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« Le Capital au XXIe siècle » de Thomas Piketty : Résumé détaillé et thèse abordée (2/3)

Sommaire
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Avant toute chose, si cela n’est pas encore fait, il est vivement recommandé de lire la première partie de cet article. Elle présente les concepts à même de faire comprendre la thèse. (La référence économique de la dernière décennie : « Le Capital au XXIe siècle » de Thomas Piketty : Concepts et définitions (1/3)). On poursuit ici la présentation du livre de Piketty. Maintenant que les concepts et définitions sont connus, nous pouvons nous lancer dans au cœur du raisonnement. On suivra le plan du livre pour ce résumé détaillé.

 

Partie 1 : Revenu et capital

Cette partie introduit les notions fondamentales abondamment utilisées par la suite (revenu national, capital, rapport capital/revenu, etc). Elle décrit dans les grandes lignes l’évolution de la répartition mondiale du revenu et de la production. Piketty analyse ensuite l’évolution du taux de croissance de la population et de la production depuis la Révolution Industrielle.

 

Partie 2: La dynamique du rapport capital/revenu (β)

Piketty cherche ici à analyser la façon dont se présente en ce début de XXIe siècle la question de l’évolution à long terme du rapport capital/revenu et du partage global du revenu national entre revenus du travail et revenus du capital. Il présente ainsi les métamorphoses du capital depuis le XVIIIe (passant de foncier et terrien à financier et immobilier). Il cherche ainsi à tirer des leçons de ces expériences historiques afin d’analyser l’évolution possible du rapport capital/revenu et du partage capital-travail à l’avenir.

 

Partie 3: La structure des inégalités

Il s’agit dans cette partie de familiariser le lecteur avec les ordres de grandeur atteints par l’inégalité de la répartition des revenus et du travail d’une part, et de la propriété du capital et des revenus qui en sont issus. Piketty analyse la dynamique historique de ces inégalités en examinant séparément les inégalités face au travail et celles face au capital. Il étudie l’évolution de l’importance de l’héritage dans le long terme. Puis, il analyse les perspectives d’évolution de la répartition mondiale des patrimoines au cours des premières décennies du XXIe siècle.

 

Partie 4: Réguler le capital au XXIe siècle

Dans cette dernière partie, Piketty veut tirer des leçons politiques et normatives des parties précédentes. Il dresse ainsi les contours de ce que pourrait être un Etat social adapté au XXIe siècle. Piketty repense l’impôt progressif sur le revenu à la lumière des expériences passées et des tendances récentes. Finalement, Piketty décrit un impôt progressif adapté au capitalisme patrimonial du XXIe siècle puis compare cet impôt idéal (qualifié “d’utopie utile”) aux autres modes de régulation susceptibles d’émerger (impôt européen sur la fortune, contrôle des capitaux à la chinoise, l’immigration américaine, retour général au protectionnisme). Cette partie traite aussi de la question de la dette publique et de l’accumulation optimale du capital public, dans un contexte de détérioration possible du capital.

Lire plus : Hernando De Soto : Le mystère du capital (Fiche de lecture)

 

Problème traité 

Piketty montre que, laissé à lui-même et sans un contrôle efficace, le capitalisme est voué à fabriquer des inégalités de richesse. Il a cherché ici à présenter l’état actuel de nos connaissances historiques sur la dynamique de la répartition des revenus et des patrimoines depuis le XVIIIe siècle et dans plus de 20 pays. La question principalement étudiée ici, l’une des plus débattues aujourd’hui, est celle de la répartition des richesses. Piketty s’intéresse aussi à la répartition des richesses sur le long terme, à la concentration de la richesse et du pouvoir aux mains de quelques-uns, et à l’évolution de la répartition des revenus et du patrimoine depuis le XVIIIe siècle. 

 

La contradiction fondamentale du capitalisme

Piketty traite d’un problème issu d’une contradiction fondamentale du capitalisme : lorsque le taux de rendement du capital (noté r) est supérieur au taux de croissance (g), les revenus issus des patrimoines accumulés dans le passé se recapitalisent (progressent) plus vite que les revenus issus de la participation à la production (l’entrepreneur tend à se transformer en rentier et la société devient de plus en plus inégalitaire). 

Il situe en réalité la contradiction fondamentale du capitalisme dans le rapport entre la croissance économique et le rendement du capital. Cela est d’autant plus préoccupant que le taux de rendement du capital privé peut être fortement et durablement plus élevé que le taux de croissance. Le capital se reproduit tout seul, plus vite que ne s’accroît la production, “le passé dévore l’avenir”.

Résultats obtenus

Pendant longtemps, la thèse la plus répandue parmi les économistes, “a été celle d’une grande stabilité à long terme du partage du revenu national entre travail et capital” (généralement autour de ⅔ et ⅓, notamment Cobb-Douglas sa fonction de production qui définit que la part du capital est toujours égale à un coefficient fixe α : Y = K^α.L^(1- α) avec Y la production). Cette fonction fut très populaire après la 2nde GM en raison de sa grande simplicité mais donne une vision relativement apaisée et harmonieuse de l’ordre social.

 

La stabilité contestée du partage capital-travail

En réalité, la stabilité de la part du capital peut très bien se conjuguer avec une inégalité extrême et insoutenable de la propriété du capital et de la répartition des revenus. Piketty souligne que le partage capital-travail n’est pas si stable dans le long terme. L’histoire de la répartition des richesses est toujours profondément politique et ne saurait se résumer à des mécanismes purement économiques. La dynamique de la répartition des richesses met en jeu de puissants mécanismes poussant alternativement vers la convergence et la divergence. La force de convergence principale est le processus de diffusion des connaissances et d’investissement dans les qualifications et la formation. Cela permet la croissance générale de la productivité (donc de g) et la réduction des inégalités. A l’inverse, la force de divergence fondamentale est la loi r > g qui résume la logique d’ensemble de ce livre

 

Le retour à une société patrimoniale

Par ailleurs, si la croissance moderne et la diffusion des connaissances ont permis d’éviter l’apocalypse marxiste, elles n’ont pas modifié les structures profondes du capital et des inégalités. Finalement, ce sont les guerres qui ont fait table rase du passé et qui ont conduit à une transformation de la structure des inégalités au XXe siècle. Si les destructions physiques de capital ont été substantielles, ce sont les chocs budgétaires et politiques entraînés par les guerres qui ont eu l’effet le plus destructeur. Les guerres ont finalement conduit à l’effondrement des rentiers et à la baisse des inégalités des revenus. Or, depuis le tournant néo-libéral on observe un retour des inégalités patrimoniales au sommet, à un niveau proche de celui observé en Europe à la Belle Epoque: r > g va redevenir la norme au XXIe siècle.

 

La thèse de Piketty

Parvenant à ces résultats, Piketty en tire les conclusions et propose ses solutions. En effet, le but de cette étude est de “tirer des leçons pour l’avenir”. Prônant un Etat social adapté au XXIe siècle il montre que les solutions pour contrôler le capitalisme ne sont pas simples : on peut certes encourager la croissance en investissant dans la formation, la connaissance et les technologies non polluantes mais sans jamais pouvoir dépasser les 1,5% par an à long terme (limites technologiques, ralentissement de la croissance démographique et épuisement des gains de productivité). On peut aussi bien taxer fortement le rendement du capital afin de l’abaisser au-dessous de g, mais cela fait courir le risque de tuer le moteur de l’accumulation et d’abaisser le taux de croissance ce qui aura alors des effets contre-productifs

 

Un impôt mondial progressif sur la capital

Dans cette situation, l’institution et solution idéale pour éviter une spirale inégalitaire et reprendre le contrôle de la dynamique en cours est l’impôt mondial et progressif sur le capital. Cela permet d’éviter la spirale inégalitaire tout en préservant les forces de concurrence et les incitations à entreprendre. De plus, cet impôt produira une transparence démocratique et financière sur les patrimoines par la régulation du système bancaire et des flux financiers internationaux. Il fera prévaloir l’intérêt général sur les intérêts privés, tout en préservant l’ouverture économique. 

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Une solution incertaine voire utopique

Cependant, cet impôt exige un très haut degré de coopération internationale et d’intégration politique régionale. Seule cette dernière permet d’envisager une régulation efficace du capitalisme patrimonial globalisé du siècle qui s’ouvre. Le retour probable à un régime de croissance lente, avec l’arrêt de la croissance  démographique et le ralentissement du progrès technique, tend à favoriser l’accumulation et la concentration du capital privé. Dans le schéma proposé, la divergence n’est pas perpétuelle, elle n’est qu’un des avenirs possibles. Piketty souligne que la loi r > g n’a rien à voir avec l’imperfection du marché, au contraire, plus le marché du capital est parfait, plus elle a de chance d’être vérifiée.

 

L’avenir du capital

Des solutions existent mais leur mise en place pose des problèmes considérables en termes de coordination internationale. Les réponses apportées par les pouvoirs publics seront sûrement beaucoup plus modestes et inefficaces. En résumé, le processus d’accumulation et de répartition des patrimoines contient en lui-même des forces puissantes poussant vers la divergence, ou en tout cas vers un niveau d’inégalité extrêmement élevé. Bien que des forces de convergence existent et ont pu l’emporter dans certains pays à certaines époques, les forces de divergence peuvent prendre le dessus à tout moment, comme cela semble être le cas en ce début de XXIe siècle.

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Gabin Bernard