Le Jardin des Supplices est une œuvre dérangeante. Mais elle est au service de l’objectif que cherche à atteindre Mirbeau. En choquant le lecteur, il espère pouvoir lui faire réaliser à quel point la société occidentale est cruelle. Cette référence est particulièrement intéressante à exploiter dans une colle de culture générale. En effet, elle permet d’aborder les thèmes de la violence et de la cruauté de l’homme. Elle pose aussi une question essentielle : qui sont les vrais barbares ?
Octave Mirbeau, un auteur engagé
Octave Mirbeau est un écrivain, critique d’art et journaliste français. Il débute sa carrière en tant que secrétaire particulier d’un général bonapartiste, Dugué de la Fauconnerie. Au fur et à mesure, il commence à écrire pour plusieurs journaux différents, mais avec lesquels il n’est pas d’accord sur la ligne éditoriale. Certaines mauvaises expériences, notamment une liaison conflictuelle avec Judith Vimmer, ont renforcé son sentiment d’injustice et de désespoir face à la cruauté du monde. C’est cette vision pessimiste qu’il transmet dans les premiers romans qu’il publie, comme Le Calvaire (1886) ou Sébastien Roch (1890). En parallèle, il se forge une opinion politique affirmée en côtoyant des cercles anarchistes. Il devient alors très critique des idéologies nationalistes et militaristes.
L’affaire Dreyfus va être pour Mirbeau un moment de fort engagement politique. En effet, il se range parmi les dreyfusards et dénonce l’antisémitisme naissant en France. A cette période, il se rapproche entre autres de Zola, qu’il accompagne au procès de Dreyfus à plusieurs reprises.
C’est dans ce contexte social tendu qu’il publie Le Jardin des Supplices, en 1899. L’ouvrage est un patchwork de différents textes qu’il avait écrits auparavant, mais qui se rejoignent tous dans la volonté de dénoncer la barbarie du monde occidental.
La loi du meurtre
Dans la première partie, il développe ce qu’il appelle la “loi du meurtre”. Il s’agit d’un principe universel, qui commande les relations entre êtres vivants. Une partie de cette loi est naturelle, puisque les hommes tuent pour se nourrir, et donc subvenir à des besoins vitaux. Cependant, elle est aussi renforcée par des facteurs culturels. En effet, il existe ce que Mirbeau appelle une “universelle folie du meurtre” dans les sociétés qui se réclament “civilisées”. Dès le plus jeune âge, l’homme est habitué à la cruauté.
Les sociétés “civilisées” se vantent d’avoir réduit le crime et la violence. Mais Mirbeau dénonce leur hypocrisie, car ces pulsions, loin d’avoir disparu, ont été seulement redirigées. Les activités telles la chasse, les duels ou les sports violents sont des occupations qui exacerbent cette cruauté inhérente à l’homme. Néanmoins, elle semble être pardonnée dans ces contextes-là.
Mirbeau va jusqu’à déclarer que le meurtre est la base de tout gouvernement. D’une part, les politiques des Etats s’appuient sur une marginalisation de certains groupes sociaux. Ainsi, ils participent à leur élimination de la vie sociale et contribuent à leur mort prématurée. D’autre part, l’Etat s’est érigé comme une institution qui pacifie les relations entre citoyens.
Ainsi, il existe pour empêcher le meurtre et le crime. Mais si le crime n’existait plus, l’Etat n’aurait plus d’utilité. Si les relations entre citoyens étaient pacifiques, ils n’auraient pas besoin de faire appel à une instance supérieure pour régler leurs problèmes.
De même, l’auteur entretient un regard très critique quant à la colonisation. Ces entreprises démontrent encore une fois que la “loi du meurtre” est omniprésente au sein des sociétés “civilisées”. Les véritables barbares sont les colons, qui assassinent sans scrupules des populations entières. On retrouve aussi ici l’idée que la cruauté est redirigée.
En effet, ces meurtres impitoyables vont se réaliser loin de la société dans laquelle évoluent les colonisateurs. Ils vont afficher une image trompeuse de personnes “civilisées” lorsqu’ils interagissent avec leurs pairs. Cependant, dès qu’ils se retrouvent dans un endroit lointain, où les règles et lois ne s’appliquent plus, leur violence se déchaîne.
Le Jardin des Supplices, lieu de toutes les horreurs
Dans la deuxième partie du roman, Mirbeau présente un récit qui se déroule dans le jardin des supplices. Après une affaire de corruption, le narrateur se fait envoyer à Ceylan. Il y rencontre Clara, une jeune Anglaise, qui s’extasie devant les pires horreurs que l’on peut faire subir aux hommes. Elle entraîne le narrateur à la découverte du jardin des supplices.
Il s’agit d’un lieu où l’on retrouve une explosion de couleurs et les plus belles beautés de la nature. Il y a des plantes exotiques, des fleurs aux parfums entêtants et des arbres qui s’étendent à perte de vue. Cependant, cet endroit abrite un bagne, dans lequel les prisonniers subissent des supplices abominables.
Clara prend du plaisir à leur infliger cette torture. Elle éprouve une excitation proche du plaisir sexuel lorsqu’elle le fait. La jeune femme va transmettre ce goût pour la cruauté au narrateur.
Une barbarie dissimulée
A travers ce jardin fictif, Octave Mirbeau illustre la thèse qu’il a développée dans la première partie de son ouvrage. A première vue, le jardin ressemble à un paradis terrestre. Cependant, des horreurs s’y produisent quotidiennement. Ceci peut donc être assimilé à une métaphore de l’Europe.
Le continent apparaît comme “civilisé” et pacifié du point de vue des relations sociales. Mais les institutions judiciaires et pénales reproduisent des schémas profondément injustes. De même, la colonisation perpétuée par les Européens dévoile un esprit de cruauté et des pulsions sanguinaires. La violence est donc loin d’avoir disparu, et les graines de “civilisation” qui ont été semées peinent à la camoufler.
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