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L’art en philosophie : quelques thèses incontournables

Sommaire
l'art en philosophie

Cet article s’intéresse aux différentes thèses philosophiques sur l’art. Il tente de recenser les plus importantes d’entre elles.

 

PLATON, La République, Livre X : l’art n’est qu’imitation et illusion

La poésie, génératrice d’illusion, est bannie de la cité idéale chez Platon. Dans un extrait, le philosophe grec prend l’image des trois lits : son essence, celui du menuisier (matériel) et celui du peintre (idéal). L’artiste copie en réalité le lit de l’artisan, lui-même créé à partir du concept. De ce fait, l’art est mensonge et illusion, il ne fait que copier la représentation matérielle d’un concept et non le concept même. “Est-ce représenter ce qui est tel qu’il est, ou ce qui paraît tel qu’il paraît; est-ce l’imitation de l’apparence ou de la réalité ? – De l’apparence dit-il.” Le Beau artistique n’existe pas pour Platon.

 

ARISTOTE, Poétique : l’art est imitation

Le disciple de Platon s’en distingue nettement ici. Il observe que les hommes ont tendance à imiter : “Imiter est en effet, dès leur enfance, une tendance naturelle aux hommes”, et ils prennent plaisir à contempler ces imitations. De plus, l’homme aime à apprendre par la contemplation. “Apprendre est un grand plaisir […]. On se plaît en effet à regarder les images car leur contemplation apporte un enseignement.” Notons que Pascal fait référence à cet extrait dans ses Pensées : “Quelle vanité que la peinture qui n’attire l’admiration que par la ressemblance des choses, dont on admire point les originaux.” En résumé, selon Aristote, l’art prend sa source dans le plaisir de l’imitation.

 

Lire plus : Philosophie du langage : les principales thèses à connaître

 

 

Art illustration de Depositphotos
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HEGEL, Esthétique : distinction entre beauté naturelle et beauté esthétique

L’Esthétique chez Hegel renvoie à la philosophie des beaux-arts. “L’esthétique a pour objet le vaste empire du beau […] c’est la philosophie de l’art, ou plus précisément des beaux-arts.” Mais cette définition exclut le beau dans la nature et ne considère que le beau dans l’art. Cela est d’autant plus vrai que les thèses courantes privilégient le beau naturel. “Mais il est permis de soutenir dès maintenant que le beau artistique est plus élevé que le beau dans la nature.” L’esprit est toujours supérieur à la nature,  en toute idée sont présents toujours l’esprit et la liberté. Hegel conclut : la beauté artistique est supérieure à la beauté naturelle car elle est le fruit de l’esprit. 

HEGEL, Esthétique : l’art n’est pas pure imitation

L’art ne saurait se borner à une simple imitation de la nature. L’opinion courante considère que l’art doit imiter la nature. L’imagination désigne donc cette habileté à reproduire avec fidélité les objets naturels et constituerait alors le but essentiel de l’art. Mais cette idée restreint l’art à ne reproduire que ce qui existe déjà dans le monde, or l’art est création, il introduit de la nouveauté. Cette tâche reproductrice est inutile (“cette reproduction est du travail superflu”) et présomptueuse. L’art, “limité dans ses moyens d’expression et ne peut produire que des illusions partielles.”

L’art, en s’en tenant à cette définition, ne nous donne qu’une “caricature de la vie”. L’art d’imitation est mesquin et sans grandeur pour Hegel. “L’art, quand il se borne à imiter, ne peut rivaliser avec la nature, et qu’il ressemble à un ver qui s’efforce en rampant d’imiter un éléphant.” L’art est donc médiocre quand il se borne à la simple imitation de la nature. L’art a quelque chose de surnaturel dans son caractère créateur.

 

HEGEL, Esthétique : l’art doit exclure tout désir

Notre rapport pratique au réel est le désir : “le mode de relations aux choses extérieures est le désir”. L’homme est un être de désir (idée qu’on retrouve chez de nombreux philosophes, dont Spinoza et son conatus en particulier). Dans ce rapport pratique, l’objet est détruit par le sujet. L’homme puise dans les objets sa subsistance, en fait usage et les sacrifie à sa satisfaction personnelle. Le désir maintient l’objet dans son existence sensible et concrète. “Il n’a que faire de tableaux”.

Ainsi, ni l’objet ni le sujet n’y sont libres et indépendants : l’objet est destiné à être détruit et le sujet est prisonnier des intérêts individuels. Au contraire, l’art est libre contemplation par l’esprit : “Les relations de l’homme à l’œuvre d’art ne sont pas de l’ordre du désir. Il la laisse exister pour elle-même, librement, en face de lui, il la considère sans la désirer.” L’œuvre d’art est vue comme un objet théorique et non pratique. Dès lors, sans même avoir une réalité tangiblement concrète, l’œuvre d’art est dotée d’une existence sensible. L’art est donc libre contemplation par l’esprit, dénuée de tout désir.

HEGEL, Esthétique :  l’art est l’esprit se prenant pour objet

L’esprit a la faculté de se considérer lui-même (par la pensée) : l’esprit peut se prendre lui-même pour objet de pensée. Quant à l’œuvre d’art, bien qu’elle se rapporte au sensible, elle est œuvre d’esprit, “dans la mesure où elles sont jaillies de l’esprit et produites par lui.”. De ce fait, l’art se rapproche plus de l’esprit et de la pensée que de la nature. Les créations de l’art ne sont pas des pensées et des concepts mais “un déploiement extérieur du concept, une aliénation qui le porte vers le sensible.” L’art est l’expression de l’esprit sous forme sensible.

ARENDT, Condition de l’homme moderne : la durabilité de l’œuvre d’art

L’œuvre d’art, unique, n’est pas échangeable. Elle donne à l’artifice humain sa stabilité. Elle n’a pas d’utilité pratique : “l’œuvre d’art doit être soigneusement écartée du contexte des objets d’usage ordinaires.”  “Les œuvres d’art sont de tous les objets tangibles les plus intensément du monde; leur durabilité est presque invulnérable aux effets corrosifs des processus naturels.” Les véritables œuvres d’art traversent les temps, demeurant souvent inaltérées.

Elles acquièrent un statut d’objet immortel créé par l’homme. Arendt met en évidence la permanence de l’art, ce pressentiment d’immortalité “d’une chose immortelle accomplie par des mains mortelles.” L’œuvre d’art échappe par ailleurs à la pensée créatrice lorsqu’elle se matérialise. Le processus de la pensée doit s’interrompre pour la réification matérialisatrice de l’oeuvre. Dans la création de l’œuvre d’art, la pensée est inutile. 

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NIETZSCHE, La généalogie de la morale (IIIe Dissertation) : le Beau ne relève pas d’une connaissance mais d’une promesse de bonheur

Nietzsche, au début de cette troisième dissertation, propose une réflexion sur le Beau. Il prend ainsi partie pour la vision de Stendhal, lequel voit dans l’art “une promesse de bonheur”. Au contraire, Kant a défini le beau du point de vue du spectateur désintéressé. Son point de vue est marqué par l’impersonnalité et l’universalité.

Au lieu d’envisager le problème esthétique en partant de l’expérience de l’artiste, Kant a médité sur l’art et le beau du seul point de vue du spectateur”. Ce spectateur n’éprouve aucun ravissement face à la beauté: “Est beau, dit Kant, ce qui provoque un plaisir désintéressé.” A l’opposé, Stendhal voit dans le beau “une promesse de bonheur”, il récuse le désintéressement avancé par Kant. La beauté chez Nietzsche ne relève pas d’une connaissance, n’est pas théorique, mais est une expérience érotique.

 

NIETZSCHE, La volonté de puissance : l’art désigne un total épanouissement

“Sans la musique, vivre aurait été une erreur.” écrit Nietzsche. Pour ce dernier, l’art est d’une importance vitale, il est joie et plénitude radicale, en plus d’apparaître comme le premier degré de l’effort vers le surhumain. “Ce qui est essentiel dans l’art, c’est qu’il parachève l’existence, c’est qu’il est générateur de perfection et de plénitude: l’art est essentiellement l’affirmation, la bénédiction, la divinisation de l’existence.” L’art, par essence, est affirmation de l’existence, création de nouvelles valeurs.

 

PLATON, Ion : le poète crée par don divin

D’où vient le génie qu’on accorde aux poètes ? Cette question suscite encore débat aujourd’hui. La vision de Platon est aussi celle de nombreux poètes tel Ronsard. C’est l’inspiration qui anime l’artiste. Le poète est inspiré, il perd la raison : ‘il n’est pas en état de créer avant d’être inspiré par un dieu”. Son privilège divin expliquerait sa spécialisation: il est le réceptacle de la Divinité. C’est aussi cette part de divin qui écarte l’artiste de la société et en fait un homme à part. Le poète crée par l’effet d’un don divin et se fait l’intermédiaire de cette divinité. 

 

KANT, Critique du jugement : le beau plaît universellement sans concept

“Le beau est ce qui est représenté, sans concept, comme l’objet d’une satisfaction universelle.” Citation extrêmement connue, Kant pointe la satisfaction désintéressée et universelle comportant une ressemblance avec le jugement logique. Celui-ci constitue par des concepts une connaissance de l’objet esthétique. Toutefois, cette universalité est subjective et non pas logique: “il a droit à une universalité subjective.” L’universalité du jugement esthétique ne repose pas sur des concepts.

 

KANT, Critique de la faculté de juger : le jugement de goût ne peut se prouver

Le jugement de goût, dire si l’on apprécie ou non une œuvre, ne peut pas se prouver. Il se situe entre subjectivité et objectivité. En effet, chacun connaît le poncif : “à chacun son propre goût”. Il fonde le goût sur la pure subjectivité. Le second lieu commun du goût est le suivant : “on ne dispute pas du goût”. Celui-ci reconnaît l’absence de concepts déterminés du goût. Néanmoins, pour Kant, il manque une proposition intermédiaire : “on peut discuter du goût.” Or, “là où il est permis de discuter, on doit aussi avoir l’espoir de s’accorder”.

On constate donc l’antinomie du jugement de goût : le jugement ne se fonde pas sur des concepts (autrement on pourrait discuter à ce sujet), et pourtant le jugement se fonde aussi sur des concepts (autrement on ne pourrait même pas discuter à ce sujet). Le jugement de goût ne peut se prouver, et pourtant on peut en discuter. 

 

KANT, Critique du jugement : le génie est une disposition innée par laquelle la nature fournit des règles à l’art

“Le génie est le talent de produire ce dont on ne peut donner de règle déterminée.” Par conséquent, “l’originalité est sa première qualité.” Donnant des règles à l’art, “ses productions doivent être des modèles, elles doivent être exemplaires”. Le génie ne peut “lui-même décrire” ou expliquer comment il a accompli ses productions “mais il donne la règle par une inspiration de la nature”. Dans le génie, la nature donne des règles à l’art.

NIETZSCHE, Humain trop humain : le génie n’est pas une disposition innée de l’esprit

Encore une fois Nietzsche s’oppose à Kant. Selon lui, c’est le travail qui crée l’œuvre. “L’activité du génie ne paraît pas le moins du monde quelque chose de foncièrement différent de l’activité de l’inventeur en mécanique”. Le génie représente un long travail. Nietzsche l’associe à quelque chose proche de l’activité artisanale. En réalité, c’est pour éviter de l’envier que l’on a employé le terme de génie (“Nommer quelqu’un “divin”, c’est dire: “ici nous n’avons pas à rivaliser.””) mais aussi par aversion pour la genèse laborieuse.  Le génie ne relève d’un miracle, d’un talent inné, il est le fruit d’un long travail.

Bergson, Le Rire : Quel est l’objet de l’art ?

“Quel est l’objet de l’art ? Si la réalité venait frapper directement nos sens et notre conscience, si nous pouvions entrer en communication immédiate avec les choses et avec nous-mêmes, je crois bien que l’art serait inutile, ou plutôt que nous serions tous artistes, car notre âme vibrerait alors continuellement à l’unissons de la nature.” Bergson 

D’après sa thèse sur le langage “nous ne voyons pas les choses mêmes; nous nous bornons, le plus souvent, à lire des étiquettes collées sur elles.” Le langage est trompeur. “Ce sont aussi nos propres états d’âme qui se dérobent à nous dans ce qu’ils ont d’intime, de personnel, d’originalement vécu.” Nous n’apercevons de notre état d’âme “que son déploiement extérieur. Nous ne saisissons de nos sentiments que leur aspect impersonnel”.

L’individualité nous échappe, “nous vivons dans une zone mitoyenne entre les choses et nous, extérieurement aux choses, extérieurement aussi à nous-mêmes.” Au contraire, l’artiste vit détaché de tout cela. Le détachement de l’artiste est naturel, inné, mais imparfait. “Si ce détachement était complet, si l’âme n’adhérait plus à l’action par aucune de ses perceptions, elle serait l’âme d’un artiste comme le monde n’en a point vu encore. Elle excellerait dans tous les arts à la fois […]. Elle apercevrait toutes choses dans leur pureté originelle.”

L’art n’a qu’un objet. Celui d’écarter les symboles pratiquement utiles, les généralités conventionnellement et socialement acceptées, tout ce masque la réalité même. Bergson conclut avec cette fameuse phrase : “L’art n’est sûrement qu’une vision plus directe de la réalité.”

 

BOURDIEU, La Distinction : Le goût est un habitus qui s’ignore

On finit par un peu de sociologie. Le goût est le produit d’un déterminisme social qui permet de se distinguer. D’après Bourdieu, la dimension esthétique s’élabore comme rapport désintéressé au monde: ce désintérêt est un signe distinctif d’une position privilégiée dans la société. La disposition esthétique “est aussi une expression distinctive d’une position privilégiée dans l’espace social“. “Comme toute espèce de goût, elle unit et sépare”. Le goût est également un marqueur social.

Il est “ce par quoi on se classe et par quoi on est classé.”, il est “l’affirmation pratique d’une différence inévitable.” De plus, Bourdieu fait remarquer que ce sont les dégoûts qui sont le plus révélateurs de cet habitus et finit même par affirmer : “les goûts sont avant tout des dégoûts”

Ainsi, le goût est un habitus qui s’ignore.

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Gabin Bernard