Le 2 août 2022, la présidente de la Chambre des représentants des États-Unis, Nancy Pelosi, fait escale à Taïwan dans le cadre d’une tournée en Indo-pacifique. Aussi connue sous le nom de « République de Chine » ou « Taipei chinois », cet État souverain est officiellement revendiqué par la Chine. Dès lors, l’annonce de la visite d’une représentante états-unienne sur un espace aussi tendu a fortement contrarié le gouvernement chinois qui ordonne aux Etats-unis de faire annuler la visite. Après une nuit de tension marquée par des manœuvres militaires et des menaces chinoises envers Taïwan, Nancy Pelosi réussit tant bien que mal à rencontrer la présidente taïwanaise Tsai-ing Wen. On comprend par cet événement pourquoi Isabelle Saint-Mézard affirme que l’Indo-Pacifique cristallise une “ anxiété géopolitique “ (Isabelle Saint-Mézard, Géopolitique de l’Indopacifique – 2022). L’indo-pacifique semble, en effet, devenir le nouvel espace majeur des tensions géopolitiques entre la Chine et les Etats-Unis.
Qu’est-ce que l’Indopacifique ?
Dans une définition large, « L’Indopacifique » désigne l’espace situé entre l’Océan Indien et l’Océan pacifique mais cette définition souvent réduite à la partie du monde composée de l’Asie du Sud-est et de l’Océanie. Le terme est employé pour la première fois par le Premier ministre Japonais Shinzo Abe en 2007 pour souligner son intérêt économique croissant. Il est important de souligner que l’Indopacifique est avant-tout un concept géopolitique (et non géographique) occidental (il n’est pas reconnu par la Chine).
L’Indopacifique prend un intérêt réel dans la stratégie des États avec la montée en puissance de la Chine depuis 2005 qui cherche à s’y affirmer comme “la quintessence de la puissance indopacifique” (Rory Medcalf, L’Indopacifique aux couleurs de la Chine, 2019 ). Depuis lors, force est de constater une convergence des puissances vers la région et en particulier des États-Unis. En 2011, ces derniers quittent progressivement le Moyen-Orient sous l’impulsion du président Barack Obama et de sa Secrétaire d’État Hillary Clinton pour s’établir en Indo-pacifique (Stratégie du pivot vers l’Asie). La stratégie américaine, et globalement de l’Occident, dite de « containment » vise ainsi à contenir l’influence chinoise dans la région.
Un espace crucial pour la géo-économie mondiale
Tout d’abord, l’Indopacifique est essentiel pour l’économie des deux Etats. En effet, l’espace est composé de nombreuses routes commerciales par lesquelles transites des hydrocarbures (pétrole, gaz, métaux rares …) et des biens manufacturés (micro-processeurs, semi-conducteurs, textiles, médicaments …). Parmi celles-ci on a le canal de Suez, de Bab-el-mandeb, d’Ormuz, du Panama et surtout le détroit de Malacca par lequel passe entre 40 et 50% du commerce mondial. Ainsi, pour les Etats-unis, l’un des principaux enjeux est celui de garder ces voies « libres et ouvertes » (Département d’Etat des Etats-unis) afin d’y maintenir une libre circulation face à l’influence chinoise. De l’autre, la Chine revendique de nombreuses île en mer de Chine (Îles Matsu, Quemoy, Paracels, Senkaku, Diaoyu, Spratleys, Taiwan …), l’objectif étant ainsi d’étendre sa zone d’influence et donc d’assurer par elle-même ses approvisionnements. Ces tensions s’illustrent à travers le “dilemme de Malacca” (Hu Jintao). Le détroit de Malacca, centrale pour les approvisionnements chinois, est contrôlé en majorité par des puissances étrangères (Singapour, Malaisie, états-unis). La Chine utilise donc une stratégie dite du “collier de perles” (concept étatsunien – utilisation du projet des nouvelles routes de la soie, investissement dans des infrastructures étrangères) afin de contourner la route commerciale par l’indo-pacifique. En somme, l’Indo pacifique est source de tension du fait de son importance économique.
la rivalité idéologique entre les Etats-Unis et la Chine
De plus, l’Indopacifique s’inscrit également dans une guerre idéologique entre la Chine et les Etats-Unis. Les Etats-Unis y cherchent à contenir l’influence chinoise tandis que la Chine cherche à y développer son « faisceau de relations » (Immanuel Wallerstein) à travers son projet des « Nouvelles routes de la soie » (Asie, Afrique, Moyen-Orient …) . Dans les faits, cette guerre idéologique est visible entre l’opposition entre le consensus de Washington et celui de Pékin, le premier étant libérale, pro-démocratie et autorisant les ingérences américaines tandis que le second est basé sur un principe de non-ingérence et de respect mutuel. On peut illustrer ceci de manière concrète avec la guerre économique sino-américaine (2018-maintenant). En 2017, Donald Trump annonce le retrait des États-Unis de l’accord de libre échange du Pacifique (trans-pacific Partnership – TPP) qu’il qualifie de « terrible ». Cette décision a pour but de privilégier des accords bilatéraux donc plus enclin à influencer la politique interne des Etats avec lesquels ceux-ci sont négocié .Néanmoins, ce retrait est assez contestable car elle a permis à la Chine d’augmenter son influence à travers la signature d’un accord régional : le Regional Comprehensive Economic Partnership (RCEP – 2022). La Chine étend par cet accord aussi bien ses relations économiques que ses normes en Indopacifique. In fine, l’objectif des deux puissances est donc d’étendre leur influence idéologique.
La prochaine grande guerre dans l’Indopacifique ?
Enfin, conséquence évidente des conflits idéologiques, l’Indo pacifique est en proie à une militarisationaccrue. Selon Graham Allison dans Vers la guerre ? (2019), il faut craindre “un piège de thucydide” c’est-à-dire une guerre ouverte entre les Etats-Unis (puissance ancienne et établie) et la Chine (puissance nouvelle mais qui monte assez en puissance pour détrôner la puissance établie). Dès lors, on constate que l’Indo-Pacifique tend à être l’espace le plus à risque d’héberger la prochaine guerre globale, en témoigne l’augmentation des forces militaires dans la région. Du côté américain, cet militarisation passe surtout par des coopérations militaires avec les puissancesrégionales pro-occidentale comme AUKUS (Australie, Royaume-Uni et Etats-Unis), FIVE EYES (l’Australie, du Canada, de la Nouvelle-Zélande, du Royaume-Uni et des États-Unis.) ou le QUAD (Dialogue quadrilatéral pour la sécurité – les États-Unis, le Japon, l’Australie et l’Inde) mais également par la présence de flottes (Ve et VIIe) et de bases militaires (Guam, Djibouti, Diego Garcia …) dirigées par le «commandement Indo-Pacifique des États-Unis » (USINDOPACOM). Tandis que du côté chinois, on constatera surtout une hausse dubudget militaire (une hausse de 7,2% du budget de la Défense pour 2023 7,1% en 2022), soit l’augmentation la plus forte depuis 2019.) et tout particulièrement celui dédié à la marine avec en 2022 la mise à l’eau d’un troisième porte-avions. En outre, rappelons évidemment que les deux pays sont détenteurs de la Bombe nucléaire. Dans son ouvrage, Les leçons d’une guerre (2023), François Heisbourg souligne que la guerre en Ukraine pourrait donner des idées à la Chine dans le cadre de ses tensions avec Taïwan. Ainsi, l’idée d’une guerre en Indopacifique ne peut pas être négligée.
En conclusion, l’Indo-Pacifique émerge comme un espace géopolitique majeur où se concentrent lestensions entre la Chine et les États-Unis. Cet espace revêt une importance cruciale sur les plans économique, idéologique et militaire. A noter que la question de l’Indopacifique revient fréquemment en prépa, il en tientdonc d’approfondir ce sujet.