Vendredi 10 mars, l’Iran et l’Arabie saoudite ont annoncé rétablir leurs relations diplomatiques. Cet accord prévoit une réouverture des ambassades dans les deux prochains mois et une réactivation de l’accord de coopération en matière de sécurité intérieure de 2001.
Ce rapprochement prend place sept années après l’annonce saoudienne de cesser les relations diplomatiques avec l’Iran. Cette dernière avait fait suite à un incendie de l’ambassade saoudienne à Téhéran en représailles à l’assassinat de l’ayatollah chiite Nimr Baqr al-Nimr.
Comment expliquer cet accord inattendu ?
Tout d’abord, l’isolement politique subi par l’Iran a indéniablement joué un rôle clé dans sa volonté de renouer avec son voisin saoudien. En effet, entre les suspicions d’un enrichissement en uranium proche des 90% nécessaires à la production d’une bombe atomique, son implication aux côtés de la Russie dans la guerre en Ukraine et son expulsion d’une commission de l’ONU sur le droit des femmes, l’Iran s’est attiré les foudres de la communauté internationale. L’Iran peut donc espérer de cet accord une certaine forme de désenclavement.
Mohammed Ben Salman espère quant à lui que ce rapprochement lui permettra de limiter l’influence iranienne dans la région. Renouer avec l’Iran d’un point de vue diplomatique pourrait lui permettre de réduire l’hostilité syrienne, libanaise, ou encore yéménite à l’encontre de son royaume. En effet, l’Iran exerce une forte influence dans ces pays en affirmant régulièrement son soutien aux organisations politiques chiites présentes dans ces pays, à l’image du Hezbollah en Syrie ou des Houthis au Yémen.
De plus, le prince héritier accorde une importance toute particulière au plan Saudi Vision 2030. Ce dernier vise à limiter la dépendance du pays à la rente pétrolière via une diversification de son économie. Or, pour cela, Mohammed Ben Salman doit parvenir à apaiser la conflictualité régionale pour réussir à attirer des investisseurs.
Finalement, composer avec l’Iran forme pour l’Arabie saoudite l’occasion de s’émanciper progressivement de leur allié américain. En effet, si les États-Unis ont été un allié historique de l’Arabie saoudite, ces derniers montrent un intérêt décroissant à l’égard du royaume et un désengagement progressif au Moyen-Orient. Ceci exhorte la monarchie wahhabite à gérer les affaires régionales avec davantage d’autonomie.
Quelles sont les conséquences géopolitiques de cet accord pour le Moyen-Orient ?
Cet accord irano-saoudien peut favoriser la résolution de conflits présents au Moyen-Orient.
Cet accord peut présager une diminution de l’intensité de la guerre civile yéménite. L’Arabie saoudite et l’Iran s’y livrent une guerre par procuration en soutenant respectivement le gouvernement internationalement reconnu et les rebelles chiites Houtis. Le Yémen peut espérer profiter de l’élan diplomatique initié par l’accord irano-saoudien pour mettre fin à ce conflit sanglant ayant déjà causé la mort de près de 400 000 personnes. Ce lundi 20 mars, un accord pour un échange de prisonniers a notamment été conclu sous l’égide de l’ONU en Suisse après cinq ans de négociations.
De même, l’Iran et l’Arabie Saoudite font preuve d’ingérence dans le conflit syrien ayant débuté en 2011. L’Iran soutient le régime alaouite de Bachar El-Assad alors que l’Arabie Saoudite soutient les combattants de l’opposition, majoritairement salafistes. Ainsi, cet accord pourrait favoriser un « renforcement de la sécurité et de la stabilité dans la région » selon le Ministre des Affaires étrangères syrien.
Quelles conséquences pour Israël ?
Cet accord irano-saoudien est lourd de conséquences pour Israël. En effet, Benjamin Netanyahou perçoit le programme nucléaire iranien comme une menace majeure pour son pays. Cependant, cet accord met à mal le projet israélien de construire un front anti-Iran. Les espoirs israéliens d’une normalisation des relations avec l’Arabie Saoudite semblent s’éloigner et les leaders de l’opposition israélienne n’ont pas manqué d’accabler le Premier ministre. Yaïr Lapid exprime ainsi un « échec total et dangereux de la politique étrangère du gouvernement israélien ».
Quelles implications pour la lutte d'influence sino-américaine ?
L’accord irano-saoudien a été annoncé à Pékin et l’Empire du milieu a joué un rôle majeur dans ce rapprochement entre les deux poids lourds du Moyen-Orient. Ceci constitue indéniablement une victoire pour la Chine car ce rôle de médiateur démontre un recul de l’influence américaine au Moyen-Orient. La Chine semble ainsi œuvrer pour la stabilisation de la région en menant, semblablement à Richard Nixon, une forme de « twin pillars policy ». Pierre Haski, président de l’association Reporters sans Frontières, affirme ainsi que : « la Chine signe un double coup : elle s’impose comme superpuissance dans une zone où on ne l’attendait pas, et comme une puissance pacifique face aux États-Unis ».