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Comprendre les manifestations inédites à Cuba

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« Libertad », « Abajo la dictadura », « Nous avons faim » ou encore « Patria y vida » (en opposition à « Patria o muerte », slogan officiel du parti communiste au pouvoir) pouvait-on entendre dans les files des manifestations à Cuba le 11 juillet 2021. Depuis ce jour, l’île de Cuba, d’habitude si paisible et ses citoyens si calmes, est secouée par une vague de révoltes citoyennes inédites. Si les cubains s’indignent contre la misère économique, sociale et sanitaire qui minent leur quotidien, d’autres causes plus profondes semblent expliquer leur désarroi, comme par exemple le régime autoritaire dont certains s’estiment prisonniers ou la manipulation d’informations qui a longtemps été la règle sur l’île.

Ainsi, quels éléments permettent de comprendre la colère cubaine inédite ?

 

Une indignation citoyenne inédite à Cuba

Pour la première fois depuis soixante ans, soit depuis la révolution cubaine, des milliers de cubains sont se sont élevés le 11 juillet 2021 contre le gouvernement à travers toutes les villes de l’île afin de dénoncer la gravité de la situation économique et sanitaire. Si les manifestations se sont désormais calmées, les arrestations, disparitions et répressions ne cessent de se multiplier.

Face à cette colère citoyenne inédite, le Président Miguel Diaz Canel, a invité les cubains à défendre la révolution et s’opposer aux manifestants, et a notamment accusé le gouvernement étatsunien d’être à l’origine de ces troubles sociaux à travers sa « politique d’asphyxie économique ». De son côté, Washington a mis en garde le « régime autoritaire » contre toute forme de violence à l’égard des manifestants pacifistes. Si elles s’étaient brièvement améliorées entre 2014 et 2016 avec B. Obama, les relations diplomatiques entre Cuba et les États-Unis ne cessent de se détériorer depuis l’ère D. Trump, durant laquelle l’embargo mis en place depuis 1962 s’est vu renforcé. Ce schéma diplomatique n’est pas sans rappeler celui de la Guerre Froide puisque, face à la situation, la Russie, grande alliée de Cuba, s’est empressée de condamner toute tentative « d’ingérence étrangère dans les affaires intérieures de l’État souverain ».

 

 

La crise sanitaire et économique, détonateurs du mal-être cubain

Si le gouvernement avait plutôt réussi à contrôler la pandémie lors des premiers mois de l’année 2020, depuis quelques temps, le pays doit faire face à un rebond du nombre de contaminations. Rapidement, la saturation des hôpitaux et la pénurie de médicaments, même les plus basiques tels que l’aspirine, a symbolisé la gravité de la crise sanitaire qui frappe le pays. Les appels à l’aide internationale et l’intervention humanitaire se sont alors multipliés sur les réseaux sociaux, à l’aide de mots-clés tels que #SOSCuba ou #SOSMatanzas. Bien que le pays ait commencé à inoculer aux citoyens son propre vaccin, la situation sanitaire demeure plus que préoccupante.

Au-delà de ces difficultés sanitaires, il convient également de souligner les tensions économiques qui déstabilisent le pays. En effet, le pays traverse actuellement une grave crise économique (chute de 11% du PIB en 2020), l’une des plus graves depuis 1991 et la « Période Spéciale » (El período especial), où la dissolution de l’Union Soviétique, grande alliée de l’île, avait à l’époque plongé le pays dans une période prolongée de crise économique. Son autre grand allié, le Venezuela, dont la situation économique ne cesse d’empirer, ne peut aujourd’hui plus lui apporter d’aide économique. Par ailleurs, l’embargo des États-Unis a souvent été accusé par le gouvernement cubain d’être responsable de ces difficultés économiques.

De plus, la crise sanitaire n’a fait qu’exacerber les difficultés économiques de l’île déjà criantes. En effet, le tourisme, principale source de revenus du pays, est presque paralysé depuis le covid-19 ; les files d’attentes pour tenter d’acheter des produits de première nécessité sont devenues monnaie courante à cause de la pénurie, et l’électricité est coupée pendant plusieurs heures par jour.   

Si le gouvernement a bien tenté de contenir cette récession économique par une série de mesures telles qu’une hausse des salaires, cela s’est traduit par une inflation grandissante. Les difficultés économiques n’ont été qu’aggravées en juin 2021 quand le gouvernement a suspendu temporairement les dépôts en dollars américains : les envois de fonds (remesas) sont une source de revenus conséquente pour des millions de cubains sans travail ou sans revenus suffisants, de la part d’amis ou membres de la famille vivant aux États-Unis, premier pays d’accueil des migrants cubains. 

 

 

Des cubains en quête de liberté qui s’élèvent contre le modèle politique

Si les manifestations ont acquis un caractère inédit par la mobilisation massive des citoyens sur l’île, où les seuls rassemblements autorisés sont généralement ceux Parti communiste, c’est notamment car ces derniers cessent progressivement d’être les victimes de la guerre de l’information dont le gouvernement a longtemps été à l’origine. En effet, à cause d’un manque criant de libertés, l’information sur l’île a toujours été censurée et contrôlée par le régime, notamment sous Fidel Castro : la liberté de la presse est presque inexistante, l’accès Wi-Fi, y compris pour les touristes, a toujours été faible et de mauvaise qualité et l’accès aux réseaux sociaux limité. Cependant, sous son frère Raúl (au pouvoir de 2008 à 2018), certaines mesures ont permis l’ouverture progressive du pays à partir de 2018, telles que l’accès à internet ou l’autorisation d’accéder aux réseaux sociaux sur téléphone portable.

Ainsi, si le monopole de l’information a longtemps été le moyen de bâillonner la population et ses revendications, désormais les cubains, à travers les réseaux sociaux, peuvent exprimer leur désaccord et s’informer avec d’autres outils que ceux de l’État. Les réseaux sociaux ont d’ailleurs prouvé leur pouvoir de mobilisation ce 11 juillet, puisque nombreux sont les cubains ayant participé aux manifestations après avoir pris connaissance de la situation sur les réseaux sociaux.

Néanmoins, ces manifestations illustrent une nouvelle fois le manque de libertés dont souffrent les cubains et la manipulation d’information qui règne sur l’île : le réseau internet et les données mobiles ont été fréquemment coupées lors des mobilisations tandis que les réseaux sociaux étaient partiellement bloqués. Derrière cette dissimulation de l’information, beaucoup dénoncent la volonté du gouvernement de faire silence sur le véritable nombre de blessés, morts et arrestations lors de cette manifestation.

 

 

Conclusion

Ce soulèvement dans un pays où la mobilisation politique est si rare force à s’alarmer de la situation et appelle par conséquent à des réponses rapides qui calmeraient la colère des cubains. Pour tenter d’éteindre cette dernière, le président Diaz-Canel a d’ores et déjà appeler à tirer les enseignements de ces troubles sociaux. Si la crise sanitaire et économique aigües secouant le pays demandent évidemment des mesures structurelles et conjoncturelles conséquentes, le respect des droits et des libertés fondamentales des citoyens cubains doivent également être la priorité.

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Elisa De Figueiredo
Actuellement à l'EDHEC après deux ans de prépa ECE au Lycée Marcelin Berthelot, j'ai à cœur d'aider les étudiants en langues!