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Un classique de la sociologie : Les Héritiers de Bourdieu et Passeron

Sommaire

Pour comprendre la sociologie et ses objets d’étude, bien connaître les thèses et analyses de sociologues « classiques » est essentiel. Dans cet article, nous te proposons de nous plonger dans le livre, publié en 1964, de Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron intitulé Les Héritiers sous-titré Les étudiants et la culture.

 

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Les inégalités sociales face à l’éducation

Pour expliquer le taux de mortalité scolaire, l’origine sociale est la plus déterminante, beaucoup plus que les obstacles économiques, le sexe ou l’âge, ou l’affiliation religieuse. Les diverses couches sociales sont très inégalement représentées dans l’enseignement supérieur et les enfants des classes inférieures et moyennes se concentrent dans certaines disciplines, sont souvent en retard ou piétinent dans les études. Par exemple, un fils de cadre supérieur a plus de chances d’entrer à l’université qu’un fils d’ouvrier : si ces statistiques ne sont pas conscientes pour ces enfants d’ouvrier, elles contribuent à forger une image des études supérieures comme avenir « impossible », « possible » ou « normal ».

C’est surtout lors des grands tournants de la carrière scolaire que s’exerce l’influence de l’origine sociale. Les inégalités de l’information sur les études et leurs débouchés, les modèles culturels qui associent certaines professions et certains choix scolaires (le latin par exemple) à un milieu social, la prédisposition socialement conditionnée à s’adapter aux règles et valeurs qui régissent l’Ecole, sont des déterminants du taux de réussite scolaire inégal selon les classes sociales, toutes aptitudes égales par ailleurs.

Enfin, le facteur géographique et le facteur d’inégalité sociale ne sont jamais indépendants : les chances de résider dans une grande ville, où les possibilités d’accéder à la culture sont plus grandes, croissent à mesure que l’on s’élève dans la hiérarchie sociale.

 

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Différentes attitudes à l’égard de l’enseignement selon l’origine sociale

Passeron et Bourdieu remarquent que les étudiants d’origine bourgeoise font plus preuve de dilettantisme (les cours enseignés à l’école sont vus comme un simple plaisir intellectuel, une occupation) dans la conduite des études : plus assurés de garder une place à l’école et en société, ils peuvent sans risque réel manifester un plus grand détachement. De plus, les étudiants les plus favorisés, en fréquentant régulièrement le théâtre, le musée ou des concerts, héritent de savoirs et de savoir-faire, d’un « bon goût » dont la rentabilité scolaire est certaine.

 

Héritage culturel et bonne volonté culturelle

Les lycéens de la bourgeoisie parisienne peuvent manifester une vaste culture acquise sans intention ni effort, alors même qu’ils se défendent de subir la moindre pression de la part de leurs parents, par opposition au milieu petit-bourgeois. Dans ce milieu, les parents ne peuvent rien transmettre d’autre que la « bonne volonté culturelle », autrement dit, l’aspiration à posséder de la culture.

Il faut donc distinguer la facilité à assimiler la culture (qui s’élève à mesure que l’origine sociale s’élève) de la propension à l’assimiler (qui atteint son maximum chez les classes moyennes). Les classes moyennes adhèrent le plus aux valeurs que l’Ecole transmet et qui leur permettent de se distinguer des « classes inférieures » et d’espérer une réussite scolaire et sociale. Elles entendent compenser la dépossession par l’aspiration à la possession.

Finalement, selon Bourdieu et Passeron, si pour les classes populaires et moyennes, l’apprentissage de la culture de l’élite est une conquête chèrement payée, pour les classes supérieures, elle est un héritage qui enferme la facilité et les tentations de la facilité.

Comment faire de l’Ecole la voie de la démocratisation culturelle ?

Selon Bourdieu et Passeron, l’Ecole pourrait devenir la voie de la démocratisation culturelle, si elle ne consacrait pas, en les ignorant, les inégalités initiales devant la culture et si elle n’allait pas jusqu’à dévaloriser la culture même qu’elle transmet (en reprochant par exemple à un travail scolaire d’être trop « scolaire »), au profit de la culture héritée qui ne porte pas la marque de l’effort (et donc du mérite) et qui a, de ce fait, toutes les apparences de la facilité et de la grâce.

 

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Conclusion des Héritiers

Pour les individus originaires des couches les plus défavorisées, l’Ecole reste la seule et unique voie d’accès à la culture. Mais si le concours semble assurer parfaitement l’égalité formelle des candidats, excluant par l’anonymat la prise en considération des inégalités réelles devant la culture, en fait, l’action de l’origine sociale continue de s’exercer, mais par des voies plus secrètes. Les classes privilégiées trouvent dans l’idéologie valorisant la « grâce » ou le « don » de quoi légitimer leurs privilèges culturels, transformés en héritage social.

Ainsi, bien que masqué, le « racisme de classe » peut se manifester. Ceci réussit d’autant mieux que les classes défavorisées vivent leur échec comme un destin personnel.

 

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Nora Lucchesi