarrasser ce geste de tout contexte pour atteindre son essence même, et faire donc droit à toute les sensations que l’on peut éprouver dans la vie courante face à de tels évènements : débarrassé de tous les médias qui “invisibilisent” cette violence (journaux, télévision), en nous en éloignant, ici le geste fondateur de la violence résonne d’autant plus qu’aucune porte de sortie n’est ouverte pour notre regard : nous sommes contraints de contempler cruellement le geste violent. 

 

Chris Burden, Shoot, 1971

 

Une libération contre le geste violent

Une autre performance très célèbre de Chris Burden est Transfixed, où il se cloue à l’arrière d’une Coccinelle Volkswagen (23 avril 1974), comme s’il était crucifié. En se mettant en danger et par sa souffrance, il a voulu sensibiliser le public à la société de consommation et à la violence de la société moderne. Il explique ainsi que cette crucifixion sur une Volkswagen, qui veut dire littéralement « voiture du peuple » en allemand, représentait un acte libératoire. En effet, Burden dira que pour les spectateurs, quand il est sorti crucifié sur la voiture du garage dans lequel elle était garée, c’était comme une “apparition”, ressemblant à une crucifixion de Jésus Christ : à travers cette performance, il s’agit de “sauver” le public comme Jésus l’avait fait (et ce n’était donc pas un acte blasphématoire). On peut ainsi citer Josh Baer, critique d’art,  qui dira à propos de cette performance :

En étant confronté à ce genre de douleur et de détresse, Burden peut les rendre plus familiers et, en retour, démystifier l’horreur de tels événements en les faisant connaître à lui-même et au public. En conséquence, les craintes du groupe que la société opère pour maintenir les individus dans l’ordre se révèlent et rendent impuissante l’idée selon laquelle le corps humain est réglementé par la loi.

Par cette action, il cherche ainsi à rendre compréhensible la violence en la démystifiant. 

En conclusion, Chris Burden est une figure très importante et facilement mobilisable concernant la violence : celui-ci a fait de cette dernière l’objet même de son travail artistique, afin d’en atteindre l’essence et ainsi la révéler, dans une critique des institutions et de la société de consommation. Il y a un retournement dans l’usage de la violence : celle-ci n’est plus utilisée par la société contre les individus mais bien plutôt par l’individu lui-même et cela permettrait d’atteindre, selon Chris Burden, une forme de “libération”. 

 

Lire plus :  Interview avec Anne-France Grenon (correctrice et auteure) sur le thème de la violence

 

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