Depuis son ascension à la tête du IIe Reich en 1888, l’héritier de la maison Hohenzollern s’est efforcé de faire entrer la jeune Allemagne dans la mondialisation à l’aide d’une Realpolitik, puis d’une Weltpolitikoffensives, notamment dans les marchés industriels et chimiques. Cette politique est presque à l’image du militarisme de son régime. Cependant, la mondialisation de l’Allemagne a quelquefois buté contre ses propres excès de maladresse ou contre ses insuffisances diplomatiques.
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Guillaume II devant l’opinion publique (1906-1907)
Le départ du chancelier Bismarck en 1890 met fin à la Realpolitik allemande. A ce moment, les usines de la Ruhr tournent à plein régime et la compétitivité germanique n’est plus à prouver en Europe. C’est alors que le prince Philipp d’Eulenburg et d’Hertefeld (appelons-le prince Philipp, ici) devient un personnage éminent aux côtés du Kaiser.
Sauf qu’en 1906, Guillaume II doit vivre avec des rumeurs concernant son cercle proche, et en particulier le prince Philipp. Des journalistes anti-autoritaristes ont fortement soupçonné le prince de penchants homosexuels, ce qui était un délit à cette époque très portée sur la virilité militaire et conservatrice. Alors que Philipp est disgracié par l’empereur, l’Allemagne poursuit sa politique expansionniste sous la moquerie des journaux des autres puissances.
Un complexe d’infériorité ?
Guillaume II est déjà décrit comme un monarque au caractère indécis, mais surtout très superbe. Un tableau de Max Koner pour l’ambassade d’Allemagne à l’hôtel Beauharnais l’atteste. Nous y voyons le Kaiser, en tenue militaire somptueuse, avec la même posture…que Louis XIV. Toute cette iconisation pourrait presque rappeler une sorte de complexe d’infériorité qu’il tient devant les grandes puissances mondialisées d’Europe. Et pour cause, il a toujours souligné son caractère prussien par opposition à l’héritage anglais qu’il tient sa mère (Victoria du Royaume-Uni, elle-même fille de la fameuse reine Victoria). Vous voulez une preuve de ce complexe ? En voici un échantillon :
1908 : un échec de communication
En 1908 éclate une affaire qui résonnera dans l’Europe entière. A cette époque, les impérialismes européens opèrent dans la colonisation de l’Afrique, notamment dans le Transvaal, où les Britanniques ont fait la guerre aux Boers (1880-1881 ; 1899-1902) afin de contrôler leurs mines d’or ainsi que leur territoire.
C’est alors que l’Allemagne tente de s’imposer précipitamment sur ce grand concert international. En cette belle année 1908, donc, ayant compris l’importance de la presse, le monarque allemand accorde un entretien auDaily Telegraph, un grand journal britannique toujours actif aujourd’hui. Cet entretien avait pour objectif de faire oublier l’affaire Eulenburg en créant une proximité avec le peuple, mais aussi de faire la publicité du régime allemand à l’ère des médias de masse.
Il faut dire que les système autoritaires ne sont plus de la dernière tendance en Europe. Guillaume II avait alors compris que pour mener une politique de grande envergure, il fallait toucher l’opinion publique et communiquer auprès d’elle.
Le Kaiser mit en place une véritable « économie de l’attention », pour reprendre le concept de l’économiste Georg Franck. Et effectivement, comme tout grand monarque spectaculaire, Guillaume II ne rate jamais ses entrées. Devant le journaliste, Guillaume II, dans un élan oratoire qui a surpris tout le monde, a déclaré que les plans de l’armée britannique ayant permis de mater les Boers avaient été produits par le Grand état-major du Reich à la demande de Londres.
Le Kaiser prend donc une partie du succès britannique dans le Transvaal à son compte, sans même que cette information ne soit fondée. Cette déclaration a de quoi choquer par son irrévérence et sa fausse transparence. Cela fera même dire au ministre von Bülow que ces propos étaient une « énormité ».
Mais il faut croire que le monarque allemand était gourmand cette journée là, car il affirma avec la même assurance que les Français et les Russes avaient sollicité son pays pour saper l’avancée britannique dans le Transvaal. Ce scandale créa d’ailleurs une vague de germanophobie jusqu’au Japon, puisque, dans un souci de détail, il a précisé au journaliste que la flotte du Reich ne ciblait pas la Royale Navy, mais l’Extrême-Orient. Ce discours fut compris par les dignitaires du « Pays du soleil levant » comme une provocation assumée. L’ « affaire du Daily Telegraph » était née, et elle a porté préjudice à son auteur durant tout son règne.
Le regard posé sur le Maroc : un semi-échec (1905-1911)
L’Afrique du Nord, c’est la porte d’entrée vers tout le continent africain d’un point de vue européen. Maintenir une influence dans cet espace signifie ouvrir un marché méditerranéen diffusant tous les produits exotiques du large hinterland africain. Le problème ? Les côtes méditerranéennes de ce continent sont contrôlées par la France (Algérie, Maroc, Tunisie), la Grande-Bretagne (Egypte) et l’Empire ottoman (Libye). Les marchés coloniaux sont réservés aux puissances « protectrices » de ces territoires, ce qui est intolérable pour Guillaume II, qui voit la dernière porte, le Maroc, se refermer.
En 1905, il se déplace à Tanger pour protéger les intérêts allemands face à la colonisation française. Fidèle à lui-même, il traverse spectaculairement Tanger à cheval, entouré d’un magnifique cortège. Il prononce ensuite un important discours retranscrit par l’agence HAVAS. Il prône la souveraineté chérifienne, ouverte à la concurrence pacifique de toutes les nations, sans monopole et sans annexion, sur un pied d’égalité absolue. Le « coup de Tanger » aurait paru bien maigre si Guillaume II n’avait pas menacé la France d’une guerre imminente.
La conséquence de ce discours prend quelque peu l’Allemagne de court. Au lieu de voir se concrétiser un accord bilatéral entre les deux nations, cette crise active une conférence internationale, celle d’Algésiras, en 1906. L’affaire concerne alors les Britanniques et les Américains, qui… donnent raison à la France.
l’Allemagne se retrouve alors décrédibilisée sur la scène du monde. Mais Guillaume II ne ressort par complètement perdant de cette affaire. Il obtient un accord commercial bilatéral avec le Maroc en 1909 ainsi que le renvoi du Ministre français des Affaires Etrangères Delcassé.
En 1911, le Maroc n’est pas encore un protectorat français, et il est exposé à des agitations internes. Le sultan est menacé par une révolte et fait appel aux troupes françaises. Guillaume II y voit une opportunité : sous prétexte de la protection de ses ressortissants, l’Allemagne envoie une canonnière (SMS Panther) dans la baie d’Agadir, dont la rade est pourtant fermée au commerce étranger. Ce dont ne s’attendait pas Guillaume II, c’était la vive coordination diplomatique franco-britannique.
Les deux alliés jouent le jeu de la négociation et de l’apaisement, car ils savent qu’une déclaration de guerre est en jeu. Les Allemands, eux, espéraient éteindre l’ambition française au Maroc et affaiblir l’Entente franco-britannique. Echec à nouveau des prédictions du Reich. Les Allemands, qui commencent à avoir l’habitude, trouvent un compromis avec la France. Guillaume II obtient alors 272 000 km2 de territoires à l’est du Cameroun allemand. La compensation, assez conséquente, est censée apaiser la menace allemande. Mais d’un autre côté, cette compensation est amèrement reçue, car le “coup d’Agadir” a précipité l’instauration d’un protectorat français sur le Maroc.
En somme, que dire ?
Guillaume II a accéléré la politique impérialiste de l’Allemagne qui était bien en retard face aux autres puissances. Sa politique étrangère a fait s’entremêler cet objectif précipité et militarisme guerrier et ambitieux. L’Allemagne s’est alors imposée sur la scène internationale comme une puissance avec qui il faut négocier au risque d’enclencher une guerre, ce qui lui a permis d’obtenir des compensations intéressantes. Cependant, ces compensations étaient bien en-deçà de ses espérances. La politique agressive du Kaiser isola donc l’Allemagne sur le plan diplomatique. En fait, l’Allemagne a expérimenté les limites du droit international qui vient de se mettre en place depuis la fin du XIXe siècle. Pourtant, sa politique étrangère entra en collision avec l’Entente cordiale franco-britannique. Pourtant, ce n’est pas la mondialisation d’un droit commun qui va enclencher la Grande Guerre, mais un jeu d’alliance.